La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, en particulier au cours de la première vague, a eu un impact considérable sur l’organisation des services hospitaliers et par là même sur la prise en charge des patients présentant un cancer. Les séquences thérapeutiques ont été adaptées, lorsque cela était possible, sans perte de chance pour le patient. L’Institut national du cancer (INCa) a rappelé, dans un communiqué du 24 novembre dernier, que les autorités et les professionnels de santé se sont organisés afin de pouvoir assurer la continuité des soins.
Toutefois, selon les données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), l’activité d’exérèse en oncologie a reculé de 17 % entre mars et août 2020 comparativement à la même période de 2019 (151 581 actes de chirurgie versus 181 723). Un chiffre global qui masque de fortes disparités géographiques (- 4 % en Corse versus - 36 % en Guyane) et selon le type de tumeurs (- 22 % pour les cancers de l’œsophage, - 6 6 % pour les cancers de l’ovaire). Ce constat recouvre aussi des situations différentes, entre les patients au diagnostic établi qui ont eu un changement de séquences et ceux dont le cancer n’a pas été diagnostiqué sur la période. Dans cette dernière situation, les raisons ne sont pas encore complètement identifiées : renoncement aux consultations par crainte de contracter le virus et/ou offre de soins plus complexe avec interruption transitoire des dépistages organisés lors du premier confinement.
Une baisse de moitié du dépistage
En mai dernier, dans un entretien au « Quotidien », le Pr Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, indiquait que « dans l’immense majorité des cas, les mesures préconisées consistant à diminuer les venues à l’hôpital, espacer les examens et à repousser les interventions ont pu être mises en œuvre sans perte de chance pour les patients ». Mais les inquiétudes portent surtout sur le retard au dépistage, avec un déficit de l’ordre de 50 % des cancers attendus, soit plus de 30 000 cas.
Or, selon les résultats de l’étude pilote menée à Gustave Roussy, GROUVID, les retards de diagnostics et de prise en charge pourraient conduire à une surmortalité par cancer estimée entre 2 et 5 % à cinq ans. Dans ce centre, les statisticiens estiment en effet que 86,6 % des patients traités sur l’ensemble de l’année 2020 auront subi des retards de moins de sept jours dans leur prise en charge, 5,2 % ont déjà connu un retard de plus de deux mois. Un délai à la prise en charge qui sort ces patients d’une fenêtre thérapeutique et les expose non seulement à un traitement plus lourd, mais aussi à un risque de progression notable de la maladie et in fine à un risque de voir diminuer leurs chances de survie. La surmortalité à cinq ans s’observerait principalement chez les patients atteints de sarcome, de cancer du foie ou de cancer de la tête et du cou. Ces chiffres, qui ne tiennent pas compte de la deuxième vague, peuvent être considérés comme optimistes.
Un risque de surmortalité dans les années à venir
L’impact délétère du retard à la prise en charge a aussi été souligné par une méta-analyse réalisée par une équipe canadienne et publiée dans le « BMJ ». Selon les auteurs, un mois de retard dans le traitement entraînerait une surmortalité d’environ 10 %, selon le type de cancer et les modalités de traitement. Si l’on prend l’exemple du traitement adjuvant du cancer colorectal, un délai de quatre semaines dans sa mise en route est associé à une augmentation de 13 % du risque de décès. Pour le cancer du sein, une chirurgie décalée de huit semaines expose à une augmentation de 17 % du risque de décès, qui atteint 26 % pour un retard de 12 semaines.
Le lien entre retard à la prise en charge et pronostic, jusqu’alors pressenti, est aujourd’hui confirmé et quantifié. Ces enseignements tirés de la première vague ont toute leur importance alors que la crise sanitaire se poursuit. Il y a matière à espérer que les mesures prises par la filière pour réorganiser la prise en charge des patients portent leurs fruits.