En bordure du parc Monceau, le magnifique hôtel particulier du 4, avenue Ruysdaël à Paris, où logent les bureaux de l’Ordre n’est d’ordinaire pas librement accessible au public. Peu le savent mais il abrite également une exceptionnelle collection d’histoire de la pharmacie riche d’environ 21 000 objets, dont le fleuron est le droguier Menier, bien mis en valeur dans un espace muséal qui se visite uniquement en petit comité et sur rendez-vous. Les Journées du patrimoine sont donc chaque année, depuis onze ans, l’occasion de découvrir cet écrin architectural qui a gardé son charme d’époque fin XIXe siècle et témoigne du succès de la famille Menier, célèbre lignée de droguistes-pharmaciens qui en devinrent propriétaires en 1879 et dont l’esprit industrieux fut à l’origine des fameux chocolats Menier.
Mais au-delà de cet attrait historique évident – on ne manquera pas de lever les yeux pour admirer les belles décorations du pavillon de style hispano-mauresque construit par Gaston Menier – l’Ordre sort des pièces de ses réserves, cette année pour une exposition autour de l’histoire des plantes, à découvrir dans les salons qui longent les allées du parc Monceau. Et, nouveauté, le visiteur pourra tester son odorat et ses connaissances grâce à un cabinet des senteurs, un loto des odeurs et un petit jardin des simples !
L’histoire des plantes
« Nous avons décidé de consacrer l’exposition aux plantes pour faire écho à la thématique du patrimoine durable », explique Camille Jolin, responsable du patrimoine pharmaceutique à l’Ordre. « On profite des Journées du patrimoine pour sortir des collections des œuvres ou des objets qu’on ne présente pas habituellement », poursuit-elle en mentionnant notamment le fac-similé d’une tablette sumérienne découverte à Nippur au milieu du IIIe millénaire avant J.C., un des plus anciens témoignages d’usage médicinal des plantes, telles que le thym, le saule ou le myrte. Est également abordée l’histoire du Papyrus Ebers, conservé à l’université de Leipzig depuis sa découverte en 1873. Chanvre, aloès, pavot, ricin, ce manuscrit est une mine d’informations sur l’usage des plantes dans l’Égypte antique, dont certaines sont toujours au cœur de notre pharmacopée. Évidemment, le parcours ne peut se dérouler sans un focus sur l’incontournable De Materia Medica, traité de référence rédigé au Ier siècle après J.C. par le médecin et botaniste Grec Dioscoride et dont l’Ordre conserve un exemplaire daté du XVIe siècle. Le visiteur découvrira également l’ouverture au monde, à la Renaissance, avec le début des grandes expéditions et des grandes découvertes, qui rapportent en Europe des épices rares, prisées, qui s’avéreront cruciales pour le développement de la pharmacopée moderne, en particulier le quinquina dont on extraira la quinine. Pour ces essences en particulier, plusieurs bocaux du droguier Menier sont mis en valeur dans l’exposition. « Au 16e, on voit émerger la théorie de Paracelse qui prônait la « quintessence des végétaux » et anticipe en quelque sorte le principe actif des plantes qui sera découvert au XIXe siècle » relate Camille Jolin.
Ces grandes étapes de l’histoire pharmaceutique par le prisme des plantes mèneront le visiteur jusqu’au développement de la chimie moderne, avec notamment un focus sur l’aspirine étayé de boîtes de médicaments et d’affiches publicitaires des usines du Rhône qui prônaient le remède antalgique, antipyrétique et antiagrégant, dont les ventes s’élèvent aujourd’hui à 25 milliards de comprimés par an. « À partir de l’aspirine, nous pouvons aussi montrer l’évolution de l’usage thérapeutique de l’écorce de saule depuis l’Antiquité », abonde l’historienne, précisant « car on se rend compte que globalement c’est assez rare de découvrir de nouvelles plantes pour lesquelles on trouve un usage pharmaceutique intéressant. Il s’agit surtout de plantes déjà connues dont on perfectionne la connaissance et donc l’usage thérapeutique grâce aux recherches scientifiques, encore aujourd’hui. » Enfin, l’exposition expose d’anciennes estampes publicitaires du laboratoire américain Parke Davis & Co. dont les images content l’histoire des plantes au cœur de la profession de pharmacien.
Cabinet des senteurs et loto des odeurs
Au vu succès de l’aromathérapie ces trente dernières années, l’exposition de l’Ordre replace aussi dans leur contexte thérapeutique l’usage des plantes qui doit être maîtrisé, ce dont témoigne la délivrance de certaines huiles essentielles dont le monopole revient au pharmacien. À ce sujet, une série d’affiches publicitaires pharmaceutiques de la seconde moitié du XXe siècle rappelle les mérites des plantes, mais aussi leur potentielle dangerosité. Impossible en effet de faire l’impasse sur les plantes toxiques (belladone, ciguë, digitale etc.) sur lesquelles la recherche se penche toujours aujourd’hui, à l’exemple de l’if dont on faisait les flèches et qui, depuis les années 1970, fait l’objet de recherches toujours plus avancées pour lutter contre certains cancers.
Pour les aromates plus bénins, tels les épices, le thé, le café ou même la moutarde, la présentation de leur usage culinaire bien connu se double de leurs vertus thérapeutiques souvent plus inattendues. Le parcours est ainsi couronné par un cabinet des senteurs grâce auquel le visiteur peut s’amuser à deviner toutes ces essences qu’on croit si bien connaître… Enfin, pour les petits, mais aussi pour les grands, l’Ordre a concocté un loto des odeurs et un petit jardin des simples, dans le jardin attenant au bâtiment.
Évidemment, à ne pas manquer : l’exceptionnel droguier Menier accompagné de divers ustensiles pharmaceutiques qui content à leur manière l’histoire de la profession de pharmacien depuis Molière jusqu’à nos jours. Aux côtés de piluliers, de mortiers et de moules à suppositoires, on s’arrête devant la dernière acquisition de la collection (un don de Sanofi) : une machine Frogerais à fabriquer des comprimés, datée des années 1960-1970.