JACQUES Poissonnier est adjoint en région parisienne. Il y a quelques semaines, il a quitté par rupture conventionnelle le poste qu’il occupait depuis deux ans, afin de se consacrer à son projet : acquérir sa propre officine. « Dès mon entretien d’embauche, j’avais prévenu ma titulaire que, d’ici un an ou deux, je partirai, car je ne voulais pas rester adjoint toute ma vie », explique Jacques Poissonnier. Même s’il était très satisfait de son poste au niveau professionnel, il regrette « la différence de traitement considérable qui existe en France entre titulaire et adjoint. Je ne veux plus travailler comme adjoint à temps plein de façon durable pour le salaire et la considération que nous obtenons », déclare-t-il. Par deux fois déjà, il a eu l’opportunité de reprendre une pharmacie… En Irlande. Jacques a en effet travaillé trois ans dans ce pays, entre 2007 et 2009. « Au départ, je souhaitais vraiment rester là-bas, explique-t-il. Cependant, l’installation en Irlande peut être difficile, notamment d’un point de vue culturel. Les Irlandais ont une identité très forte, qu’ils revendiquent, et il peut être très compliqué de s’intégrer si on ne fait pas partie de cette identité. » Les conditions d’installations sont différentes de celles qui sont en vigueur en France. En effet, « pour avoir une officine en Irlande, il n’est pas nécessaire d’être pharmacien. Il n’y a pas non plus de loi de répartition géographique, il est possible de l’implanter où on veut ». Néanmoins, avec le recul, Jacques ne regrette pas de ne pas avoir sauté le pas. « Les conditions économiques devenaient difficiles, j’ai bien fait de ne pas acheter une officine là-bas », estime-t-il. Depuis son retour en France, il a occupé plusieurs postes en banlieue parisienne, qui lui ont donné l’envie de s’installer dans ce type d’environnement. Jacques a une idée très précise de la façon dont il souhaite exercer son métier. « Je vois l’avenir du pharmacien dans son expertise du médicament. Nous devons offrir au patient le meilleur de ce qui existe au niveau de la pharmacopée et renforcer notre contact avec les médecins pour discuter des prescriptions. Il faut aussi que nous puissions dénoncer les excès des laboratoires, qui cherchent de plus en plus à accéder directement aux patients, avec un vrai risque de passer outre le pharmacien. » Il cherche une officine de petite taille, qui lui permettrait d’exercer son métier comme il le souhaite. « Je me suis fixé un prix d’achat autour de 700 000 à 800 000 euros, avec un maximum à 1 million, détaille-t-il. Je n’ai pas de famille dans la pharmacie et j’ai une possibilité d’apport d’environ 20 à 25 % maximum du prix. Je ne veux pas d’une trop grosse affaire, où on arriverait à un risque d’"industrialisation de la dispensation". Je me laisse une année pour voir si je peux trouver une officine qui me permettra d’exercer selon ma conception du métier. Sinon, je ferai autre chose », affirme-t-il.
Accès difficile aux documents.
