CHRISTINE*, adjointe dans le Nord-Pas-de-Calais, commence l’intérim dès la fin de ses études, en 2007. « Après mon stage de six mois, j’ai retravaillé un mois dans la même officine, puis j’ai eu envie de découvrir d’autres pharmacies. Je ne voulais pas rester tout le temps au même endroit », raconte-t-elle. En cinq ans, elle a occupé une trentaine de postes, parfois pour une journée seulement, parfois pour plusieurs semaines. « Cette année, j’ai passé cinq semaines dans la même pharmacie. » Pour aller travailler, elle n’hésite pas à faire des kilomètres. « Je trouve des missions dans un rayon de 50 kilomètres autour de chez moi. En revanche, je ne cherche jamais à Lille, la ville universitaire, où les postes sont plus rares. Je veux bien aller plus loin, mais il faudrait qu’on me propose le logement. J’habite à la campagne et les conditions de circulation ne sont pas toujours faciles. On ne peut pas se permettre d’arriver en retard, donc, si c’est vraiment très loin, je préfère être logée sur place. » Pourtant, la seule fois où elle est restée dormir dans une pharmacie, la nuit ne s’est pas très bien passée. « C’était deux jours avant Noël 2010, il y avait de la neige et les conditions de circulation étaient difficiles, se souvient-elle. Je suis restée dormir sur place, mais, cette nuit-là, nous avons été braqués. » Un souvenir pénible, qui ne l’empêche pas d’être prête à dormir à nouveau sur place si on le lui propose. « Mais les pharmaciens n’acceptent pas facilement de nous loger », regrette-t-elle.
Pour elle, l’intérim est provisoire, en attendant de pouvoir s’installer. « Je ne me vois pas adjointe toute ma vie. Pour moi, le seul avantage de l’intérim c’est la liberté. Les postes en CDI à temps plein ne courent pas les rues et, plutôt que de travailler deux jours par semaine, je préfère travailler à la semaine. Mais l’inconvénient principal c’est la précarité : je vis chez ma mère car je ne pourrai pas payer un loyer. Et j’ai beaucoup de difficultés à obtenir le financement d’une formation. Je voulais suivre un master sur la législation en pharmacie à Bordeaux. J’ai déposé une demande de DIF** mais elle m’a été refusée. Ils m’ont reproché d’avoir un dossier énorme, car j’avais fait les photocopies de tous mes contrats de travail, parfois d’une demi-journée. Ils m’ont dit que ça leur avait donné trop de travail. »
Des pratiques « bizarres ».-
Parmi les nombreuses officines dans lesquelles elle a travaillé, elle a parfois connu quelques désagréments. « On voit de tout quand on fait des remplacements, de la pharmacie hyper-réglo qui va perdre des clients, à la pharmacie catastrophique qui a des pratiques douteuses. Parmi les trente postes que j’ai occupés, la moitié était bien et l’autre moitié moins bien… » Du remplacement annulé trois jours avant au contrat de travail non conforme à la proposition initiale, en passant par l’absence d’inscription à une caisse de retraite, Christine a connu plusieurs employeurs fâchés avec le code du travail… voire avec le code de la santé publique. « J’ai déjà essayé d’alerter l’Ordre sur certaines pratiques « bizarres », comme des délivrances sans ordonnances de produits listés, mais je n’ai pas eu le sentiment d’avoir été entendue, déplore-t-elle. Ils m’ont répondu que c’étaient des pratiques minoritaires… »
Désormais, elle est devenue beaucoup plus méfiante, notamment pour le choix de son officine future. « Certains adjoints ne se rendent pas compte du danger de reprendre une pharmacie qui a des pratiques illégales, mais moi j’en ai vu suffisamment pour être sur mes gardes », déclare-t-elle. Heureusement, depuis un an, elle travaille avec trois pharmacies de façon régulière « et ça se passe bien ». Quant au salaire, elle a toujours réussi à bien négocier ses conditions. « Je préviens les titulaires que je travaille au coef 600 et, en général, ils ne discutent pas. » L’intérim lui a aussi permis de mieux cerner le type d’officine qui lui plaît. « J’aime bien la pharmacie rurale, car la clientèle a un rapport différent avec nous. On est encore respectés comme professionnels de santé, un peu comme les médecins. En revanche, dans les grandes villes, on est vus comme des distributeurs de médicaments. » Maintenant qu’elle sait que ce qu’elle veut et qu’elle a rassemblé les fonds nécessaires, Christine s’est mise en quête de l’officine de ses rêves. Elle espère bien concrétiser prochainement son projet d’installation…
Une pharmacienne irremplaçable.
