Le Chine, premier producteur de substances actives

Y a-t-il un risque pour l'approvisionnement en médicaments ?

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Publié le 17/02/2020
Outre ses conséquences sanitaires, le coronavirus Covid-19 impacte fortement l’économie chinoise. Ses sites industriels au ralenti et ses frontières fermées empêchent l’approvisionnement mondial dans de nombreux secteurs, y compris dans celui des médicaments dont la Chine est un très grand pourvoyeur de matières premières. L’accès à certains médicaments pourrait-il être remis en cause à court ou moyen terme ?

Et si les mésaventures du valsartan, fabriqué en Chine, qui ont entraîné des rappels mondiaux de médicaments et des tensions d’approvisionnement à partir de l’été 2018, n’étaient que les prémices d’une crise mondiale concernant tous les médicaments ? C’est la crainte à peine voilée émise mercredi par l’Académie nationale de pharmacie. Toute l’économie mondiale est aujourd’hui touchée par la situation de la Chine et l’industrie de santé ne fait pas exception. Selon l’Académie de pharmacie, environ 60 % des matières premières des médicaments sont fournies par la Chine et l’Inde. Et si l’Inde est bien le premier producteur de génériques au monde, 70 % de ses substances actives proviennent de Chine… Ce qui ne laisse pas d’inquiéter.

Pour l’Académie de pharmacie, « la preuve est faite une nouvelle fois que, du fait de la multiplicité des maillons de la chaîne de production, il suffit d’une catastrophe naturelle ou sanitaire, d’un événement géopolitique, d’un accident industriel, pour entraîner des ruptures d’approvisionnement pouvant conduire à priver les patients de leurs traitements ». Depuis 2011, l’instance ne cesse de dénoncer les effets pervers de la mondialisation et de la délocalisation à outrance. Elle déplore la « perte quasi complète d’indépendance de l’Europe en sources d’approvisionnement en matières actives pharmaceutiques (qui) se conjugue à l’éventuelle perte du savoir-faire industriel correspondant », et appelle à relocaliser « la fabrication des matières actives pharmaceutiques tenues pour stratégiques au plan de la protection de la santé publique ». Une recommandation attendue de la part de Jacques Biot, missionné en octobre dernier par la ministre de la Santé pour analyser les raisons industrielles des ruptures de stock, dont le rapport était attendu pour le mois de janvier 2020.

Aucune pénurie à ce stade

Pour le moment, les laboratoires pharmaceutiques se veulent rassurants. Le Français Sanofi affirme avoir plusieurs fournisseurs d’ingrédients pour ses « matières premières clé afin de limiter le risque de rupture d’approvisionnement ». La situation concernant le Doliprane interpelle pourtant : 60 % de la production mondiale du paracétamol vient de Chine. En Europe, la dernière usine de production de la matière première a fermé ses portes, en Isère, en 2008. Mais Sanofi rassure encore : « Pour Doliprane, nos fournisseurs sont en Asie, en Europe et aux États-Unis. » Même discours rassurant du côté du britannique GSK qui se dit « préparé à ce genre de problème », et de l’Américain Pfizer et sa filiale générique Upjohn : « La situation est sous surveillance rapprochée et ne révèle aucune perturbation à ce stade. » D’autant, ajoute-t-il, que la majorité de ses médicaments et des substances actives utilisées ne viennent pas de Chine. En outre, la situation exceptionnelle du Brexit a incité les fabricants de médicaments à augmenter leurs capacités de stockage, ce qui offre un confort supplémentaire face au risque de rupture d’approvisionnement.

Cependant, ces exposés pourraient être moins optimistes si la paralysie économique et industrielle de la Chine devait se prolonger. Pour le Syndicat de l’industrie chimique organique de synthèse et de la biochimie (SICOS-Biochimie), il ne faudrait pas que la situation actuelle se prolonge plusieurs mois étant donné la dépendance mondiale aux matières premières produites en Chine. Outre le paracétamol, 50 % de l’ibuprofène et 90 % de la pénicilline y sont fabriqués*. De son côté, le génériqueur indien Cipla affirme que la matière première « commencera à manquer pour la plupart des laboratoires pharmaceutiques d'ici à la fin du mois, sauf à ce que la production reprenne en Chine »**. Il indique que, face à une offre qui tend à se raréfier, les prix augmentent déjà à la source.

Anticiper le risque

L’épidémie de Covid-19 en Chine a des conséquences sur « beaucoup de chaînes de valeur dans beaucoup de secteurs industriels », a reconnu le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, jeudi matin. Et n'épargne pas l'industrie du médicament. Or, a-t-il rappelé, « en 2003, quand il y a eu l'épisode de SRAS, la Chine c'était à peu près 8 % de la richesse mondiale, aujourd'hui c'est près de 20 % ». La menace est en tout cas prise au sérieux par les ministres de la Santé de l’Union européenne. Au sortir d’une réunion extraordinaire jeudi matin, les 27 ministres européens ont alerté sur de possibles problèmes d'approvisionnement en médicaments et équipements de protection en provenance de Chine. Selon la ministre de la Santé française, Agnès Buzyn, « la plupart des fabricants des équipements (de protection) sont situés en Chine et sont eux-mêmes en rupture de stock ».

Lors d’un point presse jeudi soir, elle a toutefois tenté d’apaiser les esprits. « Aujourd’hui, il n’y a aucune pénurie de médicaments due à l’épidémie en cours. Nous avons des stocks, et comme la plupart des médicaments sont acheminés par bateau en plusieurs semaines, d’autres vont arriver. » De plus, ajoute-t-elle, cette épidémie a coïncidé avec le nouvel an chinois, moment où les usines tournent au ralenti en Chine et qui est compensé par les industriels par une production plus importante en amont. Pour autant, il est nécessaire d’anticiper toute éventuelle menace. C’est pourquoi Agnès Buzyn a confié à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de faire un état des lieux de la situation et d’évaluer les impacts possibles si l’absence de production de matières premières en Chine se prolonge. Les industriels du médicament ont été sollicités pour fournir les informations nécessaires et « se mettent à la disposition des autorités de santé, sous l’égide de l’ANSM et de la Direction générale de la santé », précise le LEEM. Une mission similaire a été confiée, au niveau européen, à l’Agence européenne du médicament (EMA). « Je le répète, il n’y a pas d’inquiétude à ce jour mais nous anticipons pour évaluer s’il est nécessaire de prendre des mesures. »

* « L’Usine du monde à l’arrêt, l’industrie européenne s’inquiète » in Le Monde, 8 février 2020.
** « Drugmakers braced for coronavirus disruption to China supplies » in Financial Times, 12 février 2020.

Mélanie Mazière
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Source : lequotidiendupharmacien.fr