LA MAJORITÉ ne manque pas d’arguments : la colère des adolescents, dont beaucoup sont incapables d’articuler leur argumentation ou accumulent des contre-vérités (en restant au travail, les seniors ne privent pas les jeunes de leurs chances, c’est exactement le contraire, et l’expérience l’a prouvé), est absurde et même ridicule ; l’élargissement du mouvement aux raffineries et aux routiers correspond à un moyen nouveau et pervers inventé par la CGT pour faire plier le gouvernement, car la centrale de Bernard Thibault craint que grèves et manifestations ne s’enlisent sous l’effet de l’usure et du manque à gagner des grévistes ; l’opposition, dont les principaux leaders proposent des idées contradictoires et confuses, n’est pas complètement convaincue, au fond de son cœur, des effets funestes de la réforme. Mais la question ne porte pas sur la logique ou la raison. Elle porte sur un ras-le-bol sur la politique générale engagée par Nicolas Sarkozy. On s’étonne d’ailleurs que la droite dénonce la politisation du conflit. Il est politique depuis le premier jour.
Comme une large majorité populaire, selon les sondages, se prononce conte la réforme, le désordre qu’elle déclenche est d’autant plus intolérable pour les Français, qui ne voient pas pourquoi le pouvoir s’entête pour une si « mauvaise » cause. On apprend que M. Sarkozy, il est vrai imperturbable, ce qui est une forme de courage sinon de réalisme, veut mettre à profit les dix-huit derniers mois de son mandat pour s’attaquer à d’autres réformes, notamment celle de la fiscalité. On lui souhaite bonne chance. Il trouve des encouragements au Fonds monétaire international (FMI), celui-là même que dirige Dominique Strauss-Kahn, possible candidat socialiste à la présidence de la République, et dont un récent rapport approuve la solution démographique apportée à la crise des retraites en France, ou un nouveau rapport de la Commission Attali qui propose l’austérité à tout-va pour réduire la dette et les déficits. Mais ce ne sont ni le FMI ni la Commission Attali qui votent, pas plus qu’ils n’ont le pouvoir de faire rentrer chez eux grévistes et manifestants.
Faut-il, au demeurant, les écouter ? On nous permettra de dire que la réforme Sarkozy des retraites est infiniment plus raisonnable que le document de la Commission Attali, parce qu’elle propose une politique du possible qui ne porte pas atteinte à la croissance. Dans son désir d’en finir avec des décennies de déficit et de dettes accumulées, Jacques Attali semble oublier que les sévères atteintes au pouvoir d’achat des Français qu’il préconise risquent de nous plonger dans une durable stagnation économique.
Depuis le début du conflit, et à mesure qu’il s’aggrave, nous en sommes tous à humer le vent, à tenter de deviner l’avenir immédiat dans les réalités que cache la violence de la bataille, à chercher les cheminements au bout desquels la crise, qui commence à échapper à ses protagonistes, trouverait son apaisement, comme la tornade, après avoir tout dévasté, finit par s’éteindre.
Plus dur que la météo.
L’exercice, cependant, est plus difficile que la prévision météorologique, elle-même influencée par une foule de paramètres. Les risques pris par le gouvernement sont-ils contrôlés ? Est-il sûr de ce qu’il fait ? Aurait-il des parades secrètes qu’il ultiliserait ultérieurement, ce qui expliquerait sa sérénité actuelle ? On en doute. La seule logique, c’est le rapport de forces. Si, dès cette semaine, le pays est mis à genoux, le gouvernement sera contraint de négocier ou même de retirer son projet, même s’il est adopté par les deux Chambres. M. Sarkozy peut crier au scandale, il peut dénoncer les errements d’une démocratie sociale qui trouve plus de légitimité dans la rue, dans le blocus des lycées par une minorité, dans des votes d’assemblée générale que personne ne contrôle, dans un transfert de la colère à ceux qui ne sont pas particulièrement concernés mais ont le pouvoir de paralyser le pays, il peut rappeler qu’il dispose jusqu’en 2012 d’une majorité parlementaire, un tel paidoyer ne sert à rien dans notre pays si conservateur qu’il veut ignorer la mondialisation, le mouvement de l’histoire, les gains d’espérance de vie, bref le changement. Les syndicats et la gauche ferment les yeux devant l’inéluctable. De gré ou de force, il faudra, en France, travailler plus longtemps. Ou alors il faudra renoncer à la retraite par répartition. Mais peu importe : entre-temps, nous nous serons offert une crise dévastatrice.
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