ARN messager, biopsies liquides, traitements personnalisés…

Stéphane Bancel : « la pharmacie c'est vraiment le futur ! »

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Publié le 26/10/2023
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Invité d'honneur de la 24e Journée de l'économie de l'officine, Stéphane Bancel, l'emblématique patron français du laboratoire américain Moderna, a livré sa vision du rôle du pharmacien dans les années qui viennent. Interrogé depuis son laboratoire de Cambridge, dans le Massachusetts, aux États-Unis, il s'est longuement expliqué sur les découvertes actuelles ou à venir issues de l'ARN messager. Quelle sera la place du pharmacien d'officine dans cette révolution thérapeutique qui a déjà commencé lors de la crise sanitaire du Covid ? Ses réponses directes, parfois surprenantes, ont de quoi rassurer une profession qui a fait ses preuves durant la pandémie.

Stéphane Bancel

Le Quotidien du pharmacien.- Récemment, un journal français vous a présenté comme « l'homme qui veut nous guérir de tout ». Où en sont vos projets en matière de vaccins ? On parle d'une trentaine qui serait en cours de développement, dont un contre le sida. Est-ce que vous pouvez nous confirmer ces informations ?

Stéphane Bancel.- Oui, effectivement. Nous avons à peu près une trentaine de vaccins en développement. Notre objectif au niveau des maladies respiratoires, c'est d'avoir une dose unique annuelle qui comprenne le Covid, le VRS et la grippe. On travaille aussi beaucoup sur les virus latents et, comme vous l'avez dit, sur des virus émergents comme le sida.

En début d’année, les premiers essais du candidat vaccin à ARNm contre la grippe développé par Moderna ont un peu déçu, notamment sur certains sous-types B du virus. Peut-on néanmoins espérer qu’un tel vaccin verra le jour ?

Oui, je le crois. Avec beaucoup de chance… Effectivement, sur la souche B, nous n'étions pas satisfaits. Mais l'avantage de la technologie de l'ARN messager, c'est d'être un peu comme un Lego. C’est-à-dire qu'on peut modifier les choses ; en l'occurrence on a modifié les antigènes. On a ainsi pu relancer une nouvelle étude de phase trois au printemps dernier dont nous pourrons livrer les résultats dès cet automne. Je pense que les problèmes ont été réglés. Ce sont les données cliniques qui le diront. Si tel est le cas, nous les soumettrons immédiatement aux agences réglementaires. Une approbation pour l'automne 2024 est, selon moi, encore possible.

Vous l'avez dit, c'est l'un des avantages de la technologie des vaccins à ARN messager, en 48 heures on peut pratiquement adapter un vaccin à un autre sous-type. Est-ce que cela va changer quelque chose dans les campagnes de vaccination contre la grippe, en termes d'adaptation des vaccins aux souches circulantes et de délais de production ?

Effectivement, c'est un grand changement. Comme vous le savez, c'est en tenant compte des technologies existantes, celles des œufs ou des protéines utilisées pour les vaccins disponibles en officine aujourd'hui, que l'OMS essaie de deviner, en février de l'hiver d'avant, quelles vont être les souches qui arrivent l'hiver d'après. Cela fonctionne bien la plupart du temps, mais à peu près une année tous les quatre ou cinq ans, on n'a pas visé la bonne souche. Ce qui, bien sûr, entraîne beaucoup plus de maladies, d'hospitalisations et de morts que prévu. Avec l'ARNm, on pense pouvoir adapter le vaccin à chaque fois, comme on l'a fait avec notre vaccin contre le Covid. Comme vous savez, l'année dernière la souche BA.5 d'Omicron a été désignée par les autorités réglementaires fin juin 2022. Cette année, en juin 2023, on a identifié le XBB.1.5, et c'est donc le vaccin que nous avons développé.

Donc effectivement, on a maintenant démontré que, en deux mois, on était capable de concevoir un nouveau vaccin et de le mettre à la disposition des officines. Comme vous l'avez dit, c'est un peu moins de 48 heures pour le design sur ordinateur du vaccin en modifiant les acides aminés du ou des antigènes souhaités. Donc je pense que la technologie de l'ARNm constitue effectivement un grand changement. Sans compter cette possibilité de combiner plusieurs valences, telles que nous l'avons déjà fait avec le Covid et la grippe ou le VRS. Nous allons avoir de plus en plus de combinaisons qui vont apparaître, nous permettant en fait d'avoir une meilleure protection et ne pas avoir besoin de pratiquer plusieurs vaccinations. Car le problème avec les vaccinations multiples, c'est que les gens ne se souviennent pas toujours des échéances vaccinales et qu'ils sont alors moins enclins à se faire vacciner vis-à-vis de tous les virus contre lesquels ils auraient pourtant besoin de se protéger.

