Dans l’économie de la connaissance qui est devenue la nôtre, la détention et le partage de l’information sont des données essentielles à la bonne marche des entreprises.
Les pharmacies n’échappent pas à ce phénomène. Longtemps cantonnées à leur « quant à soi », elles sont conduites à partager de plus en plus. On le voit bien en ces temps d’épidémie de Covid-19 où les informations circulent vite, et ont besoin de circuler vite afin de permettre aux pharmaciens de remplir au mieux les missions de santé publique qui sont les leurs. Mais déjà, dans l’exercice quotidien de leur profession, ils ont besoin d’avoir une visibilité au-delà du périmètre limité de leurs propres officines. C’est l’une des raisons d’être des groupements. Mais si les plus grands d’entre eux maîtrisent l’information de façon plutôt pyramidale, beaucoup de pharmaciens ressentent le besoin de la partager à un niveau beaucoup plus petit, local, et de façon plus « horizontale ». C’est l’un des objectifs que se fixent les petits groupements, qu’ils soient informels ou pas.
Le choix de la logistique
Le partage d’informations concerne quasiment tous les aspects de l’activité des pharmacies. Mais il en est un particulièrement stratégique qui attire l’attention de nombre d’entre elles, c’est la disponibilité des médicaments. À une période où les pénuries deviennent monnaie courante, certaines pharmacies s’organisent pour pallier les ruptures soudaines d’approvisionnement. L’informatique, outil de gestion des informations par définition, est un passage obligatoire, et les LGO proposent des fonctionnalités qui permettent d’aller voir dans les stocks des autres la disponibilité de produits manquant chez soi. Cela suppose naturellement que des pharmacies s’entendent pour autoriser les unes et les autres à partager leurs « données stocks », de façon partielle ou pas, avec possibilité de voir juste ce qu’il y a à voir, et de toute évidence, cela n’est pas très répandu compte tenu du contexte concurrentiel qui est le leur. Mais cela évolue peu à peu. Et elles sont de plus en plus nombreuses à s’organiser pour cela.
La pharmacie Europe dans le quartier Saint-Lazare à Paris est l’une d’elles, au cœur d’un petit groupement concentré autour d’elle géographiquement, elle a fait appel à Vindilis, un « petit » éditeur de LGO, pour sa gestion informatique. Et l’un des critères de choix de son titulaire Éric Myon a été précisément la gestion des ruptures d’approvisionnements. Or, Vindilis présente une originalité dans sa façon d’appréhender cette question, la prendre avant tout par son aspect purement logistique. « Les grandes pharmacies ont des logiciels de gestion logistique externes le plus souvent, et cela conduit à des échanges avec le LGO, faux la plupart du temps », explique Marc Mauer, consultant pour Vindilis. En effet, dès lors qu’il y a échange entre pharmacies, il y a automatiquement des données qui se modifient liées à la traçabilité du médicament, à l’édition de bons de livraison, la génération de facture de rétrocession, bref, toutes les étapes d’une gestion logistique en bonne et due forme. « Mais quand dans le cadre d’un petit groupement travaillant sur une zone géographique restreinte, on cherche un dépannage immédiat, en proposant au patient d’attendre cinq minutes le temps d’aller chercher le médicament dans la pharmacie voisine, les équipes n’ont pas le temps de faire toutes les procédures nécessaires au bon déroulement des process logistiques, d’où la nécessité de les automatiser et de les intégrer au LGO », détaille Marc Mauer. Ce que Vindilis est parvenu à faire en travaillant notamment avec la pharmacie Europe, mais aussi d’autres grands clients qui demandent des développements précis, généralisés ensuite à l’ensemble des utilisateurs du LGO. « Nous avons fait en sorte de transformer le logiciel de chaque pharmacie en serveur Pharma ML, ce qui permet de mettre à disposition les informations en temps réel, immédiatement », ajoute encore le consultant. Il est possible aussi de gérer les flux entre le dépôt de la pharmacie « mère » du groupement et toutes les pharmacies du groupement.
Du stock à la gestion des commandes
De nombreux éditeurs de LGO ont automatisé la consultation des prix, des stocks et des historiques de ventes de façon à gérer les problématiques de stocks mais aussi celles liées aux achats groupés. C’est le cas de Pharmaland qui propose cette possibilité à des petits groupements, moins de dix adhérents, tous équipés de son logiciel. L’éditeur a développé par ailleurs une nouvelle version d’un logiciel indépendant de son LGO, Cewi +, destiné cette fois à des petits groupements qui ne partagent pas le même LGO.
