La coupe est pleine. Pour les pharmaciens, les dernières baisses de prix sur les dispositifs médicaux sont la goutte de trop. Depuis plusieurs années déjà, la profession lutte contre le détournement des prescriptions de ces produits de LPP* à l'hôpital, au profit des sociétés prestataires. Les pharmaciens voient également ce marché de plus en plus capté, sur Internet, par des opérateurs en ligne. Et pour couronner le tout, ils supportent à nouveau des baisses de tarifs en cascade.
Les pharmaciens sont en colère, mais pas surpris. Car après 100 millions d'euros d'économies réalisés en 2018 sur les dispositifs médicaux (DM), la contribution cette année a été fixée à 150 millions d’euros par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2019. Une large part de ces économies est concentrée sur les dépenses de ville. Résultat, après les pansements hydrocolloïdes, le 22 février dernier, et les sets de pansements, le 13 mars, ce pourrait bientôt être au tour des lits médicalisés de subir une baisse de tarifs. Un projet d’avis du Comité économique des produits de santé (CEPS) prévoit en effet pour ces matériels une chute de prix de 15,2 % à partir du 1er mai (-5 % en 2018).
Surveillée comme le lait sur le feu
Mais la mesure la plus emblématique est sans aucun doute la baisse du remboursement de la location des tire-lait annoncée la semaine dernière. À partir du 25 mars, le forfait de location hebdomadaire passera de 12,50 euros à 7,50 euros (lire ci-dessous). Un scandale, pour Fabrice Camaioni, président de la commission exercice professionnel en charge de la LPP auprès de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et président de l'Union nationale des prestataires de dispositifs médicaux (UNPDM) : « la LPP est surveillée comme le lait sur le feu. Mais il va falloir cesser d'écraser les prix. Cette maîtrise comptable n'est pas supportable et, même si elle répond à certaines dérives, elle n'est en rien corrélée avec les progressions de dépenses observées. Comment justifier 20 millions d'euros d'économies uniquement sur les tire-lait ? »
Une pression sur les prix qui ne surprend pas Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Selon lui, les pharmaciens subissent de plein fouet des mesures de rétorsion destinées en premier lieu aux sociétés prestataires. En effet, rappelle-t-il, celles-ci ont contribué, à force de dérives, à augmenter les dépenses de 8 % au cours des trois dernières années.
Parmi de nombreux exemples, Gilles Bonnefond cite celui des tire-lait qui ont fait l’objet d’abus, les durées de location s’étirant de plus en plus (lire ci-dessous). Un constat confirmé par Heidi Grando, déléguée générale de l'UNPDM, même si ce problème devrait être réglé par l’adoption d’une nouvelle nomenclature le 25 mars prochain. « La prescription sera limitée à 10 semaines, ce qui va limiter les abus. »
Fabrice Camaioni estime également que cette révision de la nomenclature sera salutaire. Il remarque cependant que « son application devrait générer entre 4 et 5 millions d'euros d'économies. Pourquoi dans ces conditions ne pas s'en contenter et vouloir à tout prix baisser les tarifs au-delà de l'ONDAM (Objectif national de dépenses d'assurance-maladie) ? ». L'élu syndical tempête contre ces nomenclatures non appropriées qui continuent de pénaliser l'économie officinale.
Pour endiguer les effets de ces baisses de prix sur les comptes de l'officine, Gilles Bonnefond rappelle toutefois qu'un « prix de cession » est négocié avec le CEPS. Cette stratégie consiste à garantir au pharmacien, pour certains produits, un prix d'achat maximum. « C’est le cas dans le diabète, pour le dispositif Free Style, ou encore pour le tire-lait, des produits pour lesquels le pharmacien est assuré d'avoir une marge minimum », explique-t-il. L’introduction d’un prix de cession n’est ni plus ni moins qu'un instrument de régulation destiné à contrer « les pratiques commerciales de prestataires qui se réclament, à tort, professionnels de santé », indique le président de l’USPO.
Injonction contradictoire
Aussi, le syndicat est-il bien décidé à ne rien lâcher. Car si la marge reste réduite sur ces ventes, qui représentent environ 8 % du chiffre d’affaires, les dispositifs médicaux constituent un facteur de croissance pour l’officine. Ils le sont d'autant plus que les pouvoirs publics misent sur le virage ambulatoire et le maintien à domicile.
Les pharmaciens peuvent donc attendre de ces politiques de santé, notamment du plan « Ma santé 2022 », un effet volume sur les ventes de dispositifs médicaux. C'est dire si ces baisses de prix successives apparaissent en totale contradiction avec les objectifs de santé publique. Pire même, elles mettent en jeu la prise en charge des patients en ville. Une injonction contradictoire que dénonce Fabrice Camaioni : « Si l'impact de cette politique de prix est trop important sur l'économie de l'officine, certaines pharmacies ne pourront plus garantir l'offre aux patients, qui devront alors se reporter sur Internet. En risquant nécessairement une dégradation de leur information. »
Heidi Grando soulève également l'incohérence de ces mesures qui « diminuent les moyens de structures visant à limiter ou prévenir les hospitalisations ». De manière plus générale, elle reproche au CEPS d’imposer des baisses annuelles qui n’aident pas les entreprises à mettre en place des objectifs sur le long terme : « À force de baisser les tarifs, on doit réorganiser une structure et on finit par remettre en cause un service dans son ensemble. Le risque, selon moi, c’est que certains prestataires finissent par faire appel à des produits moins chers, et donc de moins bonne qualité. »
* Liste des produits et prestations (LPP) remboursables par l'assurance-maladie.
Industrie pharmaceutique
Gilead autorise des génériqueurs à fabriquer du lénacapavir
Dans le Rhône
Des pharmacies collectent pour les Restos du cœur
Substitution par le pharmacien
Biosimilaires : les patients sont prêts, mais…
D’après une enquête d’UFC-Que choisir
Huit médicaments périmés sur dix restent efficaces à 90 %