Marie*, adjointe dans le Nord-Pas-de-Calais, cherche à s’installer depuis un an et demi. Pour le moment, elle n’a pas encore trouvé l’officine de ses rêves. Le plus gros obstacle selon elle est le prix. « Les pharmacies sont très chères et on nous demande des apports très importants. On m’a même déjà demandé si j’étais mariée, pour savoir si quelqu’un pouvait me nourrir. On ne reprend pas une pharmacie pour se faire entretenir ! », s’insurge-t-elle. La jeune femme a déjà visité une dizaine de pharmacies, dans différentes régions : Nord-Pas-de-Calais, Auvergne, Savoie… Elle souhaite s’installer plutôt en zone rurale ou semi-rurale. « Je préfère éliminer les centres-villes, car il y a souvent trop de concurrence. Et je cherche à reprendre à des pharmaciens qui partent à la retraite plutôt qu’à des jeunes qui se sont installés il y a quelques années et qui veulent revendre. En général c’est parce que leur officine va mal, et ce n’est pas un bon investissement. » Marie souhaiterait s’installer seule, dans la mesure du possible. « L’installation en association est le résultat des prix de vente élevés. Mais j’ai vu tellement d’associés ne pas s’entendre et finir par se disputer, que cela ne donne pas envie ! » Lors de ses recherches, elle s’est heurtée à des difficultés pour obtenir tous les renseignements qu’elle souhaitait sur les officines étudiées. « Il est compliqué d’avoir accès à certains documents. Il arrive que les titulaires ne donnent pas le détail des comptes ou de la ventilation du taux de TVA, par exemple. On devrait également pouvoir contrôler l’ordonnancier, mais, dans les faits, j’ai beaucoup de difficultés à y avoir accès. Quand les pharmaciens ont des choses à cacher, je préfère laisser tomber, en général ce n’est pas bon signe. J’ai ainsi vu un pharmacien qui cherchait à revendre alors que son officine est à 3 km d’un supermarché Leclerc qui vend de la parapharmacie et que le médecin va partir » Elle regrette que la vente des pharmacies s’apparente parfois à « un jeu de dupes ». « Les pharmaciens croient toujours qu’ils sont assis sur un mont d’or et cherchent à nous le faire croire, alors que c’est de moins en moins vrai », pointe-t-elle. Marie est également très déçue des services de certains transactionnaires auxquelles elle s’est adressée. « Ils ne nous disent pas forcément tout ce qu’on devrait savoir sur une officine. Je pense que cela est dû à leur mode de rémunération. Plus le prix de vente est élevé, plus leur commission est importante. On devrait plutôt pouvoir les payer au forfait et leur demander de faire baisser les prix… ». Marie poursuit ses recherches et espère trouver l’officine qu’elle recherche au cours de cette année. « En attendant, je travaille et je continue à augmenter mon apport », conclut-elle.
Investir dans les nouvelles missions.
De son côté, Martin*, adjoint dans les Bouches-du-Rhône, cherche à s’installer depuis deux ans et demi. Il épluche la presse écrite, consulte des transactionnaires et des comptables, s’intéresse aux offres qui ne circulent que par bouche-à-oreille… Il a déjà visité plus d’une vingtaine de pharmacies. Sans succès pour le moment, pour les mêmes raisons que Marie. « Ce qui me pose problème c’est le prix, soupire-t-il. Les prix sont surévalués et les banques ont resserré leurs conditions de crédit. » Martin déplore aussi les « astuces » utilisées par certains titulaires pour gonfler leur chiffre d’affaires avant de revendre. « J’ai vu des cas de pharmaciens qui ne génériquent plus la dernière année, ou qui utilisent les rétrocessions pour faire augmenter le chiffre d’affaires », confie-t-il. Comme Marie, il est également déçu par les transactionnaires à qui il a eu affaire. « Leur unique objectif est de réaliser la vente, pas de nous aider », estime-t-il. Le jeune homme dispose de 100 000 à 200 000 euros d’apport personnel, grâce à un prêt familial. Il souhaite s’installer seul, ou en association. Et dans ce cas, il cherche une pharmacie qui affiche au moins un chiffre d’affaires de deux millions d’euros. « Il faut miser sur une officine qui a du potentiel de développement. Le problème c’est de trouver un pharmacien qui accepte de vendre pas trop cher. » Pour lui, les prix élevés risquent de nuire aux nouvelles formes d’exercice. « La jeune génération n’aura pas les moyens d’investir à la fois dans la pharmacie et dans les nouvelles missions », estime-t-il. Martin se donne encore un an pour trouver son bonheur. « Il est hors de question pour moi d’acquérir une officine juste pour être titulaire. Je veux pouvoir développer ma propre affaire, la rendre florissante, pouvoir investir dans les nouvelles missions. Si je ne trouve pas ce que je recherche, je changerai de voie. Je tenterai de devenir pharmacien inspecteur, par exemple, ou de partir à l’étranger. »
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