Équiper l'officine

Comment désacraliser les objets de santé connectés

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Publié le 18/05/2017
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Face aux réticences des pharmaciens et de leurs patients, pas facile de vendre des objets de santé connectés, la demande n’est pas vraiment là, l’aspect connecté intrigue au mieux, indiffère le plus souvent. Les prestataires qui commercialisent de tels produits se mobilisent pour convaincre à la fois les patients et l’ensemble des professionnels de santé de l’intérêt de ces objets dans le cadre de suivi de soins. Mieux que des produits, il faut vendre des solutions autour de spécialités que le pharmacien aura choisies au préalable.
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Crédit photo : VOISIN/PHANIE

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Crédit photo : Caroline Victor-Ullern

« Les débuts sont difficiles », « on n’arrive pas à mettre en valeur l’intérêt du connecté », « le marché n’augmente pas autant qu’on le souhaiterait. » Le constat est peut-être amer, mais il est incontournable. Les objets de santé connectés, pour l’instant, ça ne marche pas. En tout cas pas en pharmacie. Les différents prestataires qui s’y sont lancés le reconnaissent volontiers tout en nuançant le discours d’un brin d’optimisme. « Il y a forcément une différence entre ce qui était attendu quand on a lancé les produits et ce qui est arrivé, quand les usages ont commencé de se manifester », plaide ainsi François Teboul, directeur médical de Visiomed, l’un des principaux acteurs de ce marché. « C’est certes un démarrage lent, mais il ne faut pas oublier qu’il y a cinq ans, il n’existait pas encore », ajoute Anne Boché-Hiag, directrice marketing communication Emea d’IHealth, autre nom connu des objets de santé connectés. Et ça marche quand même si l’on en croit Alexis Normand, directeur du développement chez Withings Nokia, puisqu’un français sur vingt a un tracker d’activité, témoignant d’un réel intérêt pour ces objets. Certes, c’est du « wellness », une façon ludique de prendre soin de soi, mais ces objets peuvent aussi être utilisés aisément dans un parcours de soins, pour tout ce qui concerne les problématiques cardio-vasculaires par exemple.

Une vision globale

Loin de baisser les bras, les acteurs qui défendent l’usage des objets de santé connectés tentent d’identifier ce qui en freine le développement afin d’ajuster leurs stratégies. Et portent le regard de façon plus globale afin de ne pas se limiter aux causes inhérentes aux pharmaciens et ce qui les handicape. Les objets de santé connectés ne sont pas à prendre en tant qu’eux-mêmes, mais en tant qu’outils qui s’inscrivent dans une démarche de soins globale. Et cette façon de les aborder conduit à les penser comme faisant partie d’un tout, un « écosystème » selon un terme très à la mode où chacun a son rôle. Chacun, du laboratoire pharmaceutique jusqu’au patient, en passant par tous les professionnels de santé. Ou, vu sous un autre angle, les objets de santé connectés font partie intégrante de l’e santé, c’est-à-dire les usages de tout ce qui est digital pour améliorer les parcours de soins de tout un chacun. « Il y a aujourd’hui un fort intérêt des laboratoires envers ces objets, souligne Alexis Normand, de nombreux traitements seront mieux pris s’ils sont combinés à un système de monitoring du comportement du patient. » Autrement dit, s’ils sont combinés avec des outils qui d’une manière ou d’une autre facilitent leur prise. Il s’agit alors pour ces acteurs de la santé connectée de ne plus proposer des produits en tant que tels mais des solutions dans un cadre thérapeutique, avec le concours de tous ceux qui ont leur rôle à jouer, les labos, bien sûr, mais aussi et surtout les médecins auprès desquels commence un mouvement visant à les convaincre de l’utilité de ces objets. « L’avantage du connecté est net pour le patient qui ne risque plus de faire d’erreur dans sa prise de mesures dans le cadre de pathologies comme l’hypertension ou le diabète, mais aussi pour le médecin qui peut en faire immédiatement une interprétation graphique », explique Maxime Pinoit, responsable grands comptes d’Omron. Un objet de santé connecté conseillé ou prescrit par un médecin aura plus de chance de se vendre en pharmacie. « Du point de vue industriel, on a mis du temps à passer d’un modèle basé sur les produits à un modèle orienté sur les services », admet François Teboul pour qui être sur une approche exclusivement produits n’est pas très intelligible pour le patient. « Innover, ce n’est pas analyser les besoins mais les problèmes pour mieux les résoudre », affirme-t-il. Visiomed envisage désormais de proposer de vraies solutions combinant les objets de santé connectés mais aussi les logiciels, la formation et la capacité d’accompagner les patients dans leurs parcours de soins.

