Derrière une apparente simplicité de mise en œuvre, la vente en ligne impose une maîtrise parfaite des codes du e-commerce. Mieux vaut être averti avant de se lancer.
Règle n° 1 : savoir où on met les pieds.
« Le commerce en ligne véhicule une notion d'engagement du consommateur pour un produit ou un service, qu'il concrétise par un acte d'achat, quel que soit le mode de récupération du produit », précise Pascale Proust, fondatrice de la société de conseil en marketing Paprika marketing. En coulisse, le e-commerce est une énorme machine qui se distingue des codes du commerce traditionnel, et s'articule de façon bien huilée autour de plusieurs compétences. « Quand on décide de lancer une activité de e-commerce, il faut anticiper et penser à l'ensemble des domaines dans lesquels il faut exceller : l'achat, le référencement, le stock, la logistique, la visibilité sur le Web et la communication. Pour réussir, il faut s'entourer de compétences qui ne sont pas celles qu'on a l'habitude de recruter en pharmacie », insiste Hélène Decourteix, associée fondatrice de la société de conseil La Pharmacie Digitale. Autrement dit, le e-commerce ne souffre pas la médiocrité : ce n'est pas du bricolage mais un métier à part entière, et cela quel que soit le produit.
Règle n° 2 : Respecter la réglementation en vigueur
« Le cadre légal challenge les éléments de vente en ligne », résume Luc Besançon, délégué général de l'AFIPA (Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable). En France, depuis 2013, les pharmacies sont autorisées à vendre des produits via Internet, dont les médicaments inscrits sur la liste des spécialités de médication officinale. Plusieurs articles du code de la santé publique encadrent cette activité (L 5121-5, L5125-33…). Pour le médicament, par exemple, le site de vente en ligne doit comporter un onglet spécifique permettant au client de différencier ce produit des autres produits proposés. Un dispositif d'alerte ou de blocage est prévu lorsque les quantités de médicaments commandés conduisent à un dépassement de la dose d'exonération. À l'inverse, aucune quantité minimale d'achat ne peut être exigée ou suggérée.
Règle n° 3 : Définir sa stratégie.
« Il est vrai que le fait de s'affranchir de la barrière physique du point de vente offre une perspective de marché infini, sur le plan géographique ou de l'offre. Pour un commerce existant physiquement, c'est potentiellement des ventes additionnelles », reconnaît la fondatrice de La Pharmacie Digitale. Ce constat ne garantit pas pour autant le succès de ce canal de vente, si les moyens déployés ne sont pas suffisants. « Une règle fondamentale est de porter sa réflexion sur l'intérêt de développer le e-commerce pour une pharmacie d'officine. La vente en ligne n'est pas forcément une source de revenus ; elle impose des contraintes d'organisation », explique Luc Besançon. On peut être tenté par l'expérience mais celle-ci doit toujours répondre à une demande du consommateur, ce qui impose de bien cerner les besoins. « D'une manière générale, il y a moins d'incitation à acheter les médicaments de PMF (prescription médicale facultative) en France, d'où un panier moyen plus bas », ajoute le délégué général de l'AFIPA.
Règle n° 4 : Identifier ses concurrents directs et se positionner raisonnablement.
Se lancer dans le e-commerce en produits cosmétiques ou produits de santé divers, hors médicaments, c'est également prendre le risque de se retrouver en concurrence avec les DNVB (digital native vertical brand = marques nées sur le Web sur des segments de niche) qui excellent dans la relation client, ou avec des sites marchands en ligne dont le e-commerce est dans leur ADN. « Derrière la pharmacie en ligne, il y a des géants qui mettent les moyens nécessaires pour acquérir de la notoriété et développer une expérience client toujours plus satisfaisante », observe Luc Besançon. Pour Hélène Decourteix, « les leaders européens de la vente en ligne de produits de santé, comme le suisse Zur Rose (Doc Morris, Doctipharma), ont compris que le e-commerce n'est plus le cœur de leur stratégie ; ils construisent un écosystème avec des produits, mais également des prestations de service et des services numériques ».
Règle n° 5 : Après la stratégie, se doter de moyens.
Pour satisfaire les consommateurs qui ont expérimenté le e-commerce, les principaux enjeux et clés du succès sont le prix et le délai de livraison. « La référence du cyberconsommateur, c'est Amazon ou les DNVB, qui offrent une expérience parfaite et fédèrent une communauté fidèle et engagée grâce à une logistique transparente et efficace : stock disponible, délais de livraison, notification d'expédition, retour facile… », commente Hélène Decourteix. Pour le pharmacien, il faut viser ce niveau de qualité, c'est-à-dire disposer d'un stock en quantité suffisante, référencer un panel élargi de gammes avec des prix compétitifs (et en amont, disposer d'une force d'achat), et assurer le suivi de livraison. « Pour développer la vente en ligne, le plus simple est de souscrire à la solution d'un éditeur spécialisé ou du groupement, mais ça ne résout que la brique technique, pas les aspects du socialmédia management ou des process en back-office qui sont pourtant essentiels », prévient Hélène Decourteix. La fondatrice de La Pharmacie Digitale rappelle également que le pharmacien n'a pas le droit d'acheter de la visibilité numérique du fait du code de déontologie, ce qui crée un véritable handicap : « sa seule option, c'est le référencement naturel sur la toile et cela se fait à coups d’investissements technologiques et de compétences pour tenir dans la durée ». « Le référencement naturel est un travail essentiel puisqu'il conditionne la visibilité sur Internet. Il ne s'agit pas d'associer à un produit la notice de l'industriel, mais de retraduire l'indication de ce produit dans un langage simple utilisé par la cible. C'est grâce à ce travail de réécriture qu'un site de vente en ligne se distingue dans les moteurs de recherche », explique Pascale Proust.
Règle n° 6 : Vendre en ligne mais rester pharmacien.
Enfin, au-delà de la stratégie et des moyens, le pharmacien qui souhaite proposer un service de vente en ligne de médicaments doit réfléchir à son positionnement et à la méthode à employer pour conserver et valoriser ce rôle de dispensateur. « Quand on parle de médicament, on parle aussi de bon usage : comment réaliser une dispensation de qualité en e-commerce ? Il faut une cohérence avec l'activité de la pharmacie physique, dont le service en ligne n'est qu'un prolongement », estime Luc Besançon.