Maëlys, l’apprentie préparatrice, est surexcitée. Hier soir, elle a vu Alice à la télévision ; l’étudiante de la pharmacie du Marché participe au concours du meilleur pâtissier.
- Ça fait tout bizarre de la voir à la télé. Tu as regardé toi ?
Christèle tente tant bien que mal de recompter les boîtes de buprénorphine pour un patient qui doit venir chercher son traitement dans la matinée.
- Oui bien sûr, un tel événement ! C’est la première fois qu’une personne de l’équipe passe à la télé. Sauf peut-être J-C et Karine, quand nous avions accueilli le président de la République.
- Mais non ?, répond l’apprentie, médusée.
- Mais si. Tu en es où de la réception de commande ? Allez, au boulot. On parlera d’Alice au pays des gâteaux plus tard…
Dans la pharmacie, une question revient sans cesse : « Vous avez reçu le vaccin contre la grippe ? À la radio, ils ont dit qu’on pouvait se faire vacciner dès aujourd’hui. J’ai reçu mon bon… »
À chaque fois, Kenza plaisante :
- Oui bien sûr, les vaccins sont bien au chaud dans le frigo.
Mais dans un cas sur deux, les patients répondent qu’ils préfèrent attendre pour se faire vacciner : « il fait si beau ; la grippe n’est pas encore là ».
À l’accueil, Gisèle désespère. Monsieur Duchemin est encore là ce matin. Depuis la semaine dernière, il se présente tous les jours à la pharmacie pour voir Élisabeth Pontignac, l’ancienne titulaire. J-C a beau lui dire que sa mère est à la retraite depuis des années, le vieux pharmacien s’entête.
- Monsieur Duchemin, nous n’avons rendez-vous que demain. Madame Pontignac viendra demain après-midi à la pharmacie, dit Gisèle, lasse.
- Ah, voilà c’est ça. Demain après-midi. Savez-vous que j’étais étudiant en pharmacie avec Babeth !
L’ancien répète son refrain quotidien puis finit par partir, au grand soulagement de Gisèle.
- Il perd la tête ?, demande Julien.
- Je ne pense pas. Je pense surtout qu’il veut voir du monde.
- ‘onjour.
Plongé dans la lecture d’une ordonnance, Julien relève la tête.
- Madame Chapovski ! Mais que vous est-il arrivé ?, dit Gisèle, inquiète.
- C’est la ‘aute à Rou’o…
La pauvre femme a la lèvre inférieure très enflée, ce qui l’empêche de prononcer correctement certaines consonnes. Elle porte un gros pansement sur le front et le tour de son œil est noir. Son bras droit est tenu par une simple écharpe.
- Roumo ? Votre chien ?
- ‘ais non Rou’o. L’as’irateur… Tiens raconte-toi…, lance la cliente à son accompagnant en lui décochant au passage un coup de coude dans les côtes.
- Ma mère s’est pris les pieds dans son aspirateur robot Roumbo.
- Une ‘onne idée ce truc encore, râle la vieille dame.
- C’est ma sœur et moi qui lui avons offert, dit le fils penaud.
- ‘ous ‘oulez mon héritage ! Elle tient le coup la ‘ieille…
- Maman, s’il te plaît.
- Venez Madame Chapovski, je vais m’occupez de vous, répond Julien en invitant la patiente à le suivre. Nous allons commencer par l’écharpe d’immobilisation.
- Un ‘eau gar’on pour moi. Ça ‘a déjà ‘ieux.
- Maman…
- Madame Chapovski est toujours très flatteuse.
- Et pour la gri’e ?
- Pardon ?
- La gri’e… la ‘iqure, insiste la patiente en mimant une injection dans son bras.
- Ah, la grippe. Je crois qu’on verra ça plus tard Madame, il n’y a pas d’urgence.
(À suivre…)