Un entretien avec Frédéric Pierru, sociologue de la santé, chargé de recherche au CNRS

« Le patient a confiance en son médecin et en son pharmacien »

Publié le 06/10/2011
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Frédéric Pierru

Frédéric Pierru
Crédit photo : dr

LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. - Les Français ont-ils perdu confiance dans le médicament ?

FRÉDÉRIC PIERRU. - Je ne pense pas qu’il y ait une perte de confiance envers le médicament. On observe même un engouement pour des « dérivés des médicaments » tels que les alicaments. Les Français sont habitués à consommer beaucoup de produits pharmaceutiques. C’est lié à une longue histoire de notre système de santé, qui favorise la banalisation de la consommation. Elle est le produit d’une tradition ancienne, qui ne peut pas être remise en cause du jour au lendemain. De plus, le patient a confiance en son médecin, en son pharmacien et dans les traitements qu’il a l’habitude de prendre. En revanche, la confiance envers le système du contrôle du médicament est aujourd’hui écornée, et plus particulièrement envers la capacité des pouvoirs publics à le réguler.

Le médicament fait régulièrement la une des médias en ce moment. Le traitement des informations sur ce sujet a-t-il changé ?

Pendant très longtemps, la presse grand public participait d’une survalorisation de l’industrie pharmaceutique, qui était capable de « vaincre les maladies » grâce aux médicaments qu’elle produisait. Le grand tournant s’est produit avec l’affaire du sang contaminé, qui a modifié le traitement de ces informations. Il existe désormais trois types de presse sur ce sujet : une presse institutionnalisée, qui continue à survaloriser les médicaments et qui est parfois contrôlée par les laboratoires ; une presse consumériste, comme l’UFC-que Choisir ou les titres publiant les classements des hôpitaux, qui se posent en contre-pouvoir. Et enfin, une presse d’investigation, qui fait éclater les scandales sanitaires. Cela reflète l’ambivalence de l’attitude de la population, qui s’enthousiasme pour les innovations thérapeutiques, mais se méfie des laboratoires.

Le public se tourne-t-il vers de nouvelles sources pour s’informer sur le médicament ?

Je ne pense pas que les patients se détournent des professionnels de santé pour s’informer et recevoir des conseils sur les médicaments. En matière de santé, ils s’en remettent d’abord à leur médecin ou à leur pharmacien, avec qui ils ont une relation de proximité et de confiance. Puis, ils ont recours à la presse ou à internet. Mais même si un patient entend parler d’un médicament plébiscité par son entourage ou sur un forum, il écoutera avant tout son médecin si celui-ci le met en garde, ou lui indique que le produit n’est pas suffisamment évalué, par exemple.

La réforme du médicament va-t-elle permettre un retour de la confiance ?

Il y a de bonnes choses dans cette réforme, comme la déclaration et la publication des liens d’intérêts. En revanche, il y a des manques criants. Transformer l’AFSSAPS en ANSM est une réponse partielle au problème, car on se focalise sur un seul maillon de la chaîne du médicament. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait indiqué dans un rapport que l’influence des laboratoires était « systémique ». Il faudrait donc une réponse systémique. Je crains que cette loi ne soit pas suffisamment coercitive pour éviter un futur scandale sanitaire. Il n’y est pas question de revoir la façon dont les partis politiques financent leur campagne électorale, ni de revoir l’organisation de la médecine de ville, la formation continue des médecins, etc. Cette réforme se focalise uniquement sur les agences, sans pour autant les doter d’autorité de contrôle. Il serait illusoire de croire qu’elle va tout changer.

PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-GAËLLE MOULUN

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2864