LA CONTREFAÇON affecte principalement les pays où le contrôle et l’application de la réglementation pharmaceutique sont moins rigoureux. Connaissant bien l’adage, la France échappe, pour le moment, à ce fléau, grâce à une chaîne du médicament bien rôdée et verrouillée. Néanmoins, le phénomène Internet touche l’Hexagone par le biais du fret postal. Qui n’a jamais reçu un spam incitant à se procurer des médicaments contre la dysfonction érectile ou l’obésité ?
En outre, ce fléau touche des États européens parfois très proches de la France : des cas ont été détectés dans les circuits licites de distribution au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Espagne et en République tchèque. Plus que jamais, le pays veut être exempt de médicaments contrefaits. Le système de remboursement d’une grande partie des produits de santé et les prix peu élevés des médicaments qui restent à charge n’incitent pas les Français à se procurer des médicaments par d’autres filières que l’officine. Excepté lorsqu’ils souhaitent acquérir un médicament sans en parler à un professionnel de santé. C’est ce qui pousse certains hommes à commander du Viagra ou du Cialis sur Internet. Excepté également lorsqu’un médecin refuse de prescrire un médicament demandé par le patient. C’est ainsi que des femmes commandent des pilules pour maigrir. Dernière possibilité : le désir de se procurer un médicament qui n’est pas autorisé en France, mais dans d’autres pays. Pour autant, ces internautes sont souvent victimes de la contrefaçon. S’ils achètent volontiers un sac contrefait en connaissance de cause, ils ignorent que plus de 60 % des médicaments en vente sur la Toile sont des contrefaçons et qu’ils peuvent risquer leur vie en les consommant.
Nouvelles technologies.
Les moyens utilisés pour combattre la contrefaçon de médicaments sont multiples et complémentaires. Dans l’industrie pharmaceutique, la traçabilité est une obligation réglementaire, reposant sur les bonnes pratiques de fabrication pour les médicaments à usage humain (BPF) et les bonnes pratiques de laboratoires (BPL). Ces référentiels européens contraignent les laboratoires à savoir retracer l’historique de fabrication de tout lot de médicaments. L’exploitant doit ensuite être capable d’indiquer à tout moment à quel endroit de la chaîne se situe un lot de médicaments donné (dépositaire, grossiste-répartiteur, officine, etc.). Cette traçabilité garantit la qualité du produit, la protection des patients et des professionnels de santé, et permet de le localiser rapidement et d’effectuer un retrait de lot en cas de problème. Face à l’amplification de la contrefaçon de médicaments dans le monde, la traçabilité fait appel à de nouvelles technologies imposées par les législations. Elle repose sur la codification, qui permet l’identification, et le conditionnement du produit. Depuis le 1er janvier 2009, le standard EAN 128 avec le code CIP à 13 caractères est devenu la norme, remplaçant l’ancien code CIP à 7 caractères dont la saturation était prévisible à court terme. Il cohabite jusqu’au 1er janvier 2011 avec l’ancien code-barres 39, date à laquelle le Datamatrix, un code-barres à deux dimensions, sera généralisé sur les conditionnements. Il permet de stocker le code CIP de 13 caractères, un numéro de lot et la date de péremption du produit.
Reproductible.
Ce marquage, apposé sur chaque boîte de médicaments, permet son authentification tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Testé en premier lieu par le laboratoire de médicaments vétérinaires Merial, le Datamatrix a fait ses preuves.
Peu coûteux, applicable sur chaque ligne de conditionnement, il peut contenir entre 25 et 100 fois plus d’informations que le code-barres à une dimension et bénéficie d’un angle de lecture illimité tout en conservant une taille très réduite. Toutefois, les experts le jugent reproductible.
Autre technologie nouvelle utilisée dans le domaine de la santé, le RFID ou Radio Frequency IDentification, en usage dans les établissements de soins. Les puces RFID réutilisables permettent d’assurer le contrôle et la sécurisation du cycle de vie complet d’un médicament, de la réception des matières premières jusqu’à la délivrance de la préparation au patient. Il est aussi utilisé dans la gestion des instruments chirurgicaux ou le suivi des échanges du linge propre-souillé. Ce dispositif est trop onéreux pour être imposé aux laboratoires et apposé sur chaque médicament, mais libre aux laboratoires de l’utiliser. Dès la fin de l’année 2005, Pfizer a ainsi équipé d’un tag RFID ses boîtes de Viagra destinées au marché américain.
