Depuis plus de dix jours, les pharmaciens d’Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine alertent sur une pénurie de vaccins antigrippe. C’est à contrecœur qu'ils doivent renvoyer des patients, pourtant motivés, sans aucune garantie qu’ils se feront vacciner auprès d’un autre professionnel de santé. En Lorraine, alors même que la région n’est pas encore concernée par la vaccination dans les officines, les ruptures se font également ressentir. « Il y a au moins vingt patients auxquels je ne peux pas délivrer le vaccin », déplore Eric Ruspini, titulaire à Gerbéviller (Meurthe-et-Moselle) appelant de ses vœux un calibrage plus adapté pour les commandes en décembre 2019.
Pourtant, assure Philippe Tcheng, président du LEEM (Les entreprises du médicament), lors d’un débat organisé le 13 décembre par l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) et le Cercle d’Hygie, cette année les laboratoires ont anticipé cet engouement en produisant 10 % de vaccins en plus qu’il y a un an.
Ces pénuries seraient-elles la rançon du succès de la vaccination antigrippale à l’officine alors que, depuis le 8 octobre, 660 000 patients ont choisi de faire confiance à leur pharmacien ? Ce n'est peut-être pas la seule cause. Philippe Tcheng rappelle en effet que la demande mondiale dépasse aujourd’hui les capacités de production. Les autorités chinoises ont ainsi multiplié par plusieurs centaines leurs commandes de vaccin.
Mais les ruptures ne concernent pas seulement les vaccins. Tous les médicaments, y compris ceux d’intérêts thérapeutiques majeurs (MITM) qui ont pourtant fait l’objet d’une loi en 2016, y sont potentiellement exposés. Les pharmaciens d’officine sont les premiers à subir régulièrement ce fléau qui les contraint à y consacrer chaque jour en moyenne plus de vingt minutes de leur temps. Gilles Bonnefond, président de l’USPO, ne manque pas de soulever un paradoxe : « Alors qu’on nous demande d’accompagner le patient dans l’observance et l’adhésion à son traitement, ces ruptures cassent le travail que nous fournissons. On ne soupçonne pas l’influence de ce problème sur l’image du médicament auprès du patient. »
Redonner de la proximité
C’est en partie en raison de l’ampleur que prend le phénomène, notamment auprès du grand public, qu’une mission sénatoriale a rendu un rapport en octobre dernier intitulé « pénuries de médicaments et de vaccins : renforcer l’éthique de santé publique dans la chaîne du médicament ». Ce rapport émet une trentaine de propositions pour combattre les pénuries. Certes, deux d’entre elles, la vente à l’unité et l’autorisation de la rétrocession, sont repoussées par l’USPO avec véhémence. Une troisième autorisant le pharmacien à substituer en l’absence du prescripteur risque d’être retoquée par les députés.
Toutefois, la majorité des propositions sont appelées à poursuivre leur chemin sous forme de projets de loi ou d’amendements dans les prochains PLFSS. C'est en tout cas ce que souhaite Jean-Pierre Decool, sénateur du Nord et rapporteur de la mission. L’un des grands axes de ce rapport consiste à proposer de soustraire autant que faire se peut le marché français de la dépendance des industriels étrangers en relançant la production hexagonale.
Ce retour à la proximité peut se traduire par un appel aux laboratoires des armées, à ceux des hôpitaux de Paris, ou encore par une stratégie de réindustrialisation, à l’image de celle que connaissent d'autres secteurs clés de l’économie. Jean-Pierre Decool évoque ainsi une politique de formation et d’exonération fiscale qui pourrait inciter des régions, comme les Hauts-de-France, à devenir des terres d'investissement de ce secteur.
Philippe Tcheng indique de son côté que le LEEM projette d’établir une cartographie des sites français, et particulièrement des façonniers, afin de « connaître de manière précise les capacités qu’ils auraient à prendre en charge certains produits en cas de rupture, comme le valsartan ». Car les ruptures sont multifactorielles, rappelle le président du LEEM, indiquant qu’il est en outre nécessaire de distinguer rupture de stocks et ruptures d’approvisionnement pour affiner la recherche de solutions.
Des flux plus transparents
Le retour à la proximité prôné par le rapport sénatorial vaut autant pour la production que pour les relations entre les acteurs du médicament. « Il y a une nécessité absolue de créer un climat de confiance et de transparence entre les différents partenaires », assène Jean-Pierre Decool, relevant que le secteur « a perdu de son éthique, au cours des dernières années, au profit de certaines contraintes économiques ».
Aborder le sujet des ruptures revient toujours à déclencher une cascade d’accusations. Parce qu'ils feraient jouer en leur faveur le principe de la libre circulation des produits en Europe et obligeraient ainsi les labos à contingenter, les grossistes-répartiteurs sont mis sur la sellette (voir ci-dessous).
Les industriels soupçonnés, eux, de créer artificiellement des pénuries pour agir sur les prix affirment n’y être pour rien. « Cela reviendrait à nous tirer une balle dans le pied et irait à l’encontre de notre mission et de notre raison d’être », déclare Philippe Tcheng. D’autres intervenants contribuent-ils au phénomène des ruptures, dont ils tireraient profit par le jeu de la spéculation ? « Il est en tout cas de notoriété publique que de nombreux short-liners achètent moins cher pour revendre plus cher. Personne n'en profite sinon eux, ni les industriels, ni les patients… Par conséquent, nous sommes très vigilants sur les fluctuations anormales de quantités commandées. Nos équipes de la supply-chain suivent tout flux supérieur à la normale », explique Philippe Tcheng.
La question n’est pourtant plus de se contenter de se renvoyer la balle entre acteurs de la chaîne du médicament, ni de désigner un maillon faible. Mais bien d’identifier les dysfonctionnements dans les flux, qui pénalisent au quotidien pharmaciens et patients. Pour mettre les acteurs face à leurs responsabilités et pour améliorer la transparence dans la fluidité des approvisionnements, Gilles Bonnefond propose un remède : l’utilisation du DP-Rupture, un outil dont disposent aujourd’hui 70 % des pharmacies. « Il servirait à tracer les incidents en remontant à leurs origines, à détecter d’éventuels contingentements trop importants, des fuites dans l’approvisionnement, ou encore un accident du transporteur qui a perdu une palette… Il faut arriver à comprendre pourquoi la pénurie est arrivée », expose-t-il.
Un pharmacien responsable à chaque étape de la chaîne du médicament serait alors garant de la qualité du travail dans ce cercle vertueux de la transparence.
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