Vaccin contre le Covid-19

Une prise de risque industrielle immense

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Publié le 30/10/2020
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L’accélération des processus de recherche et de développement n’est pas sans conséquence. Pour les industriels inscrits dans la course aux vaccins contre le Covid-19, le partage des risques est indispensable pour oser se lancer. Exemple chez Sanofi Pasteur.
La course aux vaccins contre le Covid-19 nécessite un partage de risques avec les Etats

La course aux vaccins contre le Covid-19 nécessite un partage de risques avec les Etats
Crédit photo : Phanie

Fleuron français du vaccin, Sanofi Pasteur est entré dans la course aux vaccins contre le Covid-19. Mais pour aucun industriel, même expert du domaine, cela ne constitue une évidence tant les risques engagés sont immenses. Deux approches vaccinales sont en cours d’essais : un vaccin protéique adjuvé en collaboration avec GSK et un vaccin à base d’ARN messager en partenariat avec Translate Bio.

Le premier est le plus avancé, touchant à la fin des essais cliniques de phase II. S’il passe toutes les étapes de son développement sans encombre, il pourrait être disponible au deuxième semestre 2021. Soit un développement en un an et demi au lieu des 10 années habituellement nécessaires au développement d’un vaccin. Pour accélérer si fort cette mise à disposition potentielle, Sanofi doit augmenter sa prise de risque. Il promet ainsi de lancer la production des lots de vaccins dès que son produit sera en phase III d’essais cliniques afin d’être en capacité de fournir 300 millions de doses dès le premier jour de son homologation. Le risque ? Que le vaccin ne parvienne pas à passer les prochaines étapes de développement et n’obtienne pas d’autorisation de mise sur le marché. La mobilisation des moyens de production comme des unités de recherche pourraient donc potentiellement se faire à perte.

Deux vaccins dans les congélateurs

« Il y a eu des précédents, d’abord avec le virus SARS-CoV-1 en 2003-2004. Sanofi Pasteur a investi dans un vaccin, les étapes précliniques ont été franchies, une cinquantaine de nos meilleurs chercheurs se sont mobilisés sur le sujet pendant deux ans, nous avons produit des lots de vaccins et… le SARS-CoV-1 a disparu. Nos lots n’ont jamais été utilisés », se souvient Jean Lang, vice-président R & D chez Sanofi Pasteur. Quelques années plus tard, le laboratoire s’est penché sur le développement d’un vaccin contre la fièvre du Nil occidental. « Nous sommes allés jusqu’en phase II, nous avons publié, mais il s’est finalement avéré qu’il n’y avait pas de besoin de santé publique. Résultat, nous nous retrouvons avec deux vaccins qui restent dans les congélateurs. Ce n’est évidemment pas bon pour l’industriel, mais c’est surtout mauvais pour la santé publique parce que nous mobilisons les chercheurs sur un sujet et pendant ce temps-là ils ne travaillent pas sur d’autres vaccins également nécessaires. »

Le modèle BARDA

C’est pourquoi l’industrie pharmaceutique se réjouit de l’annonce de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, à la mi-septembre, de fonder une agence sanitaire européenne sur le modèle du BARDA américain (Biomedical Advanced Research and Development Authority). Cet organisme créé en 2006, dépendant du ministère de la Santé et disposant d’un budget annuel de 1,6 milliard de dollars, a pour mission d’anticiper les crises sanitaires. Elle doit assurer la disponibilité en quantité suffisante des traitements nécessaires, financer les laboratoires à la fois dans la recherche et dans la production à grande échelle, superviser les approvisionnements et faciliter les démarches administratives. L’efficacité de ce dispositif unique n’est plus à démontrer. « Un BARDA européen nous permettrait de travailler en préparation et non en réaction, cet organisme pourrait apporter son financement à toutes les étapes et ainsi « dérisquer » la participation des industriels », remarque Jean Lang.

En attendant la création d’une telle agence, l’Europe et ses États membres parviennent à des accords avec les industriels, notamment par le biais de précommandes des futurs vaccins, afin de soutenir la R & D. Plus qu’une aide, il est nécessaire de trouver des incitations pour que la prise de risque soit acceptable. « Quel industriel veut assumer un tel risque seul, alors qu’il peut continuer à faire du vaccin contre le papillomavirus qui sera plus rentable pour lui ? », questionne Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève. C’est tout l’enjeu de la participation de la puissance publique pour que les groupes pharmaceutiques puissent répondre à la demande tout en maintenant leur production d’autres vaccins et leur portefeuille de produits en développement.

D’après le colloque Pharmacité Recherche du 22 octobre.

Mélanie Mazière

Source : Le Quotidien du Pharmacien