Le Quotidien du pharmacien.- Les pharmaciens se sentent-ils aujourd’hui dépossédés dans leur rôle de conseil ?
Alain Delgutte.- De fait, le pharmacien se trouve parfois en difficulté pour apporter des réponses aux questions qu’on lui pose. Je ne prendrai qu’un exemple, celui de la douleur. Nous ne pouvons plus aujourd’hui dispenser sans ordonnance des antalgiques de palier 2, Que faire désormais dans les cas de rage dentaire puisque nous n’avons plus le droit de dispenser des codéinés ? Il ne nous reste plus que l’ibuprofène et le paracétamol, peu adaptés à ces situations.
La dispensation protocolisée vous semble-t-elle la solution adéquate pour combler ce vide ?
Bien entendu, car elle pourra répondre à des situations d’urgence auxquelles sont confrontés régulièrement tous les pharmaciens, mais aussi les patients présentant des pathologies qui requièrent une intervention rapide le samedi après-midi, par exemple. Face à des patients désemparés, le pharmacien doit prendre des décisions.
Que faire lorsqu’un patient se présente, sans Ventoline, en pleine crise d’asthme, et que le prochain hôpital est à 15 ou 20 minutes en voiture ? Faut-il le diriger vers les urgences, quitte à ce qu’il y patiente 4 ou 5 heures ? C’est de toute évidence une véritable problématique d’accès au traitement telle qu’elle est apparue au cours du débat national à la suite de la crise des « gilets jaunes ».
La dispensation protocolisée ne ferait donc que de sécuriser des pratiques qui ont déjà cours par nécessité absolue ?
Oui tout à fait, d’autant qu’il y aura un protocole au sein d’une coordination des soins. À vrai dire on a beaucoup parlé de la cystite et certains ont remis en cause la capacité des pharmaciens à distinguer une cystite d’une pathologie plus grave. Mais comment expliquer que nous voyons des patients présenter des ordonnances sur lesquelles il est inscrit « à renouveler en cas de besoin ». Le patient serait-il plus capable de juger de sa situation que le pharmacien ?
La dispensation protocolisée pourra-t-elle néanmoins désamorcer les réticences des médecins ?
Aujourd’hui nous la pratiquons déjà avec la pilule du lendemain. Et les pharmaciens ont fait leurs preuves dans ce domaine. Mais s’il faut passer par la phase d’expérimentation, comme pour la vaccination, pour rassurer les médecins, pourquoi pas ? On peut comprendre qu’ils craignent que certaines informations concernant leurs patients leur échappent.
Dans un autre registre, l’intérêt croissant des Français pour la phytothérapie, la nutrition et les compléments alimentaires ouvre-t-il de nouveaux champs dans le conseil du pharmacien ?
Plus que jamais. D’ailleurs un rapport de l’Académie de pharmacie alertant sur certains dangers de la phytothérapie met plus que jamais l’accent sur le rôle du pharmacien. Non seulement par son expertise, mais aussi par sa connaissance du DP et du DMP, le pharmacien a toute sa place pour mettre le patient en garde contre certaines interactions ou contre-indications. Que ce soit avec le millepertuis ou bien l’automédication de certains patients sous chimio. Bien souvent, ceux-ci omettent d’évoquer le recours à la phyto devant leur médecin traitant. Ils en parlent en revanche plus librement à leur pharmacien. C’est donc à nous de les alerter ainsi que leur médecin. Il ne faut pas banaliser ces produits. J’insiste toujours auprès de mes collaborateurs : aucune boîte ne doit sortir de l’officine sans alerte ou conseil associé.
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