Comme le rappellent les Pharmaciens bibliophiles sur leur site Web, « les sociétés de bibliophiles, apparues en France au XVIe siècle, (…) se sont largement développées jusqu'à la fin du XIXe siècle ». Passe-temps de ces groupes de passionnés : éditer et se partager des livres d'art de leur cru, à faible tirage, parfois avec l’ambition de « sauver » des œuvres méconnues, résume Alexis-Raphaël Antoine, libraire parisien spécialiste des ouvrages de bibliophilie et de livres anciens.
L’engouement pour ce type de cercles s’étant maintenu jusqu’à l’Entre-deux-guerres, quelques membres de la Société d’histoire de la pharmacie ont constitué en 1928 une « compagnie » de ce genre – « très fermée », qui devait publier des beaux livres « à ses frais (et) au seul profit de ses membres », rapporte la revue d’histoire de la pharmacie, citant les premiers statuts de l’association. « Initialement, l’objectif était de promouvoir des livres directement pharmaceutiques », ajoute Jean Lelioux, actuel président de la société. Une démarche qui a conduit à la publication de travaux tels qu’un « livre illustré consacré aux blasons d’apothicaires, de grande qualité », juge le Pr Olivier Lafont, membre de l’Académie de pharmacie.
Peu de gens prêts à payer cher pour un livre
Mais depuis, nombre de sociétés de bibliophiles ont mis la clé sous la porte. À l’instar, semble-t-il, des Médecins bibliophiles.
Et pour cause : « peu de gens sont aujourd’hui prêts à payer cher pour un livre », relève le Pr Lafont. D’autant que l’aspect élitiste de ces clubs semble passé de mode – si tant est qu’il l’ait été un jour. De fait, le « goût des compagnies » n’a jamais été très développé en France, où les passions de collections se vivent le plus souvent sur un mode individuel, voire dans le secret, analyse Alexis-Raphaël Antoine. « Au contraire, les Anglo-Saxons assument plus facilement de se réunir autour d’un goût pour des objets de luxe, ainsi, des groupes de bibliophiles comme le Grolier Club continuent de bien se porter », note-t-il.
En outre, l’apparition des technologies numériques a sans doute joué un rôle. « L’objectif que certaines sociétés de bibliophiles se donnaient de sauver des textes a sans doute moins de sens de nos jours, face à des initiatives comme Gallica », estime le libraire.
Enfin, l’esthétique désuète de certains livres de bibliophilie aurait pu précipiter l’extinction de plusieurs sociétés. Selon Alexis-Raphaël Antoine, nombre de publications d’après-guerre « étaient déjà des pastiches de l’âge d’or de la création (de beaux livres), avant la première guerre mondiale ».
Bientôt le 35e livre des Pharmaciens bibliophiles
Ceci étant dit, certaines sociétés ont survécu. C’est le cas des célèbres Bibliophiles François, des Cent-Unes (société de femmes bibliophiles), des Bibliophiles du palais (société de juristes bibliophiles)… et des Pharmaciens bibliophiles, en pleine préparation d’un nouveau livre – « Le Nouveau monde dans nos assiettes, illustré par Alain Passard », annonce Jean Lelioux, récemment réélu président des Pharmaciens bibliophiles.
Encre de jouvence des Pharmaciens bibliophiles : l’adaptation, ou plutôt la diversification, analyse le président de la société. « En 1942, les statuts ont été modifiés afin de pouvoir publier également des livres concernant d’autres sujets que la pharmacie », rapporte-t-il. De plus, si la plupart des membres restent pharmaciens, la société est désormais plus ouverte – quelques « Pharmaciens bibliophiles » se révélant médecin, relieur, négociant d’art, etc.
De plus, les Pharmaciens bibliophiles apparaissent relativement prolifiques, la société publiant en moyenne un livre tous les deux ans – sauf périodes exceptionnelles telles que la crise sanitaire.
À noter par ailleurs un relatif effort de contrôle du montant de la cotisation à l’association. « En 1942, le prix de la cotisation annuelle était de 300 à 500 francs. Il est aujourd’hui maintenu à 300 euros, et permet d’acquérir un livre au bout de deux ans », détaille Jean Lelioux.
Mais la survie des Pharmaciens bibliophiles serait surtout liée à l’engagement de ses membres. « Ce genre d’initiatives repose (le plus souvent) sur l’enthousiasme et la bonne volonté de quelques personnes », analyse Alexis-Raphaël Antoine.
Or la société peine en réalité à renouveler ses effectifs. Tandis que les statuts de l’association autorisent un maximum de 150 membres, seulement 50 pharmaciens bibliophiles répondraient à l’appel. Et le Covid-19, avec la fermeture des salons de beaux livres, a réduit les possibilités de recrutement. Si bien que Jean Lelioux s’avoue « préoccupé ». « Plus que deux livres et on aura atteint 100 ans, mais on ne sait pas si on pourra tenir bien au-delà. »
(EXE)
En 1942, les statuts de l'association ont été modifiés afin de pouvoir publier également des livres concernant d’autres sujets que la pharmacie