Avec un bateau de 13 m de long pilotable sans permis, la prise en main exige de l’attention. S’habituer à l’inertie de l’embarcation, préparer les cordes d’arrimage avant une écluse…, autant d’habitudes à prendre avant de jouir pleinement du cabotage. Une fois rodé, place à l’itinérance douce ! Point de départ de la croisière, Homps est un charmant village de l’Aude, dont l’activité repose essentiellement sur la plaisance. Les maisons s’étirent le long du canal, jalonné de restaurants et traversé par un pont d’où s’élancent d’intrépides adolescents.
Après le village, arrivée à la première écluse : la concentration est de mise pour glisser entre les quais de pierre, une corde tenue à l’avant par le passager grimpé sur la rive, l’autre maintenue à l’arrière par le pilote sur le bateau. Notre itinéraire se dirige vers la mer, l’écluse est donc « descendante ». Il faut patienter le temps que le bassin se vide, avant de franchir la porte aval. Le bief suivant mène à l’écluse double d’Ognon. Premier temps de navigation tranquille, à la vitesse maximale de 8 km/h. Changement de rythme radical dans une vie quotidienne généralement plus ardente ! Voilà l’intérêt de cette croisière : vivre en mode slow, sous l’exigence ralentie des règles de navigation.
Après Ognon, coup d’œil à l’horaire : il est 18 heures, les écluses ferment à 19 heures, il est temps de s’arrêter. Sur la rive droite avant Pechlaurier, des bornes d’amarrage invitent à s’encorder. Sentiment de liberté : nous voilà seuls, accostés près d’une haie de cyprès tandis que le soleil décline et qu’une douce fraîcheur monte de l’eau. Moment rêvé pour un apéritif sur le pont. Enfourchant les vélos embarqués sur le bateau, nous pédalons ensuite le long du canal pour rejoindre le village d’Argens-Minervois. Le restaurant La Guinguette nous y sert une généreuse cuisine, en terrasse au bord de l’eau. Après un sommeil douillet, le réveil nous saisit à 8 h 30. Le soleil est haut et les cigales déjà en action. Petit-déjeuner pris sur le pont et écluse franchie, nous doublons Argens-Minervois, dominé par son château du XIVe siècle et filons vers Paraza. Le ciel a viré blanc-bleu, signe de grosses chaleurs. Nous dressons le taud, la toile qui protège le pont des ardeurs du soleil. Équipement indispensable sur ces portions où les platanes ont disparu, victime d’un parasite.
Paysage occitan
Après l’écluse d’Argens, une longue portion de navigation nous attend. Des bateaux-résidences sont postés sur les rives. Certains arborent fièrement le drapeau occitan. Nous glissons à travers un paysage de plaines quadrillé de vignes, entre collines du Minervois (à gauche) et des Corbières (à droite). Le privilège de la navigation est de pouvoir s’arrêter là où l’on veut. Halte sur les quais de Paraza, pour marcher dans les ruelles de ce village viticole et visiter le caveau du Château de Paraza, un domaine réputé.
Le canal fait un coude au-dessus du Répudre : c’est le premier pont-canal à avoir été construit en France, l’un des plus anciens au monde ! Voilà l’occasion d’évoquer cette voie d’eau et son créateur, Pierre-Paul Riquet. L’idée folle naît au XVIIe : relier la Méditerranée à l’Atlantique pour éviter le détour par Gibraltar, afin de faciliter le transport de marchandises. Adoubé par Louis XIV, le projet devient réalité et les travaux entre Toulouse et Sète s’étirent de 1667 à 1681. 340 ans plus tard, le canal imprime toujours sa marque dans le paysage, soulignant la démesure de l’ouvrage et le génie de son inventeur.
Ventenac-en-Minervois se profile à l’horizon. Arrêt au bord du canal pour visiter la cave viticole et ses vins ivres de soleil. Alors que l’orage menace, des platanes daignent enfin offrir leur ombre bienfaisante. Nous parvenons ainsi au Somail, terme de notre voyage aller. Avec son vieux pont en arche, sa chapelle et sa fébrilité touristique, un lieu de passage obligé. Tous les plaisanciers s’y retrouvent autour d’un restaurant-terrasse, de la péniche épicière Tamata et de la librairie Le Trouve Tout du Livre. Nous passons ici notre deuxième nuit, avec ce sentiment délicieux d’appartenir à la communauté des mariniers…
Il reste un jour de navigation pour rentrer à Homps. Au retour, le franchissement des écluses est plus rock and roll. Mais nous sommes devenus « pros » et c’est avec le sentiment du devoir accompli que nous rendons le navire au loueur. L’envie de renouveler l’expérience a fait tilt et demain nous reviendrons, sur le canal du Midi ou ailleurs…