La sentence est tombée. Le 5 février, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a prononcé la suspension de la fabrication et de la mise sur le marché d’un dispositif médical et de deux cosmétiques. Motif ? Leur teneur en huiles essentielles n’est pas compatible avec leurs statuts, ces trois produits relèvent de la réglementation sur le médicament. Cette décision emblématique pourrait créer un précédent sur un marché qui entretient de plus en plus le flou entre le médicament et les autres segments de l’officine.
Ce verdict de l’ANSM vole au secours des pharmaciens. Beaucoup se disent pris en otage par les fabricants qui les contraignent à distribuer l’ensemble des produits de leur marque ombrelle pour accéder à leur médicament « star ». Pour l’industrie, l’enjeu est de taille. Il s’agit en effet de profiter de la notoriété d’un médicament pour commercialiser sous le même nom et le même packaging des produits appartenant à différents autres statuts : compléments alimentaires, dispositifs médicaux et même cosmétiques. Au risque d’entretenir la confusion entre des produits à la composition et aux indications radicalement différentes. Sans parler de la TVA qui peut passer de 2,1 %, 5,5 %, 10 %, voire à 20 % selon le statut du produit. On estime aujourd’hui que 3 % des médicaments sont aspirés par les marques ombrelles. Cette accélération a conduit Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens à saisir l’ANSM sur cette stratégie industrielle.
Le médicament banalisé
Les syndicats se sont également saisis de l’affaire. Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) parle d’une « dérive des marques ombrelles autour des dispositifs médicaux qui mènera les laboratoires vers d’autres circuits de distribution ». Avec Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), il vient d’alerter le ministère de la Santé sur les dangers des marques ombrelles pour les patients. « Le phénomène se multiplie très largement, alors que c’est incompréhensible pour le patient. » De son côté, Gilles Bonnefond, très remonté, n’hésite pas à conseiller à ses adhérents de ne pas référencer ces produits.
C’est également pour dénoncer ces risques de confusion que « Prescrire » a, cette année comme les années précédentes, brandi un carton rouge à l’intention d’une marque ombrelle. La revue incrimine les insuffisances de l’information au patient qui l’exposent « à des risques de surdose ». Le même réquisitoire est suivi par l’ANSM. « Il se peut qu’un problème survienne parce qu’un patient habitué à observer une certaine posologie pour un complément alimentaire l’appliquera au médicament. Ce qui représente des risques de surdosage non négligeables », décrit Carole Le-Saulnier, directrice des affaires juridiques et réglementaires à l’ANSM.
Vers un encadrement plus strict
Au-delà de cette banalisation du médicament, les pharmaciens voient dans les marques ombrelles une deuxième source d’inquiétude. À l’instar de Christian Grenier, président du syndicat des groupements, Federgy, ils se disent inquiets des manœuvres des laboratoires qui gomment « la ligne de séparation entre les circuits de distribution pour des produits, potentiellement vendables en grande surface ».
Isabelle Van Rycke, directrice des Opérations Santé Grand Public de Sanofi France, se veut rassurante : « Qu’il soit placé devant ou derrière le comptoir, un médicament reste un médicament. Le conseil du pharmacien est là pour assurer le bon usage de la molécule » (voir « le Quotidien » du 14 décembre 2015). D’ailleurs, dans le cadre de ce qu’elle nomme une automédication responsable permise par « une identification rapide du produit et de l’aire thérapeutique par le patient », « toutes les précautions ont été prises pour permettre au patient consommateur de distinguer clairement le dispositif médical du médicament ». Emmanuel Cornilleau, directeur marketing de la division santé grand public d’URGO Healthcare, affirme pour sa part qu’« une marque ombrelle est un gage de qualité pour les patients. S’ils ont été satisfaits de l’efficacité d’un des produits de la marque, ils savent qu’ils pourront trouver ce même niveau d’exigence sur tous les autres produits ». Et si son laboratoire a fait le choix d’une marque ombrelle mono-statut, « c’est justement pour éviter toute confusion, la délivrance d’un médicament doit respecter un parcours de santé bien précis, basé sur la confiance entre le pharmacien et les patients, via un circuit de distribution officinal exclusif ». D’ailleurs, dès cet automne, « le laboratoire indiquera, de manière encore plus visible sur les emballages, le nom des molécules actives, ainsi qu’une illustration qui précise la localisation de l’action ».
Les pharmaciens n’en craignent pas moins que, après avoir été le tremplin de ces nouveaux dispositifs médicaux, ils leur échappent en direction d’autres canaux de distribution. Les syndicats se disent prêts à entrer dans la bataille. Tout comme l’ANSM qui annonce un encadrement plus strict de l’utilisation des marques ombrelles et de la dénomination des produits de santé. « D’une part, nous allons émettre des recommandations en ce sens pour les laboratoires afin que, par exemple, les références à des arômes ne soient plus utilisées comme éléments susceptibles d’assimiler les médicaments à des denrées alimentaires. D’autre part, nous allons leur demander de gommer tous les éléments trompeurs dans la dénomination et dans le packaging, ou les publicités des produits », expose Carole Le-Saulnier. Et de mettre les fabricants en garde : « Nous opérerons des contrôles. S’ils continuaient à contrevenir ainsi au droit de marque qui, rappelons-le, stipule qu’une marque ne doit pas être trompeuse, nous pourrons saisir les instances compétentes. Nous disposons des outils juridiques pour mettre fin à ces pratiques. » Outils qui seront renforcés par la future législation sur les allégations des dispositifs médicaux. L’Union européenne devrait se prononcer en 2017 sur cette question, pour une mise en application en 2018-2019.
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