Le mouvement antivax est puissant et multiforme. Il a vu son apogée durant la crise du Covid. Est-ce que la forte exposition de ce mouvement vous impose désormais une veille particulière et, plus largement, modifie la stratégie de communication de Moderna ?

Je pense qu'il faut qu'on fasse encore davantage pour éduquer les populations. On est face à un phénomène porté par les réseaux sociaux. Beaucoup de choses sont écrites, qui sont un peu, scientifiquement, n'importe quoi. Comme les autres laboratoires, nous devons faire œuvre de pédagogie. C'est aussi, selon moi, le rôle des gouvernements et bien sûr également celui des pharmaciens et des médecins. Il s'agit de s'éduquer soi-même pour éduquer les consommateurs. On ne le répétera jamais assez, les vaccins ont eu un impact révolutionnaire au cours de ces cent dernières années et ont sauvé énormément de vies. C'est sans doute une des plus grandes découvertes scientifiques médicales du siècle. Il est donc important de ne pas retourner en arrière. On commence en effet à observer dans quelques pays, comme les États-Unis, les pires effets des campagnes antivax. Dans certains endroits les parents ne vaccinent plus leurs enfants, même avec les vaccins les plus essentiels. Nous avons donc un rôle important à jouer pour regagner cette confiance. A contrario, il existe des pays où le problème n'est pas aussi important. En Europe le Portugal, par exemple, est sans doute le pays qui a le plus haut taux de vaccination contre le Covid, y compris pour les rappels. Il faut que cette culture de la vaccination diffuse d'un pays à l'autre. Mais effectivement, je le répète, tous les laboratoires, ainsi que bien sûr les pharmaciens et les médecins, ont un rôle important à jouer dans cette éducation.

Quelles sont les perspectives concernant vos recherches contre le cancer ? Je rappelle d'ailleurs que c'était au départ la vocation de Moderna.

En effet, et c'est sans doute le chapitre qui, je pense, va le plus surprendre les gens. On a effectivement présenté à deux grands congrès d'oncologie au printemps 2023, il y a quelques mois, des données assez remarquables sur le mélanome. On a montré 60 % de réduction de métastases par rapport au meilleur traitement existant aujourd'hui, qui est le Keytruda de la société MSD. En immunothérapie, nous avons déjà plusieurs pistes pour améliorer ces résultats. Notre outil industriel permet de produire plus rapidement ces traitements, qui sont en fait individualisés, et c'est un grand changement. Au lieu que plusieurs patients aient le même médicament, on va au niveau de l'individualisation. Pour résumer, on démarre en prenant une biopsie faite par le corps médical lors du diagnostic du cancer. Biopsie qui nous permet ensuite de faire un produit différent pour chaque personne. C'est un médicament sur mesure, personnalisé.

Ces traitements sur mesure seront-ils dispensés dans les officines de ville ?

Oui, je pense qu'il y aura un rôle pour le pharmacien, important dans la durée, avec ces nouveaux traitements. L'amélioration du diagnostic, grâce à ce qu'on appelle les biopsies liquides, offre la capacité de découvrir des petits bouts de fragments d'ADN de cellules cancéreuses dans le sang. Ces nouvelles méthodes diagnostiques sont de plus en plus disponibles, avec des données de spécificité et de sensibilité excellentes. Je pense que la médecine de demain en oncologie, à l'horizon de trois à cinq ans, reposera sur un check-up annuel, comme on vérifie son cholestérol et d'autres paramètres en biochimie. On fera la même chose au niveau génétique sur le cancer, avec une prise de sang toute simple. Si le résultat est positif, on fabriquera un médicament personnalisé pour chaque individu, et ce médicament sera envoyé en officine. Le produit Moderna pour le cancer utilise la même technologie que pour un vaccin, mais en thérapeutique, pas en préventif. Le traitement utilise la force de notre système immunitaire, pour que vos lymphocytes T détruisent littéralement vos cellules cancéreuses. Et je pense que le rôle du pharmacien sera vraiment important car, comme c'est un produit très simple à administrer, il pourra être dispensé en officine.

