Le 9 février entrera en vigueur le règlement européen sur la sérialisation des médicaments. Destiné à lutter contre la contrefaçon, ce dispositif impose à l’ensemble de la chaîne du médicament d’intégrer à chaque boîte un numéro de série unique. Ce numéro de série sera contenu dans le code Datamatrix de chaque boîte, qui contient déjà le code CIP, le numéro de lot et la date de péremption. C’est naturellement aux laboratoires pharmaceutiques qu’il reviendra d’apposer le code Datamatrix avec tous les éléments nécessaires à l’identification de chaque boîte, mais c’est aux pharmacies qu’il reviendra de vérifier que le médicament délivré soit bien recensé dans la base de données nationale qui va répertorier tous les médicaments bénéficiant de l’AMM. C’est ainsi que, dans l’idéal, tout médicament contrefait doit être repéré aux comptoirs en pharmacie. Les pharmacies d’officine ne seront pas les seuls gardiens de la sérialisation, les pharmacies hospitalières auront bien sûr les mêmes obligations. Mais pour ce qui concerne les officines, c’est actuellement bien mal engagé. En effet, les obligations seront plus lourdes qu’il n’y paraît. Pour Mélanie Voron, chargée du marketing chez Smart Rx, le pharmacien aura trois nouvelles obligations : « tout d’abord s’assurer que la boîte n’aura pas été ouverte en contrôlant la pastille d’inviolabilité apposée par les laboratoires lors du conditionnement, vérifier ensuite que la boîte peut être dispensée auprès du répertoire national de vérification (NMVS, la base de données nationale à laquelle les acteurs de la chaîne du médicament vont devoir se référer, N.D.L.R.), et déclarer la dispensation de la boîte. La deuxième étape va impliquer que le pharmacien scanne individuellement chaque boîte dispensée, le logiciel doit donc évoluer pour lire le numéro de série qui sera intégré dans le code Datamatrix de chaque boîte. »
Les éditeurs de LGO ne sont pas prêts
Et c’est là que le bât blesse. Dans l’état actuel des choses la plupart des éditeurs de LGO, en tout cas ceux représentés dans la Fédération des Éditeurs d’Informatique Médicale et paramédicale Ambulatoire (Feima), n’ont pas l’intention d’assurer les développements nécessaires, compte tenu des relations tendues que la Fédération entretient avec France MVO, l’opérateur désigné par les autorités publiques pour gérer la sérialisation des médicaments en France. Pour Denis Supplisson, directeur général délégué de Pharmagest et vice-président du collège pharmaciens de la Feima, « on a ignoré les paramètres des pharmaciens, aucun modèle économique n’est proposé, et les spécifications ne sont pas claires, notamment du point de vue de l’authentification, on ne peut imposer aux pharmaciens un nouveau modèle d’authentification. » Concernant les spécifications, Philippe Gendre, chef de projet chez France MVO, explique que tous les acteurs concernés par les développements informatiques ont accès depuis le printemps 2017 à un portail sécurisé où se trouvent toutes les spécifications fonctionnelles, ainsi qu’une plateforme de tests, ce portail donne également la possibilité de faire appel à une hot-line technique. « Près d’une vingtaine d’éditeurs spécialisés en informatique hospitalière ont passé avec succès les tests et seront prêts pour le mois de février prochain. Il est vrai que l’informatique des établissements hospitaliers est différente de celle des pharmacies d’officine, elle est complexe avec notamment des logiciels différents selon les différentes tâches des hôpitaux (gestion de stocks, gestion économique et financière), voire une informatique intégrée sur le modèle des ERP, qui nécessite un travail important en termes d’opérabilité » Mais Philippe Gendre réaffirme qu’il n’y a pas de différence technique entre les différents acteurs concernant l’accès à la base de données nationale. Pour Denis Supplisson, les spécifications en question ne sont pas assez claires, et les éditeurs expliquent qu’ils ne veulent pas assumer des développements qui seraient contredits ensuite. Concernant le modèle économique, le règlement délégué (document de référence de la sérialisation) ne donne pas à France MVO la mission de répondre aux inquiétudes des éditeurs de LGO qui annoncent des investissements de plusieurs centaines de milliers d’euros chacun. L’organisme entend bien que cela représente un enjeu financier. Les pouvoirs publics pourraient être en mesure d’apporter une éventuelle réponse à ces inquiétudes, même si pour certains, il paraît difficile que ces mêmes pouvoirs publics puissent apporter une aide à des financements privés. Des réunions devraient avoir lieu dans les semaines qui viennent.
