Les adjoints au quotidien

Savoir recruter les patients au comptoir

Publié le 25/01/2016
Tests de dépistage, expérimentation, entretiens pharmaceutiques… le pharmacien adjoint peut prendre la responsabilité de cibler parmi les clients les candidats potentiels susceptibles d’y participer; Les chiffres l’attestent. Près de quatre ans après leur apparition, des entretiens pharmaceutiques, des expérimentations mises en œuvre par les URPS, ou encore certains tests de dépistage échouent, faute de participants en nombre suffisant. Désirant prendre la responsabilité de ces nouvelles missions, le pharmacien adjoint peut s’initier à quelques règles pour améliorer le recrutement des patients volontaires.
Le recrutement du patient ne s'improvise pas

Le recrutement du patient ne s'improvise pas
Crédit photo : phanie

Aborder au comptoir un patient sur sa pathologie et sur l’intérêt qu’il peut retirer d’un entretien pharmaceutique n’est pas encore entré dans les habitudes du pharmacien. L’équipe officinale est en effet davantage rodée au conseil sur le médicament. Proposer un entretien ou un test de dépistage est souvent assimilé à une intrusion dans l’intimité du patient. Ce sentiment disparaîtra dès lors que le pharmacien sera convaincu de sa légitimité à l’accomplir.

Éviter de stigmatiser

Les critères d’inclusion énoncés par la CPAM pour les entretiens sur les AVK ou sur l’asthme peuvent l’aider à mieux cibler les candidats potentiels. La sélection ne devra cependant s’effectuer que sur des critères objectifs et le pharmacien évitera de se reposer sur son propre arbitraire pour effectuer le tri entre les patients susceptibles ou non d’accepter. « D’une part on a souvent des surprises, et puis certaines personnes « oubliées » par leur pharmacien pourraient en prendre ombrage », précise un pharmacien adjoint. Ou encore, comme le remarque Lorraine Longuetaud, adjointe à la pharmacie Gravoulet de Leyr en Meurthe-et-Moselle, « dans le souci d’éviter de stigmatiser le patient, nous nous adressons à toute la population concernée ».

Force de conviction

Une référence aux nouvelles missions du pharmacien peut constituer une entrée en matière formalisée et neutre. « Je n’hésite pas à expliquer aux patients les raisons pour lesquelles ces nouvelles missions ont été confiées aux pharmaciens », précise Denis Cassaing, pharmacien adjoint et formateur. « Je leur dis que les médecins sont débordés, qu’à l’hôpital ils ne comprendront pas tout et que nous sommes, nous les pharmaciens, les professionnels du médicament », renchérit une adjointe.

Fort de ces critères « objectifs », le pharmacien se sent plus à l’aise pour justifier son intervention auprès du patient. Ceci d’autant plus que ce dernier ne manque pas de déstabiliser le discours en affirmant qu’il ne se sent pas malade, ou en arguant d’un manque de temps. « Il est important de déceler si le patient a, ou non, accepté sa pathologie. On apprend à reconnaître ce déclic qui conditionnera son attitude face à l’offre du pharmacien », décrit Denis Cassaing.

Se former pour informer

Loin de se perdre dans un argumentaire fouillé, le pharmacien utilisera quelques phrases clés pour cadrer son offre. « Il faut décrire au patient ce qu’est l’entretien afin qu’il en ait une représentation mentale », expose Frédéric Chauvelot, pharmacien formateur intervenant pour l’UTIP. « Au pharmacien alors d’anticiper sur les freins et les barrières qui vont surgir dans la tête du patient et de préparer des arguments vendeurs », poursuit-il. Il convient ainsi de rappeler au patient qu’il n’aura rien à payer et que l’entretien, confidentiel, lui prendra un temps minime.