D'ici trois cinq ans, vous dites ?

Absolument, d'ici trois à cinq ans. On a des données qui montrent qu'on sera capable sur le mélanome de faire un dépôt de dossier accéléré, vu que les données sont très bonnes, sans doute à l'horizon 2025. Et je pense que cette technologie marchera dans d'autres types de cancer. On va démarrer d'ici à la fin de l'année avec le cancer du poumon, mais aussi le cancer des reins et le cancer du sein. Donc je pense qu'il y a pas mal de choses intéressantes qui vont démarrer très rapidement.

Avec le recul, comment expliquez-vous que la France, qui est le pays de Pasteur, n'ait pas été capable de lancer plus rapidement un vaccin contre le Covid ?

Il y a un aspect d'abord technologique qui est effectivement le fait que le vaccin BioNTtech-Pfizer et le vaccin Moderna sont deux vaccins à ARN messager. Je pense que l'investissement sur ces nouvelles technologies a un peu manqué en France. Il faut voir aussi que les politiques tarifaires en France ont fait que l'industrie pharmaceutique, il y a 20, 30 ou 40 ans, était un des fleurons de l'industrie française. C'était également une industrie très forte au niveau européen et même mondial. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, malheureusement. Donc, je pense que revenir à des investissements de base sur des nouvelles technologies et la nouvelle science est très important. On parlait tout à l'heure des biopsies liquides, et je ne connais pas de grosses sociétés françaises qui se soient vraiment lancées dans ce domaine, ou en tout cas qui soient des acteurs majeurs dans les biopsies liquides qui, je pense, vont être le futur du diagnostic en oncologie. Donc je pense vraiment que prendre des risques calculés et investir dans des technologies nouvelles est vraiment fondamental.

Et donc cette réussite dont vous avez fait preuve en 2021, vous n'auriez pas pu la réaliser en France ?

J'aurais pu la réaliser en France où il y a un terreau scientifique qui est excellent, aussi bien au niveau universitaire que dans quelques grandes sociétés de diagnostics ou pharmaceutiques. Mais ce qui manque beaucoup, je dirais, ce sont ces liens entre l'industrie et le monde académique, le monde du capital-risque, au niveau du financement. Il faut bien voir qu'à Moderna, on avait levé 5 milliards de dollars d'investissement avec zéro ventes. Ce sont des choses qui, en Europe, au niveau des mentalités, ne sont pas aussi bien acquises que cela devrait l'être.

La France attend un retour sur investissement plus rapide ?

Exactement.

Il faut dire aussi que là, vous êtes à Cambridge, à côté de Boston, dans vos bureaux de Moderna et que vous bénéficiez de tout un écosystème, à la fois universitaire, de financement, etc. C'est cet environnement qui n'existe pas forcément en Europe ou en France.

Exactement. Je le dis souvent aux politiciens européens, qui essayent tous de recréer cet environnement, un peu comme Cambridge, dans leur pays. Mais le problème, c'est qu'il n'y a aucun d'entre eux qui aura la taille critique pour être en concurrence réelle avec Cambridge. Ici donc, c'est un petit peu le challenge. Chaque pays essaie de créer son propre réseau, plutôt que de travailler ensemble sur un projet européen

Alors justement, pour rester sur cet aspect industriel et entrepreneurial. Il y a quelques mois, on a entendu parler d'un projet d'implantation d'une unité de production Moderna en France. Et puis plus rien. Où en est ce projet ?

Notre laboratoire a fait une dernière proposition au gouvernement français au printemps dernier. Celle-ci est encore en cours de discussion, mais nous ne pouvons malheureusement pas en dire plus car ces échanges sont confidentiels. Mais je vous confirme que Moderna a bien fait une nouvelle proposition en ce sens au printemps dernier.

Donc il y a peut-être un espoir. Tout n'est pas encore fini ?

Je suis un entrepreneur, donc je suis un optimiste par nature.

Pour finir sur l'aspect industriel et parler un tout petit peu chiffres. On a vu les difficultés assez récentes de votre concurrent BioNTech qui s'est trouvé au sortir du Covid dans une mauvaise passe. Est-ce que, vous-même, craignez l'après Covid ?