« C’est une solution full Web, qui permet aux pharmacies d’utiliser leur propre LGO, commente William Le Bellego, président de l’éditeur. C’est un produit qui cible des groupements de 30 ou 40 pharmacies. Nous avons développé cette solution pour répondre à la problématique des groupements face à la diversité des LGO utilisés en leur sein de façon à disposer d’une plate-orme susceptible de permettre de gérer leurs approvisionnements, rares sont en effet ceux qui à l’image de Giphar imposent l’usage d’un seul LGO à tous leurs adhérents. » On est certes dans la gestion des produits manquants, mais surtout dans celle des commandes groupées. Le commerce des médicaments obéissant à une réglementation rigoureuse, la solution Cewi + concerne plus volontiers les stratégies d’achats de produits hors médicaments, même si sur le plan technique, son usage pour pallier des pénuries serait possible.
Gérer les approvisionnements et le stock ensemble, c’est logique, c’est ce que font les éditeurs de LGO, comme Winpharma, qui a conçu un module, Wingroupe, pour faciliter les achats groupés entre pharmacies, mais aussi pour dépanner les différents membres du groupement. « Ce produit s’adresse plus volontiers aux groupements informels ou de petite taille, les groupements, notamment les grands, disposant de leurs propres outils », remarque Camille Girard, responsable marketing de l’éditeur. Il faut par ailleurs rappeler l’existence de plateformes très utiles pour l’ensemble des pharmacies, et notamment les indépendantes, afin de faire face aux ruptures d’approvisionnements de médicaments, notamment Vigirupture, spécialement conçue par Offisanté pour permettre aux officines de se procurer des médicaments auprès de collègues à proximité. Vigirupture intègre les stocks de quelque 6 500 pharmacies, de quoi répondre à bien des problématiques. De même, et d’un point de vue plus lié au déstockage, le Comptoir des Pharmaciens travaille avec quelque 9 000 officines. Le partage d’informations passe aussi par des plateformes de ce type qui travaillent à des échelles plus vastes.
Communication ascendante
Le partage d’informations entre officines concerne tous les aspects de leur activité. Dans les groupements, la communication est bien entendu stratégique et est de nature hiérarchique, elle « descend » vers les adhérents. C’est ce qu'Olivier Verdure, président de Pharmonweb, qualifie de communication descendante. Mais aujourd’hui, la communication « ascendante », des adhérents vers le groupement, mais aussi horizontale, entre adhérents est devenue incontournable. Elle connaît même une très forte dynamique selon Olivier Verdure depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Mais même en temps « normal », cette communication ascendante prend de l’importance. Valwin par exemple, propose aux groupements une brique qui leur permet de gérer plus facilement les campagnes labos. La communication va dans les deux sens, le groupement diffuse toutes les informations et le contenu des campagnes auprès des adhérents, ceux-ci remontent photos de têtes de gondoles et facturation, tous ces process sont automatisés. Les groupements peuvent ainsi identifier les pharmacies qui n’ont pas travaillé sur telle ou telle campagne et les relancer. « Les pharmacies adhérentes peuvent aussi échanger des informations entre elles au sujet de ces campagnes, des affiches par exemple que certaines d’entre elles ont conçues, détaille Camille Freisz, dirigeante et fondatrice de la société. Certes, ces échanges peuvent se faire par WhatsApp, mais ça part dans tous les sens, ce n’est pas vraiment un outil de travail. »
Ces prestataires cherchent à structurer un peu mieux le partage d’informations, qui en effet peut se faire par le biais des outils que tout le monde connaît et utilise. « Les réseaux sociaux sont très utiles, en l’occurrence ces derniers temps pour préciser par exemple des informations relatives à la distribution de masques, informations pas toujours claires et mouvantes, mais il peut y avoir aussi tout et n’importe quoi, c’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’avoir un modérateur, et les échanges d’informations dans le cadre de groupements sont vérifiés et validés, explique Olivier Verdure. Par exemple, un adhérent évoque l’usage d’un thermomètre industriel trouvé sur Amazon, il s’avère en fait que ce produit n’est pas adapté. » Le rôle de modérateur est joué soit par un responsable désigné au sein d’un groupement soit par délégation à Pharmonweb.
Winpharma de son côté propose aux groupements son outil collaboratif Winteam, destiné aux officines pour gérer les équipes en leur sein, mais le produit peut être utilisé entre groupements, « une communication vivante et naturelle », selon Camille Girard, structurée mais libre, l’éditeur estimant qu’il n’y a pas là besoin de modérateur. Les prestataires en sont convaincus, la période que l’on vit actuellement peut changer l’usage que les pharmaciens font des outils qu’ils ont à leur disposition. Les pharmaciens se contentent la plupart du temps de la communication descendante, mais « grâce » à l’épidémie, où l’on voit d’autres formes de communications s’établir, on peut espérer que des réflexes durables vont s’installer.