« LA CHAÎNE du froid en officine est l’exact inverse de celle de l’industrie agroalimentaire » pose d’emblée Nicolas Cuffel, gérant de CCF Technologies. « Quand les produits alimentaires se trouvent hors de la fourchette haute des températures de conservation nécessaire, le nombre de bactéries qui s’y développent double toutes les vingt minutes, tandis qu’en pharmacie un petit excès de chaleur est tolérable. Mais en revanche, le gel peut tuer les médicaments, en particulier les vaccins, en une demi-seconde, alors qu’il n’est pas très grave pour les produits agroalimentaires. » D’où la nécessité de disposer d’une méthode et d’un matériel propres à l’univers pharmaceutique. Mais contrairement à l’industrie agroalimentaire, très réglementée en matière de gestion de la chaîne du froid, celle du médicament ne dispose d’aucune réglementation spécifique. Ce qui parfois perturbe les prestataires : « il faudrait un cahier des charges strict » observe Jean-Pierre Dutour, gérant d’AJPL Pharma. Pour l’instant, la seule norme existante est la NFX 15 140 établie par l’Afnor relative aux enceintes climatiques et thermostatiques, tous secteurs confondus. Une réglementation permettrait aux différents acteurs du marché de structurer leur offre et d’une certaine manière de réduire les propositions fantaisistes qui sont faites aux pharmaciens, dénoncées par certains de ces prestataires.
Pas de vide pour autant, le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens (CNOP) a réactualisé et élargi ses recommandations à la fin de l’année dernière, et presque tous les prestataires interrogés y font référence. « Nous calquons notre politique sur les recommandations de l’Ordre » affirme ainsi Laurent Donnier directeur général de Medifroid. Et pour les pharmaciens, c’est un véritable guide qui leur permet de s’y retrouver dans cette chaîne du froid truffée de petits pièges et fort complexe à gérer. Pas de vide juridique non plus car si effectivement ces recommandations n’ont, par définition, pas de caractère obligatoire, en cas de poursuite pénale, un pharmacien est tenu de prouver la traçabilité des produits du froid selon le Code de la Santé publique.
Homogénéité des températures.
Le principal enjeu pour les pharmaciens est le stockage des médicaments thermosensibles, de plus en plus nombreux et coûteux, selon Jean-Pierre Dutour. Longtemps les réfrigérateurs domestiques ont assuré le stockage, chose déconseillée par la plupart des prestataires puisque ces frigos peuvent avoir des écarts de température supérieurs à ce que le Code de la Santé publique exige, c’est-à-dire une fourchette qui va de +2 à + 8 °C. Des niveaux de température jugés contraignants : « il est plus facile d’assurer une gestion du froid à des températures très basses, -25 °C par exemple » affirme ainsi Joël Cinier, Président de Froilabo. Par ailleurs, il faut assurer une ventilation de l’air pour maintenir une homogénéité des températures. Autant d’impératifs qui conduisent les pharmaciens à aller vers des enceintes frigorifiques professionnelles adaptées à leur métier. Or, il n’est pas facile de faire son choix dans les produits proposés par les prestataires. C’est pour cette raison que le CNOP a fait des suggestions très précises pour identifier les « bonnes » certifications qui peuvent aider les officinaux dans leurs décisions.
Il a, dans un premier temps, estimé que les spécialistes de la chaîne du froid devaient en effet faire qualifier leurs enceintes frigorifiques auprès d’organismes eux-mêmes certifiés COFRAC, le comité français d’accréditation. Cette qualification devait avoir lieu dans l’officine et non chez le prestataire. Les conditions extérieures influent sur ces enceintes, la place qu’on leur attribue, leur exposition à la lumière, la température ambiante… Cela supposait des prestations coûteuses. « Du point de vue technique, ces recommandations sont tout à fait justifiées, mais elles sont très difficiles à mettre en œuvre » objecte Joël Cinier. « Le CNOP précise que la température de ces enceintes doit être prise en différents endroits du volume utile et pendant 24 heures, cela suppose donc au moins deux, voire trois jours d’intervention, ce qui peut conduire à des tarifs supérieurs à 2000 €, mais surtout, compte tenu du nombre de pharmacies en France, il est impossible de qualifier toutes les enceintes frigorifiques. » Des objections entendues par le CNOP. « Ce ne sont finalement pas les enceintes frigorifiques qu’il faut certifier, mais les sondes de froid » précise Jean Arnoult, président du conseil régional de l’ordre dans le Nord Pas-de-Calais, qui a présidé au groupe de travail du CNOP sur la chaîne du froid.