Le risque pour les pharmaciens est dans ce contexte tendu tout simplement de ne pas pouvoir assumer leurs obligations réglementaires à partir du 9 février prochain, car il n’existe pas d’autre moyen que la connexion automatique au NMVS par le biais de leur LGO pour remplir ces obligations, si ce n’est de se connecter soi-même à la base, ce qui est difficile et peu pratique, et pour tout dire, assez peu envisageable. D’après Philippe Gendre, un éditeur de LGO a passé avec succès les tests, et de fait, Winpharma affirme qu’il sera prêt en temps voulu, même si l’éditeur n’a pas souhaité en dire plus. Les éditeurs de LGO, faut-il préciser, n’ont aucune obligation de rendre leurs logiciels compatibles avec les obligations liées à la sérialisation des médicaments, même si Philippe Gendre apporte une nuance à ce constat, parlant de « logiciels appropriés » mentionnés dans le règlement délégué. Sans doute est-ce la raison pour laquelle ils ont tardé à se pencher sur le sujet, sachant qu’il existe une solution alternative, qui, on l’a vu, n’est pourtant guère pratique.
Du travail supplémentaire pour les pharmaciens
Pour les pharmaciens qui pourront se connecter à cette base nationale, il y aura une manipulation supplémentaire. Philippe Gendre affirme que dans les officines la vérification des dispositifs de sécurité et la désactivation de l’identifiant unique doivent se faire au moment de la dispensation au patient. Il pourrait cependant être envisagé de scanner la boîte au moment du chargement du robot, si l’officine en dispose, la vérification étant effectuée au moment de la dispensation après la sortie du robot qui enverra toutes les informations au LGO, lui-même connecté au NMVS. Si toutefois le fabricant de robot fait ce qu’il faut pour permettre l’envoi des infos lues par le scan au LGO. « Nous pourrions effectivement le faire, sous réserve cependant que l’éditeur de LGO fasse les mises à jour nécessaires », explique Laure Tardivel, directrice marketing de BD Rowa France. « C’est aux éditeurs de LGO de faire le nécessaire. » Mais quel que soit le moment où cela sera fait, le scan va concerner toutes les boîtes, alors qu’aujourd’hui, les équipes officinales ne scannent qu’une seule boîte quand il y a plusieurs exemplaires du conditionnement d’un médicament. Et s’il s’avère que le médicament en question ne fait pas partie du NMVS, le pharmacien ne pourra pas le vendre.
Les grossistes répartiteurs aussi
D’autres acteurs de la chaîne du médicament seront impactés, tels les grossistes répartiteurs. « Nous le serons pour tous les retours de médicaments émanant des pharmaciens, soit des erreurs de commandes, soit des produits dont la date de péremption est dépassée, ainsi que dans certains cas tout à fait spéciaux, les médecins pro pharmaciens, ceux qui dans des régions très isolées ont l’autorisation de dispenser des médicaments, les centres d’addictologie également qui manipulent des produits stupéfiants », explique Emmanuel Déchin, délégué général de la Chambre Syndicale de la Répartition Pharmaceutique (CSRP). « Certes, cela ne représente pas des volumes considérables, cela nous oblige néanmoins à faire en sorte que nos systèmes d’information soient en mesure d’accéder à la base de données NMVS, et aussi d’adapter nos systèmes en cas de réponses du NMVS. Il faut que le système soit capable de savoir quoi faire dans ces cas-là. » Emmanuel Déchin estime que les grossistes répartiteurs seront prêts en février prochain, ce que Véronique Jung, directrice qualité et affaires pharmaceutiques chez OCP confirme. « S’il y a alerte, il faut bloquer le produit, alerter les autorités. Ça paraît simple, mais c’est assez lourd au plan informatique. Mais il y a aussi un impact sur l’organisation de nos établissements, car puisqu’on nous demandera dans certains cas précis de désactiver l’identifiant unique d’une boîte, il faut revoir certains de nos process et former les opérateurs. » Le grossiste se prépare aussi à répondre aux questions des pharmaciens, par exemple comment fait-on avec les boîtes de stupéfiants ? Mais pour l’essentiel, les réponses viendront des éditeurs de LGO. « Les LGO non mis à jour, ce sera un problème pour tout le monde », craint Véronique Jung.
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %