La grippe aurait touché jusqu’à 36 000 des 55 000 habitants de Strasbourg, selon les estimations faites par les médecins en extrapolant les cas rencontrés au sein de leur propre clientèle. Elle tua entre 200 et 300 personnes, essentiellement malades et âgées, qui succombèrent à des complications respiratoires, les autres patients se remettant plus ou moins vite.
Le Pr Charles Schützenberger (1809-1881) rédigea peu après une étude détaillée sur cette grippe, qui épargna les enfants et toucha plus les femmes que les hommes. Elle se traduisait par une fièvre modérée, mais entraînait de fortes céphalées, et durait au maximum deux semaines, dont une phase aiguë, et pouvait se doubler de nombreux autres troubles physiques et « moraux ».
Les traitements prodigués laissent rêveur aujourd’hui. Les purgatifs et les saignées, qui visent avant tout à purifier le corps, restent largement utilisés. Ils sont complétés par des prises de tartre stibié, contenant de l’antimoine, à des fins vomitives. Schützenberger s’interroge sur la pertinence de tels traitements, qui « débilisent » les malades les plus affaiblis et les patients âgés. Sans les proscrire totalement, il recommande d’en limiter la fréquence, et estime que d’autres traitements, à base de plantes, sont bien plus efficaces. Il préconise le polygala, aux vertus expectorantes et fluidifiantes, ainsi que le quinquina, dont les vertus fébrifuges et toniques ne furent reconnues en Europe qu’en 1820. Enfin, il conseille les « vins généreux » pour triompher de la maladie.
Une démarche scientifique
Si certains aspects de son étude peuvent faire sourire, nous aurions tort de n’y prêter qu’un intérêt anecdotique. Aujourd’hui, l’histoire de la médecine et de la pharmacie se passionnent pour les ouvrages et études anciennes, relues sous l’œil du savoir contemporain. Ainsi, de nombreuses substances et plantes utilisées par les pharmacopées d’autrefois retrouvent un intérêt dans de nouvelles indications. Certes, cette étude ne permettra pas de trouver un remède imparable au Covid-19, mais elle s’inscrit dans une démarche scientifique rigoureuse. En évaluant les traitements et en étudiant la marche de la maladie, Schützenberger, à l’image de tous les médecins de la faculté de médecine d’alors, ainsi que des pharmaciens qui y étaient rattachés, fait preuve de modernité et d’innovation. Et il a aussi, sans aucun doute, ouvert aux officines de nouvelles pistes en matière de préparations bénéfiques pour leurs patients.