- Combien tu dis ? Deux euros par seringue ?, demande J-C le dos en appui contre une étagère.
- Oui, deux euros la dose unitaire, c'est écrit dans « le Quotidien ». Tu en penses quoi ?, lui répond du tac au tac Karine. Après plusieurs années d'association, la pharmacienne sait qu'il est préférable de laisser son collègue s'exprimer en premier.
- Franchement, c'est pas beaucoup. Non Karine, je sais que tu aimes être à la pointe des missions confiées aux pharmaciens, mais pour celle-ci je ne te suis pas. Tu te rends compte le temps que ça va nous prendre ? Et puis d'abord, c'est officiel ?
- C'est officiel : préparation et rémunération.
Karine se tait un instant. J-C attend la suite.
- Pour une fois, je suis assez d'accord avec toi, finit par dire la pharmacienne. Du moins pour le moment. Et puis je ne vois même pas comment nous pourrions nous organiser pour que cette préparation soit efficace, et que les seringues soient enlevées dans les temps.
- Parce qu'en plus, c'est nous qui devrons les livrer aux médecins et cetera ?
- Non, ce serait impossible. Mais il faut définir avec eux le moment le plus opportun : ne pas préparer trop en avance, ni trop en retard. Ça veut dire les appeler pour savoir quand ils en ont besoin. Il faut aussi tout enregistrer, étiqueter… bref, ce sera un stress en plus.
- D'un autre côté, poursuit J-C, je pense sincèrement que c'est au pharmacien de préparer ces doses individuelles, sur le même principe d'ailleurs que la PDA.
Karine sourit, puis soupire.
- Tu sais que la fille de Madame Granier m'a demandé si on faisait la PDA ? Elle a toujours peur que sa mère s'emmêle les pinceaux dans ses médicaments. Mais à 90 ans, Madame Granier tient à tout maîtriser. C'est vrai que la PDA ambulatoire serait une solution intéressante dans de telles situations.
- Et on recrute du personnel supplémentaire alors !, lance JC, provocateur.
Il lève le bras, comme pour exprimer son désaccord, et fronce les sourcils.
- De toute façon, je sais ce qu'il en est. Les gens ne voudront pas payer…
- Bon alors je réponds non pour les seringues préremplies de vaccin Covid à Frédéric. On est d'accord ?
- Tu vois, c'est quand même dommage de ne pas répondre présent à cette mission.
- J-C, tu viens de me dire le contraire il n'y a pas cinq minutes…
J-C hoche la tête :
- Oui mais c'est quand même notre rôle. Sinon demain, ce sera fait par les infirmiers ou d'autres et on ne pourra pas venir se plaindre que ça nous est passé sous le nez.
Karine sourit discrètement. Elle sait qu'il ne sert à rien de s'opposer frontalement à son associé. Au contraire, cette méthode ne fait que l'ancrer dans ses positions. En revanche, le fait de valider son point de vue conduit J-C à se remettre en question, à mener une réflexion plus approfondie.
- On peut se laisser encore un peu de temps avant de devenir la casa des seringues individuelles ?, suggère le pharmacien.
- On peut. Et je te propose d'en parler avec l'équipe. Parce qu'après tout, ils seront certainement plus concernés que nous.
(À suivre…)