En 1870, la France ne compte que trois « Écoles supérieures de pharmacie », à Paris, Montpellier et Strasbourg, héritières des anciennes Facultés dissoutes à la Révolution, ainsi que quelques « écoles préparatoires » ne délivrant qu’une formation plus réduite. Un an plus tard, suite à l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Empire allemand, Strasbourg ne peut plus former les étudiants de l’est de la France, si bien que son École supérieure est « transférée » en 1872 à Nancy, avec toute l’université. La même année, l’Allemagne fonde à Strasbourg une université de prestige, complétée par un « Institut pharmaceutique » destiné à la formation des futurs pharmaciens alsaciens.
Au lendemain de 1918, la question de la coexistence entre l’École de Nancy et l’Institut de Strasbourg – redevenu français — se pose avec acuité : situées à 150 km l’une de l’autre, et désormais sans frontière, il semble bien que l’une des deux institutions soit devenue « superflue », mais ni Nancy, ni Strasbourg n’entendent renoncer à la leur, chaque ville disposant d’excellents arguments pour la défendre.
Des Écoles deviennent Facultés
Professeur honoraire à la Faculté de pharmacie de Nancy et spécialiste de son histoire, le Pr Pierre Labrude s’est intéressé à cet épisode original jusque-là mal connu*. Il a montré comment le directeur de l’École de pharmacie de Nancy, le Pr Louis Bruntz (1877-1944) a joué, dès 1919, un rôle clé dans la transformation des Écoles en Facultés, concrétisant une idée qu’il caressait d’ailleurs depuis plusieurs années. Largement soutenu par sa ville, il a su démontrer au gouvernement qu’il ne pouvait être question de fermer l’École de Nancy, alors même que Strasbourg refusait absolument de céder son Institut, de surcroît de rang universitaire. Selon lui, la « concurrence » entre Nancy et Strasbourg devait se régler en élevant les Écoles et l’Institut au rang de Facultés : Bruntz va donc persuader les directeurs des Écoles de Paris et de Montpellier de soutenir son projet, qui sera finalement avalisé par un décret signé le 14 mai 1920 par le président de la République Paul Deschanel.
Pour le Pr Labrude, la création des quatre facultés, partie de Nancy, est « une conséquence heureuse et peut être inattendue » du retour de l’Alsace à la France, même si cette évolution fut d’abord essentiellement symbolique. Le titre de « Faculté » était en effet considéré comme plus prestigieux que celui d’École, en dépit des brillantes écoles d’ingénieurs et des grands établissements comme l’École normale supérieure. Toutefois les quatre facultés continueront, jusqu’en 1939, à décerner des « diplômes supérieurs de pharmacien de 1re classe » et non des doctorats. Bruntz, quant à lui, sera dès 1920 le premier doyen de la nouvelle Faculté de Nancy. Et, comme le conclut Pierre Labrude, contrairement aux craintes d’alors, les deux facultés de l’Est ont réussi à vivre en harmonie, comme ce sera le cas au fil des décennies suivantes avec la création de nombreuses autres facultés de pharmacie qui, de nos jours, sont souvent bien moins éloignées l’une de l’autre que ne le sont Nancy et Strasbourg.
(1) L’épisode est retracé en détail dans l’ouvrage codirigé par Pierre Labrude et Bernard Legras, « la faculté de médecine et l’école de pharmacie de Nancy dans la Grande Guerre », paru en 2016 aux Éditions Gérard Louis à Nancy.