L’urgence causée par la crise sanitaire contraint les chercheurs à aller piocher dans une pharmacopée éprouvée. Dernier exemple en date, le mystérieux anti-infectieux à l’étude à l’Institut Pasteur de Lille qui fait l’objet d’un essai clinique prometteur. Récemment, le Pr Jacques Buxeraud inventoriait les nombreuses et anciennes molécules passées au crible de la recherche anti-Covid (congrès Spot-Pharma). Faire du neuf avec du vieux, voilà qui peut faire gagner beaucoup de temps et d’énergie en situation d’urgence.
Pourtant, ces anciennes molécules sont menacées, alerte l’Académie de pharmacie. Une menace d'autant plus sérieuse que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021 prévoit une nouvelle baisse sur les prix des médicaments. Un nouveau tour de vis d'autant plus redoutable qu'il affecte « les anciens médicaments indispensables ! ». Car, développent les académiciens « en abaissant le prix de ces médicaments essentiels, on provoque leur indisponibilité ». Ce qui pose « non seulement un problème majeur pour les patients, mais aboutit à des surcoûts, directs ou indirects, très élevés : par l'achat de produits importés en urgence dont les prix n’ont pu être négociés », argumentent les Sages en ajoutant que « les importations d’urgence de médicaments étiquetés en langue étrangère font aussi courir davantage de risques d’erreurs d’administration liées au changement de molécule ou de présentation ». Autre conséquence délétère : il est aujourd'hui « reconnu que la baisse des prix de médicaments anciens, majoritairement génériqués (70 % des produits pharmaceutiques délivrés en Europe), a conduit à la délocalisation des productions en Asie ». Il est donc impératif de préserver, voire parfois d'augmenter le prix de ces médicaments anciens indispensables.
Des mesures, mais pas assez
Alors comment procéder ? « La première chose serait d’établir la liste des médicaments essentiels, c’est-à-dire ceux qui sont indispensables aux patients, selon Bruno Bonnemain, membre de l'Académie de pharmacie. Cette liste existe déjà pour les anticancéreux (établie par l’INCa), mais elle n’a pas été publiée. Il faudrait maintenant en faire de même pour les antibiotiques. » L’Académie de pharmacie mène une réflexion afin d'établir une telle liste, pour plusieurs classes thérapeutiques, qui pourrait être acceptée au niveau européen. Ce répertoire permettrait d’identifier un certain nombre de produits reconnus comme indispensables. Et de pouvoir garder un œil sur eux, de leur appliquer des règles particulières et de confier leur gestion à l’Agence européenne du médicament… Les plans de gestion de risques pourraient ainsi être renforcés uniquement pour ces produits. « Cette liste n’aurait rien à voir avec les MITM (médicaments d'intérêt thérapeutique majeur), qui ont une définition très administrative, et dont le vaste répertoire, défini par les industriels, ne correspond pas forcément à des médicaments essentiels pour les patients », ajoute Bruno Bonnemain.
De fait, des mesures ont déjà été mises en place afin de lutter contre les pénuries de certains anciens médicaments essentiels. Par exemple, en imposant aux industriels des obligations concernant les MITM, comme celle de posséder d’avance un stock de 2 mois et, en cas de rupture de MITM, d’en informer de façon anticipée l’ANSM et de trouver une solution de substitution au produit concerné… Pour les pharmaciens, le DP-Ruptures développé par l’Ordre permet également d’être informé rapidement des ruptures. De plus, à l’été 2021, DP-Ruptures s’enrichira d’une nouvelle fonctionnalité qui permettra au pharmacien d’être dépanné en urgence d’un produit en rupture par son laboratoire. Ces mesures sont toutefois insuffisantes. « Nous n’avons fait que renforcer l’information des pharmaciens, hôpitaux, autorités de santé, mais sur le plan pratique, nous n’avons pas traité la cause du problème », regrette Bruno Bonnemain.
Relocaliser
Le salut viendrait-il par les relocalisations ? Elles sont en tout cas un point clé de la stratégie annoncée par Emmanuel Macron, fin août, « 15 milliards pour l’innovation et les relocalisations, et en particulier un milliard d’euros d’aides directes construites avec les industriels pour permettre d’apporter une aide de l’État sur des projets très précis ». Un milliard c’est bien, mais cela suffira-t-il ? L’effort à réaliser sur le territoire français pourrait consister à préserver d'abord les médicaments qui sont produits en France et à aider à la relocalisation de quelques médicaments indispensables, afin de ne pas être complètement dépendants de l’Inde et de la Chine. Mais il faudra que cette démarche s’accompagne d’une politique de prix dédiée, au risque que les industriels n’adhèrent pas à cette stratégie.
Enfin, un autre angle d'attaque consiste à renforcer la coopération européenne et les missions de l’Agence européenne du médicament (EMA). Cette dernière serait alors chargée de la gestion des médicaments indispensables définis dans la liste, afin d’en simplifier la distribution entre les pays et d'en harmoniser le packaging dans toute l’Union européenne. Ainsi, en cas de rupture, les importations seraient simplifiées et induiraient moins de risque d’erreurs.
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