Face au manque persistant de personnels qualifiés et aux actions de prévention insuffisantes, la Cour ébauche des pistes pour bâtir un nouveau modèle d'EHPAD et appelle à changer la tarification du secteur et à renforcer la fonction de médecin coordonnateur.
Considérant ses modalités de tarification et d'autorisation « trop complexes » et ne correspondant pas à la réalité des besoins, la Cour des comptes appelle tout d'abord à « fusionner » les sections soins et dépendance, qui sont actuellement payées par l'assurance-maladie pour la première et le département pour la seconde, sous l’égide des agences régionales de santé (ARS), « afin de simplifier la tarification et de réduire les disparités départementales ». « La coexistence de trois sources de financement (soins, dépendance et hébergement) a de moins en moins de sens au fil du temps et est facteur de complexité et d’inégalité territoriale, indique la Cour. Il est regrettable que les écarts considérables liés aux tarifs hébergement ne puissent pas être analysés, pour en connaître l’effet sur la prise en charge des résidents. »
10 % d'absentéisme
Surtout, les magistrats ont passé au crible la prise en charge médicale des résidents. Malgré des efforts sur les dernières années, elle reste « insuffisante » avec des manques « persistants » de personnels qualifiés. Entre 2011 et 2015, le taux d’encadrement dans les EHPAD est passé de 59 à 63 ETP pour 100 résidents. Mais les établissements se heurtent toujours à des problèmes de recrutement et d'attractivité, souligne la Cour, qui note un fort recours aux contractuels ou aux personnels faisant fonction d'aide-soignant. Ces sous-effectifs, couplés à un accroissement du niveau de dépendance des résidents, rendent les conditions d’exercice « difficiles ». L’absentéisme est fréquent, avec une médiane nationale de 10 % relevée par l’Agence nationale d’appui à la performance (ANAP).
La fonction médicale est également en difficulté, comme l'illustre le manque de médecins coordonnateurs dans les EHPAD. Selon l’ANAP, au 31 décembre 2019, au moins 20 % des établissements n’avaient pas de médecin coordonnateur. Parmi les Ehpad contrôlés, un tiers « connaît ou ont connu récemment » une vacance de poste dans la fonction de médecin coordonnateur et un quart supplémentaire a une quotité inférieure aux seuils réglementaires. « Des difficultés à recruter s’observent aussi bien parmi les gestionnaires publics que privés. Le secteur rural est surreprésenté, mais des vacances s’observent également en milieu urbain. Dans plusieurs cas, le médecin coordonnateur est un médecin traitant, non spécialisé en gériatrie et non formé à ces fonctions », relève la Cour des comptes.
Risque d'iatrogénie
Parallèlement, les consultations de médecins généralistes dans les EHPAD sont en baisse : alors que les dépenses correspondantes s’élevaient entre 30 et 34 euros par mois et par résident entre 2014 et 2016, elles ont baissé à 27 euros en 2017 et 24 euros en 2018. Dans un EHPAD de Mulhouse visité, 40 % des résidents n'ont pas de médecin traitant. Cela risque de s'aggraver dans les années à venir avec le départ en retraite de médecins généralistes, prévient la Cour. Ces difficultés dans le recrutement des médecins coordonnateurs et le manque de médecins traitants entraînent des problématiques de prise en charge « sérieuses » en termes de prévention et de suivi, à l’image des surconsommations médicamenteuses – sur l’échantillon d’EHPAD contrôlé, plus d'un tiers a 10 % de résidents avec un risque d’iatrogénie.
Outre la formation et la qualification de nouveaux médecins en expertise gériatrique, la Cour appelle donc à renforcer la fonction de médecin coordonnateur et à étendre les expérimentations de médecins prescripteurs. Pour « renforcer l’ensemble du dispositif et assurer un suivi médical individuel intégrant une démarche de prévention », la Cour préconise de plus la définition d’un ratio minimal de référence pour le temps de médecin prescripteur en EHPAD. Une bonne insertion territoriale au sein de filières gériatriques ou de groupements hospitaliers de territoires (GHT) est également une piste d'amélioration. Enfin, les contrôles opérés dans les Ehpad par les ARS et les départements, jugés « insuffisants » et menés avec des moyens disparates, doivent être renforcés. Un diagnostic qui fait écho au livre enquête du journaliste Victor Castanet, « Les Fossoyeurs » paru fin janvier et qui a donné lieu à une commission d'enquête parlementaire.
* Rapport basé sur les contrôles réalisés par les juridictions financières dans 57 Ehpad de tous statuts juridiques en 2020 et 2021, et sur les différentes politiques et actions menées les pouvoirs publics et les tutelles.