Sérialisation.
Ces changements de réglementations et de technologies ont un coût pour les industriels qui doivent adapter leurs lignes de conditionnement. « Tout dépend du type de ligne de conditionnement que l’industriel doit modifier et de ses choix. Veut-il être en conformité avec la réglementation qui va entrer en vigueur le 1er janvier 2011 ou aller au-delà en incluant la sérialisation dès maintenant ? Le coût des modifications sur une ligne de conditionnement peut ainsi aller de 50 000 à 150 000 euros », explique Jean-Marc Bobée, directeur de la stratégie anticontrefaçon aux affaires industrielles de sanofi-aventis.
Le principe de la sérialisation est d’apposer un numéro de série aléatoire sur chaque boîte de médicament, numéro unique qui permet une traçabilité à la boîte et non plus au lot, comme préconisé par la réglementation qui va se mettre en place en 2011. La Fédération européenne des industries du médicament (EFPIA) projette d’ailleurs de mener un essai pilote sur la sérialisation en Suède en 2009. « L’accord vient d’être signé avec l’État et des chaînes de pharmacies. Entre 50 et 100 officines délivreront des spécialités équipées de la sérialisation et issues d’une dizaine de laboratoires. Nous sommes en train de sélectionner les produits et de travailler avec plusieurs fournisseurs informatiques. L’expérimentation devrait commencer au 3e ou 4e trimestre 2009 », précise Jean-Marc Bobée.
Produits à risque.
L’officinal pourra vérifier, avant tout dispensation, si le numéro de série du médicament figure bien dans une base de données et si un produit sous ce numéro de série a déjà été vendu. Si tel est le cas, la délivrance sera interrompue. De même, la sérialisation permet un rappel de produits plus précis et plus rapide.
La réglementation à venir ne prévoit pas de rendre obligatoire la sérialisation. L’utilisation généralisée du code Datamatrix permettra déjà au pharmacien de vérifier la convergence des numéros de lot reçus. Le dossier pharmaceutique (DP), en cours de généralisation sur le territoire, tombe à pic.
Une fonctionnalité lui permet d’intégrer la mention des médicaments délivrés, leur numéro de lot et leur date de péremption. Avec le code Datamatrix et le DP, il sera possible de tracer un médicament du site de production au domicile du patient. Sanofi a déjà une certaine expérience en la matière puisqu’il utilise le Datamatrix depuis 2004 sur son site de Francfort pour marquer tous les injectables. De plus, la Turquie a rendu obligatoire l’usage du Datamatrix et de la sérialisation au 1er janvier 2009, le groupe français a donc mis en conformité ses lignes de conditionnement locales.
Par ailleurs, la sérialisation fait partie des projets américains pour les produits de santé et l’Europe étudie la possibilité de l’imposer sur des produits à risque.
Crime pharmaceutique.
« La traçabilité avec le Datamatrix et la sérialisation n’est que l’un des volets utilisés pour lutter contre la contrefaçon. Il faut aussi garantir les packagings. Si les fabricants protègent leur produit par des dispositifs d’inviolabilité, le Datamatrix et la sérialisation, l’importateur doit à son tour garantir le packaging s’il le déconditionne. Sinon, tous les efforts de l’industriel sont réduits à néant. » Les industriels réclament depuis fort longtemps l’interdiction de reconditionnement pour les importateurs parallèles. De même, ils appellent à considérer la contrefaçon de médicaments comme un « crime pharmaceutique » et non plus comme un simple délit. Le Conseil de l’Europe planche sur la rédaction d’une convention contre les faux médicaments, en s’appuyant notamment sur les travaux de l’OMS et de la Fédération internationale pharmaceutique (FIP). Elle permettrait de différencier la contrefaçon de médicaments de la contrefaçon de tee-shirts… Jean-Luc Audhoui, trésorier de l’Ordre des pharmaciens note, en effet : « Un contrefacteur de médicaments prend moins de risques qu’un trafiquant de drogues car cet acte est qualifié de délit, il est moins puni et moins surveillé. Le travail du Conseil de l’Europe, avec cette requalification en crime pharmaceutique, est donc essentiel pour combattre la contrefaçon. »
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