Karine sort de son bureau, visiblement ravie de la conversation qu'elle vient d'avoir avec une consœur et amie. Elle rejoint le petit groupe agglutiné autour de Lou, l'apprentie préparatrice.
- Je crois que je m'en suis bien sortie, explique la jeune fille à ses collègues.
À 22 ans, Lou s'apprête à devenir préparatrice en pharmacie. Elle vient de terminer la série d'épreuves pour le BP (brevet professionnel).
- Et pour la préparation, qu'est-ce que tu devais faire ?, demande Christèle, se remémorant son propre examen passé il y a plus de dix ans maintenant.
- Des gélules. Et tout s'est bien passé. Heureusement que vous m'en avez fait faire et refaire tout au long de l'année.
- Ah tu vois ! Tu ne t'es pas trompée dans le calcul j'espère ?, l'interroge Nicole Bertin.
Formée à l'ancienne, la doyenne des préparatrices est particulièrement tatillonne sur les préparations magistrales. Souvent dure avec les apprenties au point de les faire pleurer, sa rigueur est généralement payante pour celles et ceux qu'elle supervise pendant deux ans.
- Non Nicole, je suis sûre d'avoir fait comme il faut. J'ai appliqué ta méthode, et d'ailleurs…
Très émotive, la future préparatrice retient un sanglot et s'approche de son aînée en lui prenant les mains :
- Et d'ailleurs, merci pour tout. Oh, je t'ai souvent détestée, surtout quand tu me faisais refaire des préparations pour des petits détails. Mais j'admets que tu es un très bon professeur.
- Des détails ? Ces détails font toute la différence, ma petite. Mais je me demande à quoi cela va servir pour ces nouvelles générations de préparateurs, soupire Nicole.
- Pourquoi tu dis cela ? Les pharmaciens auront toujours besoin des préparateurs, même si nous ne faisons plus de préparation. Et tant mieux d'ailleurs, en ce qui me concerne, lui rétorque Damien qui franchit le seuil du préparatoire uniquement quand il n'a pas d'autres choix.
- Nicole fait certainement allusion à la réforme du diplôme qui devrait intégrer le parcours universitaire, intervient Karine. C'est une bonne chose, je pense. Votre diplôme n'a jamais évolué, alors que votre métier s'est énormément enrichi.
- Sauf que, selon cette réforme, il n'y a pas de passerelles entre l'ancien et le nouveau diplôme. Autrement dit, il y aura une revalorisation des salaires pour les nouveaux diplômés mais pas pour les anciens, s'emporte Nicole Bertin. Moi je m'en fiche, je suis en fin de carrière. Mais pour toi Christèle, ou toi Damien, ou même toi Lou… Vous vous voyez vous engager dans une VAE (validation des acquis d'expérience) ?
- Tu es sûre de ce que tu dis ? J'avais compris qu'il y aurait une équivalence, répond Damien, dubitatif.
- De toute façon, nous ne sommes pas représentés alors qui va nous défendre ?, reprend Christèle.
- Tu n'as pas tort. Aujourd'hui, ce sont les pharmaciens qui parlent pour nous, qui définissent notre avenir professionnel, qui décident des salaires…
- Heu, pour les salaires, c'est un peu plus compliqué. Mais c'est vrai que vous manquez de représentativité professionnelle, réplique Karine. En tout cas Lou, on croise les doigts, mais je suis d'ores et déjà fière de toi. Je me souviens de toi, quand tu es arrivée ici pour débuter ton apprentissage. Et maintenant, te voilà une femme, prête à t'engager dans la vie d'adulte.
Lou fond en larmes, mais Karine poursuit.
- Et comme les bonnes nouvelles n'arrivent pas seules, je pense qu'un CDI s'ouvre à toi. Pas ici, comme tu le sais, mais dans la pharmacie de Juliette.
(À suivre…)