Oui, effectivement, les sociétés qui ont eu un rôle important dans la lutte contre le virus pendant la pandémie observent une diminution des volumes de production importante. Pour le comprendre, un simple calcul suffit. En 2021, lorsque les vaccins ont été lancés, j'ai reçu personnellement trois vaccins, les deux initiaux plus le rappel à l'automne 2021. Cette année je devrais n'avoir qu'un seul vaccin. Ce qui revient à dire qu'on passe de 3 à 1. Donc, on a bien une diminution énorme des volumes, de l'ordre de 66 %. Et puis il faut aussi prendre en compte le fait que lors des saisons précédentes, selon les pays, les rappels étaient soit obligatoires - avec parfois la mise en place de passes sanitaires -, soit fortement recommandés. Cette année, je pense qu'il y a beaucoup de gens qui hésiteront à se faire vacciner. Notamment parmi les jeunes adultes, qui sont beaucoup moins à risque que les personnes plus âgées par exemple.

Ceci dit, la différence de Moderna par rapport à BioNTech, c'est que nous avons toujours eu une stratégie purement ARNm, tandis que BioNTech a une stratégie beaucoup plus centrée sur le cancer en développant des petites molécules chimiques, des protéines recombinées ou encore des produits de thérapie cellulaire. Donc une approche multitechnologies sur le cancer, alors que nous axons notre développement autour de la technologie de l'ARN messager, dans les domaines de l'infectiologie, mais aussi des maladies rares et de la cancérologie. Moderna est donc en effet beaucoup plus diversifié, avec aujourd'hui six produits en phase 3, y compris en oncologie. De même nous avons de très bons résultats sur les maladies génétiques rares du foie. Je pense que, d'ici à de deux ans, nous aurons des produits approuvés à proposer aux enfants atteints de ces affections. Comme vous le savez, le foie fabrique de très nombreuses protéines. Ce qui fait que déjà 1 500 maladies génétiques rares du foie ont été identifiées. Or avec la technologie de l'ARNm on peut changer rapidement la séquence et donc développer beaucoup de produits adaptés. Nous avons déjà six médicaments dédiés à ces maladies. Ce que nous allons essayer d'imaginer avec le régulateur, c'est comment approuver des médicaments destinés à des maladies qui touchent parfois seulement 30 enfants dans le monde. Comme c'est toujours la même technologie, la même chimie qu'on utilise, le processus de production est le même. Je pense pouvoir utiliser ce même outil pour inventer une médecine pour des maladies, ultra, ultra, ultra-rares ! Et ainsi redonner un espoir à ces parents, ces membres du corps médical et bien sûr à ces enfants.

C'est une vraie petite révolution que d'avoir une économie de développement qui permet d'aller chercher des maladies orphelines, des maladies extrêmement rares, ça change beaucoup la donne, non ?

C'est l'avantage de notre plateforme. Pour le comprendre il faut se rappeler ce qu'a été l'industrie pharmaceutique ces 100 dernières années. Lorsque j'étais moi-même chez Lilly, au début de ma carrière, j'ai fait de la « petite molécule » et de la « protéine ». Deux types de produits fabriqués avec des chaînes de production chaque fois différentes. Pourquoi ? Parce ce que les synthèses chimiques de molécules comme celles du Lipitor (atorvastatine, N.D.L.R.) ou du Prozac (fluoxétine, N.D.L.R.), n'ont rien à voir entre elles. Pour chacune, il fallait que l'outil industriel s'adapte pour décliner les étapes de la synthèse chimique qu'on écrivait au tableau lorsqu'on était étudiant.

L'avantage de l'ARNm, c'est que pour tous les vaccins Moderna on utilise 100 % la même chimie. Qu'il s'agisse de la grippe ou du VRS. En pratique, dans ces vaccins, le lipide qui encapsule l'ARNm est le même, et les quatre bases puriques* qui constituent les ARNm sont juste organisées de façon différente pour coder la protéine antigénique d'un virus ou d'un autre. C'est donc la même chimie et les réacteurs utilisés sont les mêmes pour tous nos vaccins. C'est ce qui a permis la vitesse hors normes de notre développement, celle qui a surpris tout le monde pendant le Covid. Là où le vaccin le plus rapide au monde prenait quatre ans pour sa mise au point, nous avons mis onze mois. Une autre raison de cette accélération tient dans le fait que nous avons été beaucoup aidés par les régulateurs qui ont procédé à des revues de dossiers beaucoup plus rapides. Mais on a été surtout énormément portés par la technologie qui permet, comme vous l'avez rappelé, de designer un produit en 48 heures sur ordinateur, sans jamais avoir besoin du virus.