Ces précautions n’empêcheront pas le pharmacien d’aborder le patient de manière déterminée. « Au risque de paraître directive, je ne laisse pas le doute ni les objections s’infiltrer dans la discussion », décrit une adjointe qui tient à garder l’anonymat pour ne pas trahir la confiance de ses patients. Ayant à son actif plus d’une cinquantaine de patients recrutés pour des entretiens thérapeutiques, elle a mis en place un véritable dispositif à l’aide d’un classeur où elle compile arguments scientifiques et résultats d’étude.

En effet, le recrutement de patient ne s’improvise pas. À l’exception des TROD* où l’offre pouvait être plus spontanée. « Pour les tests d’angine, les patients se plaignant de maux de gorge au comptoir étaient plus faciles à convaincre, d’autant que le test était simple et rapide », reconnaît l’adjointe d’une pharmacie d’Île-de-France qui a participé à l’expérimentation TROD angine. Comme l’observe Lorraine Longuetaud, « certaines expérimentations, comme les antibiotiques, sont plus simples à proposer, elles paraissent plus logiques au patient ».

Du profil du patient et de sa pathologie dépendra le succès du recrutement. « Il est évident qu’il est plus facile de convaincre une personne âgée sous AVK ayant plusieurs facteurs de comorbidité venant régulièrement à l’officine qu’un client occasionnel, jeune, pour lequel un diagnostic d’asthme vient d’être posé », relève Frédéric Chauvelot.

De manière générale, une bonne préparation permet au pharmacien de bien maîtriser son sujet. Sûr de lui, il générera davantage la confiance de ses patients. C’est la raison pour laquelle les pharmaciens s’informent et se forment. Il n’est ainsi pas rare que les intervenants consacrent un chapitre au recrutement au cours des formations sur l’entretien thérapeutique.

Une question de posture

Ainsi, ayant pris conscience que le non-verbal constitue 70 % de la communication, le pharmacien sera attentif à l’expression de ses mains, évitera de marquer la surprise ou la réprobation en portant les mains à son cœur ou au visage, ou contiendra ses soupirs… Le rappel de ces quelques principes incite à prendre de bonnes postures au comptoir.

Le discours du pharmacien doit être informatif, étayé, sans pour autant tomber dans le piège de la relation prof élève. « Le patient doit se sentir accueilli et accompagné », insiste Denis Cassaing. Ce prérequis demande néanmoins que le pharmacien adapte son discours à son interlocuteur, y compris à certaines catégories socioprofessionnelles qui prétendent en savoir autant que le professionnel de santé…

Du doigté et un certain talent pédagogique ne sont donc pas négligeables. D’autant que le patient doit toujours avoir l’impression de prendre lui-même la décision, de rester le maître du jeu. « Il ne faut pas donner l’impression au patient qu’on lui fait la leçon, ni employer un ton péremptoire », répètent les formateurs.

Au contraire, le pharmacien doit faire preuve d’une certaine empathie à l’égard de son patient. Cette écoute peut se manifester au cours d’un petit jeu de questions réponses où le patient prendra lui-même conscience de ses lacunes. Une pharmacienne adjointe a ainsi rédigé elle-même, à partir de ses informations, un petit QCM sur les AVK.

Ces informations peuvent être relayées par un support écrit que le patient consultera chez lui. Il n’est pas rare que les pharmaciens confectionnent ainsi flyers et brochures. « Cela a par ailleurs le mérite de laisser une trace écrite », remarque Denis Cassaing. Ce lien instauré entre le pharmacien et son patient doit être préservé.

Si un patient refuse au premier contact, le pharmacien devra absolument le relancer lors de la deuxième visite. « Une fois qu’on aura un pied dans la porte, on pourra être plus directif et conclure », déclare Frédéric Chauvelot, doutant toutefois de l’efficacité d’un consentement arraché « au forceps ». En effet, après avoir essuyé un deuxième refus du patient, il est rare que le pharmacien obtienne une troisième chance.

* Test rapide d’orientation diagnostique, interdits en pharmacie depuis le 8 avril 2015.
Marie Bonte

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3234