- Elle vit actuellement dans une caravane avec son fils. Elle a perdu son emploi et hier, elle est venue me demander de l’aide. Je crois qu’elle nous fait confiance, explique Marion à Karine.
- Il faudrait que je la rencontre à ma permanence. Tu as pris ses coordonnées ?, demande la titulaire députée.
- Oui. On ne peut quand même pas la laisser passer l’hiver dans cette caravane ? Je ne sais même pas s’il y a du chauffage.
- Non, pas question en effet. Je vais faire ce que je peux pour qu’on l’aide, sans qu’elle soit séparée de son fils. Parce que…
- Oui, c’est sa plus grande crainte. Et c’est pour ça que jusqu’à présent, elle ne s’est confié à personne.
- Et tu me dis qu’elle est enceinte ? Le papa ?
- Si j’ai bien compris, c’est le père de son fils. Mais il a totalement disparu des radars, du jour au lendemain.
- Le sort s’acharne. J’en fais une affaire personnelle. Je préviens la mairie pour la mise à disposition d’un logement. Pour le boulot, j’ai une petite idée…, conclut Karine sans en dire plus à sa collègue.
Entre deux patients, Julien regarde par la vitrine. Le temps est maussade ; une pluie incessante s’abat sur la ville depuis le matin. Il salue les deux hommes qui arrivent face à lui. L’un d’entre eux est un client habituel, Monsieur Loiseau.
- Allez, dis-lui.
- Ça va je te dis, on va pas en faire tout une histoire, répond Alain Loiseau.
L’homme le regarde et son visage se crispe. Il s’adresse à Julien :
- Il paraît que vous n’arrivez pas à avoir le médicament de mon frère pour traiter son cancer ?
- Pardon Monsieur, je vais consulter le dossier. De quel médicament me parlez-vous ?
- Celui qui est prescrit par l’oncologue, à l’hôpital.
Après avoir examiné la liste, Julien comprend qu’il s’agit de la capécitabine.
- Comment cela, on ne peut pas l’avoir ? Il n’y a pas de problème d’approvisionnement…
- Ah ! J’en étais sûr. Tu dis n’importe quoi pour ne pas prendre ton traitement. Mais tu veux mourir plus vite ou quoi bordel ?
Monsieur Loiseau regarde le sol. Julien l’observe pendant que le frère s’énerve. Le patient a beaucoup maigri. Ses vêtements sont larges et ses traits sont fatigués. Le pharmacien prend la parole, faisant signe au frère de se taire :
- Monsieur Loiseau, que se passe-t-il ?
- Je ne crois pas que ce traitement soit fait pour moi.
- Ah tu recommences ! C’est cette femme qui l’a embobiné.
- Tais-toi Gérard. Tu crois tout savoir, mais tu ne te rends pas compte à quel point ces médicaments peuvent être toxiques. Une fatigue indicible, des journées sur les toilettes parce que ça me donne la diarrhée, des boutons aux mains, à la bouche… poursuit Monsieur Loiseau d’une voix étranglée. J’en veux plus, j’en peux plus. Cette femme, comme tu dis, elle me propose autre chose. Des tisanes, des poudres qui me font du bien. Et pourquoi pas ? Hein ? C’est mon choix.
Julien ose demander :
- De quelle femme parlez-vous ?
- Peu importe. Je viens juste chercher de la vitamine C. Vous avez ça ?
Le pharmacien n’insiste pas, comprenant que Monsieur Loiseau n’entend plus ce que les médecins et pharmaciens ont à lui dire. Avant que les deux hommes repartent, il souffle au frère de Monsieur Loiseau :
- Appelez-moi.
Le frère hoche la tête.
(À suivre…)