Il faut savoir que Moderna, à ce jour, n'a jamais eu le virus du Covid, physiquement, dans ses laboratoires d'infectiologie ! Nous avons travaillé uniquement sur une donnée informatique, à savoir la séquence génétique du virus. C'est la seule information dont on avait besoin pour désigner le produit. Il s'agit là vraiment d'une révolution médicale qui va avoir beaucoup de répercussions.

Nous avons parlé d'infectiologie, d'oncologie, de maladies génétiques rares, mais il faut aussi évoquer une autre approche originale, celle du projet Vertex actuellement testé en clinique par Moderna. Vertex, c'est un ARNm inhalé qui vise le traitement de la mucoviscidose. L'idée est de faire inhaler la molécule qui va coder pour le gène entier de la mucoviscidose, qui est un très gros gène de 4 000 bases. Si ça marche, ce qu'on devrait savoir en 2024, on pourra décliner ce procédé sur de nombreuses maladies des poumons. Là encore on changera juste la séquence de l'information (l'ARNm, N.D.L.R.) en gardant la même chimie pour le lipide qui encapsule l'ARNm. C'est cette technologie de plateforme qui n'a peut-être pas vraiment existé avant dans le monde pharmaceutique. Donc c'est ça la vraie révolution.

Pour en revenir aux pharmaciens et à leur rôle possible dans cette révolution thérapeutique, le thème de la Journée de l'économie cette année porte sur les nouvelles missions. Les missions du pharmacien en France, comme dans d'autres pays, ne cessent en effet de s'élargir, notamment en matière de vaccination, mais pas seulement. Alors que pensez-vous de cette évolution et quelle doit être ou quel devraient être, selon vous, le rôle et la place du pharmacien dans le système de santé à venir ?

Alors je pense que la pharmacie, c'est vraiment le futur. C’est-à-dire que le pharmacien n'a pas été assez utilisé ces dernières décennies, vu la formation vraiment très solide qui est la sienne. Ce qui s'est passé pendant le Covid est un bon exemple, aussi bien au niveau diagnostic qu'au niveau des vaccinations. Le pharmacien, de par sa présence sur le territoire, et par le nombre de diplômés qu'il y a dans la plupart des pays, par ses connaissances scientifiques et par l'évolution technologique des produits, a et aura de plus en plus un rôle central. On parlait tout à l'heure des biopsies liquides. Il faut bien dire qu'aujourd'hui, pour diagnostiquer un cancer, c'est très compliqué. Si demain, c'est une simple prise de sang, on peut concevoir une officine qui évolue comme on commence déjà à le voir aux États-Unis. Il faut voir qu'il y a des groupes comme CVS, donc des grandes chaînes de pharmacies, qui commencent à investir pour équiper certaines officines d'un petit laboratoire, pas un laboratoire d'analyse biologique, mais une machine qui permet la prise d'échantillons.

Donc si on a déjà fait un grand pas en avant lors du Covid avec les tests et les vaccins, on peut aussi prévoir une évolution naturelle vers une médecine qui sera beaucoup plus personnalisée et beaucoup plus préventive. Les outils sont là, les coûts de diagnostic diminuent, et donc est-ce que le pharmacien a un rôle à jouer comme il l'a joué de manière très importante durant la crise sanitaire du Covid ? Imaginez le Covid sans les pharmaciens. Encore une fois, ce sont les pharmaciens qui ont fait du diagnostic et qui ont donné les vaccins. Sans eux, c'était ingérable ! Et donc, comme on revient maintenant dans un monde plus normal et qui se focalise sur le futur, je pense qu'avec les évolutions du diagnostic, et sa révolution technologique, l'utilisation des téléphones portables pour avoir accès à l'information entre le patient, le pharmacien, la prise de rendez-vous, etc., tous ces changements font qu'il y a une véritable opportunité pour réinventer le rôle du pharmacien. Un rôle beaucoup plus actif, beaucoup plus important en matière de santé publique et je pense que c'est très positif pour tout le monde.

* L'adénine, la guanine, la cytosine et l'uracile.

Propos recueillis par Jacques Gravier et Didier Doukhan

Source : Le Quotidien du Pharmacien