De son côté, Antoine Dumas, adjoint en Ile-de-France, n’a pas connu tous ces désagréments. « J’ai travaillé pendant quatre ans en intérim avec l’agence 3S santé. J’ai fréquenté une cinquantaine de pharmacies et je n’ai eu qu’une ou deux mauvaises expériences, témoigne-t-il. Un jour, je devais remplacer une pharmacienne dans une petite pharmacie. Elle voulait partir en vacances et je devais d’abord travailler trois jours avec elle, le temps qu’elle m’explique le fonctionnement de l’officine, puis la remplacer pendant ses congés. Le problème, c’est que son matériel informatique était désuet et qu’elle fonctionnait avec des fiches. Elle savait où trouver les choses dans sa pharmacie, mais pour quelqu’un d’autre il était impossible de s’y retrouver. Elle était irremplaçable ! Je lui ai donc dit que je ne pouvais pas la remplacer et elle a dû appeler l’agence d’intérim pour trouver quelqu’un d’autre. » Ses autres expériences ont été plutôt positives. « Je m’adapte très facilement. Je suis allé travailler dans des endroits où je ne me serai jamais imaginé normalement, à Créteil ou aux Mureaux, par exemple, ce qui contraste avec certains endroits très BCBG. » Il n’a pas eu de soucis pour se former, l’agence d’intérim lui ayant payé son DU d’orthopédie. Et pour louer son logement, l’agence lui a fourni un document attestant qu’il travaillait régulièrement pour elle. « En général je travaillais une centaine d’heures par mois. Parfois plus, parfois moins, mais j’ai globalement toujours trouvé des missions, au coef 500, voire 550 si c’était une urgence. »
Diplômé en 2008, Antoine fait d’abord des remplacements, avant de passer sa thèse en janvier 2011. Ce qu’il aime dans l’intérim, c’est la richesse et la multiplicité des expériences. « On voit de tout, on rencontre plein de gens différents. En général je m’intègre bien aux équipes. Ils savent que je ne suis pas là très longtemps, les conflits n’ont pas le temps de s’installer. » Revers de la médaille : « Comme on reste très peu de temps, on n’a pas toujours une très bonne reconnaissance de notre travail », regrette-t-il. Il se lasse également des longues distances parcourues pour certaines missions. « Il m’est arrivé de faire jusqu’à 100 km. Quand on est d’accord pour faire de la route, on trouve toujours des missions. Au début, je n’étais pas très regardant, mais, au fil du temps, cela devient plus difficile. » Alors qu’il va bientôt devenir papa, Antoine a donc choisi de raccrocher afin d’ « avoir un emploi du temps fixe et de ne pas être obligé de faire des kilomètres ». Il est maintenant en CDD dans une officine située à une distance raisonnable de chez lui. « J’avais envie de me poser », conclut-il.
D’intérimaire à titulaire.
Stéphane Dincq aussi a choisi de se poser, mais pour de bon : il s’est associé avec un titulaire… qui l’avait précédemment accueilli en intérim ! « Au départ, je pensais faire de l’intérim pendant deux mois, et j’en ai fait pendant quatre ans », confie ce titulaire, qui a eu un parcours particulier. « Je n’ai pas validé ma sixième année tout de suite. J’ai travaillé pendant huit ans dans une société d’inventaire en officine, puis je suis revenu vers la pharmacie. J’ai passé ma sixième année puis ma thèse en 2005-2006. J’avais déjà l’idée d’être titulaire. » Arrivé sur le marché du travail pendant l’été, Stéphane se dit que la période est idéale pour commencer en intérim. « Je suis passé par Pharm’appel, l’appel médical et, dans la semaine qui suivait ma candidature, ils m’ont fait une proposition. » Basé à Lyon, il effectue ainsi sa première mission à Villefranche-sur-Saône, à vingt kilomètres de chez lui. « J’ai finalement eu des missions pendant tout le mois de juillet et, en août, j’avais prévu de prendre des vacances. Je n’ai donc pas cherché de poste fixe tout de suite. Puis, en septembre, la personne qui m’avait embauché en juillet avait à nouveau besoin d’un remplaçant. » Stéphane continue donc l’intérim et travaillera finalement dans une cinquantaine de pharmacies. « J’ai toujours eu du travail, même si certaines périodes étaient plus calmes que d’autre. Mais j’étais disponible et je n’avais pas peur de faire une heure, voire une heure trente, de trajet pour une mission. J’ai tourné dans trois ou quatre départements autour de Lyon. Il m’est arrivé quelquefois d’être appelé en catastrophe le matin pour le jour même. »
Stéphane a trouvé l’intérim « très enrichissant, au niveau du contact avec les titulaires, les équipes et avec les typologies d’officine ». Comme Christine, ses différentes expériences l’ont aidé à affiner son choix pour son installation. « La clientèle de centre-ville est très anonyme et avec un profil de consommateurs plutôt que de patients, estime-t-il. J’ai aussi découvert la clientèle de quartiers difficiles, qui est plus demandeuse de conseil et a besoin de plus d’attention. C’était une expérience très positive. » Financièrement, il y trouve également son compte, grâce aux primes de déplacement et aux indemnités de fin de mission. « Mon objectif était aussi d’accumuler des fonds pour m’installer, et l’intérim est plutôt intéressant au niveau financier. » Stéphane s’est finalement associé, en 2008, au titulaire d’une officine de quartier, avec une clientèle cosmopolite, dans une ville de 20 000 habitants, au sud de Lyon. C’est désormais lui qui embauche parfois des intérimaires. « Quand on est passé par là, on est plus attentifs à bien les accueillir », conclut-il.
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