Ercéfuryl, Apaisyl, Décontractyl, Sédermyl… Ces médicaments, vous les avez sans doute conseillés mille fois à votre comptoir, peut-être plus. Pourtant, un rapport rendu début novembre par la Commission de suivi du rapport bénéfice-risque pourrait bientôt signer la disparition de ces présentations de votre rayon conseil. Identité du nettoyeur ? La pharmacovigilance, cette science bien vivante qui ne baisse jamais la garde. Ainsi, plusieurs décennies après l'obtention de leurs AMM, la veille permanente opérée sur les médicaments, qu'ils soient destinés à la prescription ou au conseil officinal, repère, décompte et évalue le poids des effets indésirables rapportés.
Pour le nifuroxazide (Ercéfuryl et génériques), dont le service médical rendu (SMR) avait déjà été jugé insuffisant en 2006, c'est un cas d'agranulocytose qui a déclenché le processus de réévaluation du rapport bénéfice-risque. Menée en octobre 2016, cette réévaluation a conclu que le principe actif pouvait provoquer « des effets indésirables graves, de type réaction d’hypersensibilité immédiate, dont certaines mettant en jeu le pronostic vital (chocs anaphylactiques et œdèmes de Quincke), atteignant une fois sur 5 un enfant ». Si l'avis de la commission n'est que consultatif, la décision de listage semble plus que probable. Quant au Décontractyl (méphénésine), ce sont plusieurs cas graves d’hypersensibilité, de réactions locales et de malaises, ainsi que des signalements d’abus et de dépendance qui ont attiré l'attention des experts de la commission. Des réactions cutanées à type de réaction phototoxique et des réactions photoallergiques mettent par ailleurs sur la sellette les spécialités Apaisyl et Sédermyl (isothipendyl).
Codéine sur ordonnance
Ces retraits annoncés ne sont pas les premiers à concerner des poids lourds du conseil officinal. En septembre dernier, le couperet était déjà tombé sur les présentations à base de codéine et de ses dérivés. CodéDrill, Tussipax, Codoliprane, Claradol Codéiné, Humex Toux Sèche dextrométhorphane, Néo-Codion, Prontalgine, ont ainsi basculé du côté de la prescription. Non sans susciter quelques commentaires (lire notre article du 14 septembre 2017). Car au-delà de leurs justifications toxicologiques, ces remaniements de l'arsenal officinal, qui ne sont pas sans conséquence sur l'acte conseil, sont diversement perçus.
Exit Ercéfuryl, Décontractyl et Apaisyl ? « C'est une bonne chose que ces produits désertent le conseil officinal, estime le pharmacien adjoint Nicolas Mimoun, formateur à l'UTIP. Un antibactérien comme le nifuroxazide n'a rien à faire sur des épisodes diarrhéiques le plus souvent d'origine virale. Cela fait au moins dix ans que ces spécialités auraient dû être révisées. » L'avis est plus balancé en ce qui concerne les codéinés. « Le listage des dérivés de la codéine est plus discutable, par exemple pour les patients qui avaient l'habitude de leur Prontalgine pour traiter des douleurs très ponctuelles, et devant lesquels on se trouve un peu démunis. Idem pour traiter les toux, où la seule alternative qui reste, l'oxomémazine (Toplexil), n'est pas toujours suffisante. Je regrette aussi vraiment le départ du dextrométhorphane qui présentait indéniablement une meilleure sécurité d'emploi que la codéine. »
Plus un conseil d’accompagnement qu’une solution thérapeutique
Au total, résume Nicolas Mimoun, en dehors du conseil hygiéno-diététique, qui s'en trouve du coup renforcé, l'arsenal conseil du pharmacien a sans doute un peu perdu en puissance. Et comme l'histoire ne s'écrit pas à l'envers, il ne faut pas attendre de renfort du côté des molécules venues de la prescription. L'ère des switchs des années 1990, où la cimétidine ou l'oméprazole rejoignaient le rayon conseil, semble en effet bien révolue. « L'affaire Médiator est passée par là, interprète le formateur, les autorités sanitaires sont aujourd'hui un peu plus rétives à prendre ce type de décision. »
Jean-Michel Mrozovski, président du Comité pour la valorisation de l’acte officinal (CVAO), le constate lui aussi. Il existe bien une réduction de l’arsenal thérapeutique du pharmacien, avec des « relistages » que les autorités sanitaires justifient par des raisons de santé publique et une vision plus affirmée du risque. Mais au-delà, Jean-Michel Mrozovski observe que la réflexion sur la thérapeutique est en train d’évoluer fortement pour les médecins et, dès lors, pour le conseil du pharmacien. « Il va falloir réfléchir à de nouvelles pratiques du conseil pharmaceutique en valorisant davantage l'accompagnement, les conseils hygiéno-diététiques et une diversification des solutions thérapeutiques », estime le président du CVAO.
Daphné Lecomte-Somaggio, délégué général de l'AFIPA*, tient d'emblée à le préciser « le problème n'est pas tant le conseil officinal, mais l'offre qui lui est associée ». Ni la qualité du maillage territorial, ni celle des professionnels de la pharmacie ne sont mises en cause, rappelle-t-elle. « Ce que l'on peut déplorer, en revanche, comme cela a été le cas lors du listage des codéinés, c'est que la limitation de l'offre s'est faite sans considérer que le conseil officinal a un véritable impact dans le système de soins. » Certes, convient Daphné Lecomte-Somaggio, il y a certainement un peu de « ménage » à faire dans l'offre, mais, prévient-elle, « en retirant l'accès de certains produits à une partie de la population, il faut veiller à ce que cela ne pénalise pas une autre partie de cette population ». Pour le délégué général de l'AFIPA, limiter l'offre c'est contraindre le geste du conseil officinal, mais c'est aussi nier sa responsabilité au pharmacien. Celle de dire « non », parfois.
Dispositifs médicaux et compléments alimentaires
« Heureusement, le développement des dispositifs médicaux, de l'aromathérapie et des compléments alimentaires offre une alternative intéressante aux patients comme aux pharmaciens, mais malheureusement, l'arrivée de nouveaux médicaments conseil semble un peu entravée par l'Agence du médicament », estime enfin Daphné Lecomte-Somaggio.
Les pharmaciens regardent un peu impuissants leur arsenal conseil se réduire comme peau de chagrin. Mais ils pourraient bien reprendre la main. C'est en tout cas la volonté de Carine Wolf-Thal, présidente de l'Ordre des pharmaciens, qui, en concertation avec les organisations professionnelles, vient d'ouvrir un nouveau chantier visant à revaloriser le conseil officinal.
* Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable.
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