Ce dilemme, qui n’en est plus un désormais car l’évolution du CNOP est toute récente, a conduit Medifroid à proposer des solutions qui permettent aux pharmaciens de qualifier eux-mêmes et en partie ces enceintes, grâce à des kits équipés de sondes et d’un boîtier relié à l’informatique de l’officine capable de restituer les températures et leur évolution en neuf points de l’enceinte.
Sondes de froid.
L’autre grande affaire de la chaîne du froid est donc le suivi des températures. Les « petits » accidents sont légions, des ruptures de courant la nuit ou les jours de fermeture qui passent inaperçues. Le CNOP recommande de relever les températures en quasi-continu grâce à des systèmes reliés à l’informatique de l’officine. De nombreux types d’enregistreurs de températures, appelées aussi sondes de froid, existent et la tendance aujourd’hui est aux enregistreurs électroniques, plus fiables et capables de suivre les températures de façon plus constante que les enregistreurs mécaniques ou les simples thermomètres. Certains prestataires proposent des solutions très automatisées de façon à décharger les pharmaciens car la traçabilité en continu de la chaîne du froid deviendrait vite fastidieuse ! « Ce sont des solutions qui combinent enregistreurs de température à l’intérieur de l’enceinte, un boîtier électronique placé à l’extérieur et branché sur le réseau informatique ou ADSL de la pharmacie » explique Benoît Macé, responsable de Plug & Track chez l’éditeur informatique Proges Plus, « les données sont archivées dans notre plate-forme de surveillance et mises à la disposition du pharmacien, avec également un système d’alerte en cas de problème constaté. » Mieux, des solutions englobant les enceintes frigorifiques, les enregistreurs et le suivi de températures sont proposées par divers prestataires, apportant ainsi l’essentiel du traitement de la chaîne du froid en officine.
L’essentiel, mais pas la totalité, car en amont et en aval se posent d’autres préoccupations. Mais en amont, la réception des médicaments thermosensibles, est relativement peu prise en compte par les fournisseurs de systèmes. « Le CNOP n’a pas mis ce point en valeur » justifie Laurent Donnier (Medifroid commercialise néanmoins un outil de prise de température instantanée). Non que les recommandations de l’Ordre soient muettes sur ce point mais elles privilégient les bonnes pratiques et ne se prononcent pas sur les outils à posséder pour ce premier maillon de la chaîne du froid en officine, considérant qu’il appartient d’abord aux laboratoires pharmaceutiques et aux répartiteurs d’en assurer la bonne gestion. Quant à l’aval, la dispensation des médicaments thermosensibles, elle se heurte à plusieurs difficultés. « Le flux des produits thermosensibles entre le pharmacien et le patient est le plus compliqué » souligne Antoine Soulas, directeur général délégué de Kalibox, fabricant d’emballages isothermes. « L’usage des petites pochettes isothermes est soumis à des contraintes fortes qui nécessitent une bonne information du patient et par conséquent du pharmacien. » « Ces pochettes apportent une fausse sécurité, ajoute Jean Arnoult, car la durée de leur protection est courte, de vingt à trente minutes environ. » De plus, l’usage de ces pochettes isothermes pose un problème économique délicat à résoudre, car relativement chères à l’unité, on ne sait pas qui doit les payer, le pharmacien, le patient, la sécurité sociale…
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %