Dans le cadre du pacte vert pour lutter contre le réchauffement climatique, un projet de réglementation au niveau européen pourrait conduire à la disparition de certaines HE classées en substances dangereuses.
L’Union européenne s'est prononcée en 2020 pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques vers un environnement exempt de substances toxiques. Il s'agit dans un premier temps de recenser, d'évaluer et de contrôler les substances chimiques fabriquées, importées et mises sur le marché européen (règlement Reach). La stratégie de l'Union européenne vise ensuite à interdire spécifiquement les substances chimiques les plus nocives pour l'environnement et la santé présentes dans des produits de consommation. D'ici à fin 2022, l'exécutif européen doit présenter une révision du règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances chimiques (règlement CLP).
Les HE pourraient être classées comme dangereuses
Ce qui inquiète les producteurs est que ce projet ne fera aucune distinction pour les huiles essentielles (HE). En effet, pour Bruxelles les HE sont classées produits industriels, elles devront être conformes aux nouvelles normes en tant que produits finis mis sur le marché ou entrant dans la composition de produits cosmétiques ou autres.
L'inquiétude des fabricants est d'autant plus grande que la Commission européenne souhaite pour chaque molécule une classification selon des critères de nocivité : allergènes, mutagènes cancérigènes reprotoxiques. Elle refuse de reconnaître l'HE comme une substance globale composée de plusieurs molécules et elle pourrait classer les huiles en substances dangereuses à partir de 2025. Le risque de voir les HE figurer sur la liste noire des produits étiquetés de pictogrammes dissuasifs et anxiogènes est réel. Pour le consommateur, la conséquence est que les HE peuvent être considérées comme cancérigènes, perturbateurs endocriniens, non biodégradables, ou tout simplement jugées trop dangereuses pour la santé et, par principe de précaution, interdites d'utilisation dans l'Union européenne.
Face à cette menace de voir disparaître les filières des HE, les producteurs français réagissent et se sont organisés. Ils souhaitent que les HE soient évaluées sur la base de méthodes adaptées et proportionnées aux produits naturels. C'est pour relever ces défis que s'est constitué le Consortium HE*. Sa vocation est de valider les sources d'information sur les HE (données scientifiques et cliniques) en améliorant la sécurité du consommateur et en promouvant un nouveau statut réglementaire. « Le Consortium HE a engagé des discussions avec les pouvoirs publics (ANSM et DGCCRF) pour débloquer le verrou réglementaire actuel. Il appelle les autorités à revoir leur position et à réviser ce cadre qui n'est plus adapté, en tenant compte des dernières avancées scientifiques », confirme Jean-Marc Giroux, président de Cosmed et coordinateur du Consortium HE.
Une situation réglementaire complexe et problématique
La polyvalence des HE explique que, à l'heure actuelle, il n'existe pas de réglementation unique applicable à l'ensemble des HE en France, mais plusieurs réglementations selon l'usage auquel elles sont destinées (aromatique, thérapeutique, alimentaire, cosmétique…). Paradoxalement, une HE a de multiples usages mais ils ne sont pas reconnus : chaque produit ne peut être régi que par une seule réglementation alors qu'il peut être utilisé par voie cutanée, interne ou par diffusion. Ce marché est soumis à pas moins de six réglementations différentes : médicament, cosmétique, biocide, complément alimentaire, dispositif médical, produit de consommation courante. Chacune de ces réglementations assure la sécurité d'emploi des HE mais il n'est pas cohérent de comparer des produits ayant des fonctions et des statuts différents. « Cette situation est complexe tant pour les administrations de contrôle que pour les acteurs du marché, les professionnels de santé ou les consommateurs peu au fait de ce maquis réglementaire et de ses subtilités. Il n'y a pas aujourd'hui de cadre précis définissant les termes de produits d'aromathérapie », constate Jean-Marc Giroux.
Les industriels sont confrontés en permanence au problème du choix du positionnement et des allégations produit et à la nécessité d'être conforme à l'une des six réglementations. L'objectif du Consortium est d'harmoniser les différents usages des HE. Les professionnels souhaitent obtenir une réglementation adaptée spécifiquement à l'aromathérapie qui reconnaisse les multi-usages des HE en précisant leurs allégations santé et bien-être. L'émergence de ce nouveau statut doit être complémentaire et non conflictuelle avec les six réglementations existantes. Le statut de produits de santé naturels (PSN) en vigueur au Canada est une source d'inspiration.
Des mésusages surtout liés à la voie d'administration
La complexité et l'inadaptation des réglementations actuelles ont aussi pour conséquence des dérives possibles au niveau des pratiques des consommateurs d'aromathérapie. Les HE sont partout et on les utilise parfois sans le savoir. D'autre part, la facilité d'accès à ces produits et une automédication mal encadrée peuvent amener le consommateur à commettre des imprudences mettant en jeu sa santé. « D'après les centres antipoison, la principale source responsable des mésusages est la voie d'administration (93 %). Fort heureusement aucun cas grave n'a été relevé à ce jour. Avec la progression du marché, d'autres mésusages sont observés avec des médicaments à base d'HE et avec des présentations d'HE pures en flacon », prévient Cosmed.
Les offres d'HE se multipliant, il convient de bien sélectionner les circuits de distribution. Les achats sur Internet sont très sécurisés avec les marques françaises ou référentes - très contrôlées par la DGCCRF - qui garantissent la qualité et la traçabilité de leurs produits. En revanche il faut se méfier des HE en provenance de pays étrangers. En France, la pharmacie est le lieu d'achat privilégié par les consommateurs d'aromathérapie. Ils y trouvent aussi bien des HE pures unitaires que des produits formulés avec des HE sous différentes présentations, et ils peuvent bénéficier des conseils avisés de l'équipe officinale. Quant aux HE revendiquant des allégations thérapeutiques, elles sont considérées comme des médicaments et ne sont disponibles qu'en pharmacie après une autorisation de mise sur le marché.
La réalité sur les risques allergiques
Depuis une dizaine d'années, plusieurs médias dénoncent et mettent en garde contre les propriétés potentiellement dangereuses de certaines HE sur la santé humaine. Elles sont particulièrement mises en cause dans la survenue de plusieurs formes d'allergies.
Le président de Cosmed rappelle que si la recherche d'effets indésirables est légitime, les HE utilisées conformément aux recommandations des fabricants sont sûres et leurs risques de mésusages allergisants sont trop souvent mal appréhendés. Il estime que « leur réalité et leur acuité reposent sur des études souvent contradictoires. Les erreurs d'appréciation viennent souvent d'une confusion entre les produits et la version oxydée de leurs constituants. En pratique, les molécules les plus sensibles des HE absorbent l’oxygène de l’air pour se transformer lentement en peroxydes. Le délai d'oxydation varie entre 40 jours et plusieurs mois selon la stabilité de l'huile (les HE d'agrumes sont particulièrement fragiles) ».
Toutes les instances scientifiques ont admis que le caractère allergisant des HE est majoritairement dû à leur oxydation dans des conditions artificielles (le limonène oxydé provient principalement de son utilisation comme solvant des peintures murales) ou accélérées (flacon ouvert sous agitation avec flux d'air). « Elles ne se produisent pas dans les conditions normales recommandées par les fabricants (flacon en verre teinté, bien (re)bouché, à l'abri de l'air, de la chaleur et de la lumière) », rappelle Jean-Marc Giroux. Une HE unitaire en flacon se conserve en moyenne un an ; au-delà ses composants peuvent subir une résinification (polymérisation) et elle perd ses propriétés et son intégrité. De plus, l'analyse des composants d'une HE pris un à un, telle qu'envisagée par l'Europe, est une autre cause d'erreurs d'appréciation. « Il ne faut pas raisonner molécule par molécule mais prendre l'HE dans sa globalité, insiste le président de Cosmed. Certains composants peuvent présenter des effets secondaires qui n'existent pas lorsqu'ils sont naturellement présents dans une HE totale. » C'est le cas du citral dont les effets ne sont pas comparables s'il est testé de façon isolée ou dans une HE de citronnelle, où il devient inoffensif à des concentrations équivalentes. Le phénomène de neutralisation est encore plus efficace lorsque le constituant est présent au sein d'un mélange d'HE.
« L'ampleur et la complexité du sujet placent les principaux acteurs du marché et les autorités devant un devoir d'agir au niveau national et au niveau européen en tenant compte des spécificités des HE qui leur confèrent un statut particulier », conclut Jean-Marc Giroux.
* Le Consortium des HE regroupe de nombreuses entreprises représentant 95 % du marché des produits d'aromathérapie : Arkopharma, Aroma Zone, Florame, Groupe Gilbert, Ladrôme laboratoire, Léa Nature, l'Occitane, Omega Pharma, Pierre Fabre (Naturactive), Pranarôm, Puressentiel, Weleda, ainsi que des agriculteurs et des producteurs d'HE. La 4e édition des AROMADAYS organisée par Cosmed et le Consortium HE se tiendra les 1er et 2 décembre à Avignon. Ce congrès sera l'occasion de montrer les dernières avancées scientifiques face au choc des prochaines évolutions réglementaires.