L’ouverture d’une pharmacie affichée low cost ne laisse jamais indifférent. Ni les patients consommateurs. Ni naturellement les officines de son environnement immédiat. Le low cost qui s’est imposé dans la plupart des segments des biens de consommation (ameublement, équipements sportifs, loisirs…) a gagné le monde de la pharmacie. Dernier avatar en date de cette expansion, l’ouverture à Paris, en mai dernier, de la première pharmacie du groupement Lafayette. Une implantation hautement symbolique pour ce réseau qui rassemble 92 membres et prévoit 35 nouvelles recrues en 2016. La Capitale toutefois n’a pas attendu l’arrivée de ce groupement pour se mettre au low cost. Le Citypharma de la rue du Four, la pharmacie de la Place Monge et une demi-douzaine d’autres pharmacies, elles aussi recensées par les guides touristiques étrangers, ont développé le concept en solo et avec succès. En régions, on dénombre une centaine d’officines qui s’en revendiquent. Des grandes métropoles aux villes moyennes et périphériques comme Quissac, Troyes ou Roissy-en-Brie, elles attirent souvent des clients prêts à parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour obtenir OTC et parapharmacie à des prix plus bas que le marché.
De bonnes fréquentations
Francs tireurs sur les prix, ces titulaires n’appartiennent le plus souvent à aucun réseau. À quelques exceptions près, dont un redressement judiciaire en Lorraine, ces pharmacies témoignent de la vitalité d’un concept destiné à redynamiser le point de vente. C’est également l’objectif du groupement Lafayette. Un mois et demi après sa conversion au concept, Véronique Merly co-titulaire de la nouvelle implantation parisienne, comptait déjà 30 % de clients supplémentaires.
Dans le Sud-Ouest, plusieurs titulaires chevronnés disent être passés sous la bannière du low cost pour donner un dernier virage à leur carrière. En manque de frisson ? Pas seulement. Le low cost est un amortisseur de crise, lancent ses afficionados qui brandissent des hausses de chiffres d’affaires à deux chiffres. Indicateur de croissance, les marges se chiffrent en valeur. Et pour cause. S’il se confie qu’elle avoisine au bas mot les 20 %, la marge en taux a peu de sens dans des officines où seule une hausse de la fréquentation permet d’équilibrer des réductions constantes de 30 à 50 % sur l’OTC et la parapharmacie. « Le prix est éliminatoire », répète à l’envi Hervé Jouves, président de Lafayette Conseil. Quelque 200 accords cadre lui permettent de garantir à ses adhérents des prix bas pour environ 20 000 références déclinées dans 15 univers. Hervé Jouves s’empresse toutefois de citer les quatre autres piliers du groupe : « Le bon produit, le bon conseil, la bonne adresse, et ce au bon moment. » Un toilettage pour un concept difficile à conjuguer sur le mode santé. À tel point que le groupement Lafayette Conseil s’est cru obligé de refondre son adage en « happy low cost », promettant un lieu d’épanouissement tant pour le client que pour l’équipe officinale.
Décrédibiliser Leclerc
Ce nouveau slogan ne fait pas sourire tout le monde. « Le low cost est un destructeur de valeur, il dévalorise le médicament tout autant que les marques », martèle Daniel Buchinger, fondateur et président du groupement Univers pharmacie. Celui qui pratique pourtant haut et fort les prix bas se défend : « Les prix doivent être bataillés certes, mais pas au détriment du service et de la qualité. » Prix et qualité sont également à la base du concept développé par le groupement Directlabo au travers de ses deux enseignes Pharm€co et Pharm & Price. « Nous nous revendiquons des prix bas sans pour autant évoquer le low cost qui est pour nous associé à une qualité moindre », argumente Yves Morvan, patron de Directlabo. Pour compenser les prix bas, il préfère miser sur la diversification de l’activité officinale avec par exemple Optic & Price, les corners d’optique au sein de leur officine. « Chaque corner dégage 40 000 à 50 000 euros net par pharmacie », promet Yves Morvan.
Les pharmaciens pratiquant des prix bas sont de toute évidence, en recherche de légitimité. Car, comme le déclare Daniel Buchinger, le low cost ne donne pas de « sens métier, seul capable de décrédibiliser Leclerc ». Pour Univers Pharmacie, le prix bas doit être obtenu par des marques distributeurs, mais sans négliger le conseil, les services, ni pénaliser la marge. Pour autant, le fondateur d’Univers Pharmacie n’est pas inquiet des effets du low cost sur le maillage pharmaceutique. « Ce n’est pas le low cost qui à terme risque de se tirer une balle dans le pied, qui fait des dégâts, mais bien l’économie », estime-t-il.
Cette analyse n’est pas partagée par tous les pharmaciens. Loin de s’en accommoder, les titulaires placent sous haute surveillance l’un des leurs dès lors qu’il affiche un concept de prix bas constants. « Le low cost peut faire tache d’huile et polluer toute une ville », déclare sans ambages Alain Boetsch, titulaire de la pharmacie de l’Orangerie à Strasbourg, et président de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin, qui ne relâche pas sa vigilance depuis l’ouverture d’un Lafayette dans sa ville. Il craint une course effrénée aux prix bas, au risque de plonger les officines dans une économie délétère. De plus, l’agressivité d’une pharmacie low cost peut aspirer les ventes OTC et para, et reporter sur ses voisines les ordonnances moins rémunératrices sur le long terme.
Stratégies de différenciation
Le long terme est également évoqué pour juger de la pérennité du modèle low cost en pharmacie. D’aucuns mettent en doute la capacité d’un titulaire low cost de céder une officine valorisée sur une marge en valeur. À moins que le repreneur n’épouse lui aussi la même cause. Quoi qu’il en soit, ce modèle économique qui induit stocks importants et masse salariale conséquente, ne cesse de susciter des interrogations. Le groupement Giphar refuse en tout cas d’entraîner ses 1 300 adhérents sur ce terrain. « Chasser sur le même territoire que la GMS n’est pas une bonne idée pour des raisons économiques, mais aussi parce qu’il serait inconcevable pour nous de livrer des arguments à la GMS en adoptant ses propres principes », affirme Philippe Becht, président du directoire du groupement Giphar. Il constate qu’aucun groupement de pharmacie n’est d’ailleurs en mesure aujourd’hui d’organiser un véritable modèle « discount ». Et de dénoncer les pratiques d’un groupement qui renonce à l’honoraire de dispensation : « Vendre des produits à marge zéro n’appartient pas à notre positionnement. C’est une question de fond, le service se paie. Les faits économiques sont têtus, plus la marge est faible et moins le service est possible. » Le groupement, qui se revendique d’un modèle éthique de la pharmacie, se refuse à mélanger les genres ce qui ne l’a pas empêché d’effectuer de grandes avancées dans la massification des achats. « Il ne faut pas oublier que le médicament constitue en grande majorité l’activité de l’officine et les marges réalisées sur la para ne représente pas forcément un levier de croissance », objecte Lætitia Hible, présidente de Giphar. Davantage, Giphar réaffirme son positionnement de pharmacies de proximité à l’écoute de ses patients y compris dans les évolutions technologiques. « Les objets connectés pourront par exemple renforcer la valeur ajoutée du pharmacien dans son rôle de conseil et d’accompagnement. »
Loin de tarir la polémique sur ses pratiques, le low cost, aujourd’hui décomplexé, agit comme l’aiguillon d’une profession acculée à se définir des stratégies et à se positionner sur des modèles économiques.
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