Dans ce contexte, des spécialistes de dispositifs médicaux qui travaillent depuis longtemps sur des pathologies précises ont leur mot à dire, à l’image d’Omron, connu dans le domaine de l’automesure, notamment pour l’hypertension. La société vend des tensiomètres depuis longtemps et propose naturellement des tensiomètres connectés reliés à une application de gestion de santé. « Il est vrai qu’on parle plus des objets de santé connectés qu’on en vend, affirme Maxime Pinoit, mais il est nécessaire de se positionner, il reste cependant à mettre en valeur l’aspect connecté des produits, pas identifié de façon naturelle par les patients, en tout cas ceux auxquels on s’adresse, les plus de 50 ans ». Il y a pourtant une logique susceptible d’être profitable aux pharmaciens, les problématiques liées à l’hypertension pouvant conduire les patients vers des solutions impliquant d’autres produits connectés, les trackers d’activité, les balances connectées etc…

Une distribution difficile

D’autres obstacles liés à la structure du marché des pharmacies en France sont mis en avant par Alexis Normand. « C’est un marché très fragmenté qui n’offre pas les conditions de distribution idéales pour un industriel lequel travaille plus volontiers avec quelques interlocuteurs afin de pouvoir commercialiser ses produits », affirme-t-il. L’avantage précieux du formidable maillage des pharmacies en France souvent mis en avant par les prestataires pour s’inscrire dans un modèle de suivi de santé semble avoir cependant ses contreparties négatives. « Il faudrait une organisation d’achats plus centralisée », ajoute Alexis Normand. Par ailleurs, ce spécialiste de l’e santé, qui vient de publier un ouvrage sur le sujet (1), pointe des erreurs de choix stratégiques. « Les pharmacies qui se sont intéressées aux objets de santé connectés ont choisi des produits bon marché, or sur un marché innovant, il faut vendre du haut de gamme. » Withings, qui prendra dès le mois de juin le nom de Nokia, son nouveau propriétaire, entend bien rester dans de grandes enseignes comme la Fnac, au contraire d’autres acteurs qui préfèrent se recentrer sur les pharmacies, mieux à même selon eux de conseiller les patients autour de ces produits.

Adopter codes et langages

Faut-il encore que les pharmaciens soient demandeurs. « Nous avons aussi un travail à faire auprès d’eux, peut-être adopter un peu mieux leurs codes et leurs langages, cela viendra quand la demande sera plus forte », admet Alexis Normand. Les prestataires réfléchissent aux différents moyens d’aider les pharmaciens à « désacraliser » le connecté selon le terme utilisé par Maxime Pinoit. Cela peut être sur Internet, des formations en ligne comme le propose Visiomed dans la perspective de leur montrer comment en parler aux patients, cela peut être de la PLV classique ou connectée, à l’instar d’I Health, ou de simples petites fiches, une gamme variée d’outils selon les besoins des pharmaciens. « Nous les proposons depuis un an environ et l’usage montre que l’usage de la PLV est efficace dès que le pharmacien s’implique, évoque Anne Boché-Hiag, ainsi une PLV vidéo est-elle plus efficace proche du comptoir qu’ailleurs dans l’officine, car elle déclenche la discussion. » Tout ce qui facilite l’échange afin de démontrer l’intérêt du connecté est bienvenu : Omron qui a conçu un corner dédié à la prise de tension imagine volontiers que les pharmaciens puissent s’en servir aussi pour un espace de démonstration. Les prestataires promettent de s’engager, de répondre aux questions et aux inquiétudes des pharmaciens, par exemple celles récurrentes relatives à la sécurité et l’exploitation des données de santé. Il reste aussi aux pharmaciens l’aspect peut-être le plus difficile, le choix de l’équipement connecté à distribuer, certes lié aux spécialités du pharmacien, mais aussi aux qualités propres de ces produits, qu’il est possible d’évaluer de différentes façons. Ces produits connectés sont le plus souvent des dispositifs médicaux, donc disposant à ce titre des certifications officielles, de labels privés parfois, il est par ailleurs possible d’en vérifier les qualités techniques dans divers tests, notamment ceux menés par les assureurs sur leurs sites Web, ou encore par le biais de l’ANSM. Leurs caractéristiques techniques continuent d’évoluer, les industriels prévoient par exemple de lancer prochainement des tensiomètres avec des écrans directement placés sur eux, épargnant les patients de voir utiliser leur smartphone pour retransmettre les données mesurées. Dans le domaine des balances connectées, on voit et verra apparaître des produits capables de calculer l’IMC, de distinguer la masse graisseuse de la masse squelettique, permettant un aperçu complet du métabolisme et facilitant le suivi des régimes alimentaires. 

 

(1) « Prévenir plutôt que guérir, la révolution de la e-santé » aux Editions Eyrolles

Hakim Remili

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3352