ON POURRAIT les appeler des adjoints « cumulards ». Ces pharmaciens exercent une autre activité rémunérée. Souvent, il s’agit d’une passion qui les étreint de longue date, se confondant à leur exercice pharmaceutique, l’enrichissant, s’en nourrissant. La connexion intime existe donc, même si ces activités sont aux antipodes de leur personnalité. Ces adjoints ne peuvent pas, et ne veulent pas, avoir à choisir. Ils bénéficient de la compréhension de leurs pairs. « C’est une suite logique au besoin de s’exprimer auprès de la société, d’une autre manière qu’au comptoir », considère Jérôme Paresys-Barbier, président du Conseil central D de l’Ordre des pharmaciens. Mais si l’emprise du second métier devenait trop forte, il faudrait faire un choix. « Puisqu’ils exercent, il faut en tout cas que leur comportement reste irréprochable, dans le respect de la déontologie », estime le responsable ordinal, en précisant que, à ce jour, aucun rappel à l’ordre n’a été formulé dans ce contexte.
« Fille de pub ». Delphine de Bodman-Massonaud est spécialisée en communication depuis une vingtaine d’années. À 50 ans, elle entame une reconversion partielle vers l’officine. Une grande pharmacie parisienne lui donne sa chance, voilà un an. « C’est dur ! Pour moi, c’est un nouveau métier. Les fondamentaux sont assez loin. » Delphine ne se destinait pas à l’officine. À l’issue de ses études, elle s’oriente vers le marketing et se retrouve en agence de pub. Au fil de ses expériences, elle travaille pour l’industrie pharmaceutique, le secteur hospitalier et une fédération professionnelle. Elle évolue comme un poisson dans l’eau dans ces univers. Mais y laisse quelques plumes. À l’AP-HP, on s’est par exemple étonné qu’un docteur en pharmacie « s’abaisse à » être responsable de la communication. Aujourd’hui, Delphine intervient en free lance. Elle se penche actuellement sur le développement d’une start-up axée sur l’analyse agro alimentaire. Aux yeux des recruteurs, son emploi en officine peut être une plus value, mais aussi un incident dans son parcours de communicante. De même en pharmacie, son profil peut dérouter les titulaires. Elle argumente : « Souvent, les reconvertis de l’industrie sont frileux. Ils n’osent pas, ils ne vont pas au-devant des gens. Moi si. C’est même pour cela qu’on m’engage. » Il lui reste quelques points faibles, son manque d’expérience et d’autonomie, sur lesquels elle travaille, 24 heures par semaine à l’officine.
« Radiothérapie ». David Paitraud est rédacteur pour « Vidal News Officine » et « Le Quotidien du Pharmacien ». Âgé de 33 ans, il est aussi adjoint remplaçant en Vendée et dans les Deux-Sèvres. Un travail qui lui permet de compléter ses revenus. Et de garder un pied dans le métier. « J’en retire des idées de sujets et j’identifie mieux les besoins en informations des pharmaciens. » En retour, la rédaction d’articles thérapeutiques constitue pour lui une formation continue. La pratique du comptoir alimente également son émission « la Santé près de chez vous », diffusée chaque mois, depuis deux ans, sur une antenne locale associative. « La grille des programmes n’avait pas d’émission de santé. Je traite aussi bien des structures sanitaires régionales que de sujets de portée nationale. » Parmi eux, David affectionne les thématiques purement officinales comme le dossier pharmaceutique ou le libre accès. L’émission est agrémentée de questions du public. Cette activité est bénévole, même si l’animateur est parvenu à décrocher quelques partenariats financiers. Mais l’émission va s’arrêter, faute de réelle subvention. « Je travaille sur un projet qui sera plus de l’ordre du divertissement, moins langue de bois, avec l’intervention de chroniqueurs. » Cette émission devrait voir le jour en janvier, diffusée chaque semaine en direct. Un nouveau défi pour ce pharmacien téméraire. « J’ai besoin des rythmes différents que m’offrent toutes ces activités. J’aime prendre le temps d’échanger, de répondre aux questions. L’idée de m’adresser à un public élargi, même si je ne le visualise pas, me plaît. » Le fait d’être pharmacien (même s’il ne le met pas en avant dans ses émissions) lui permet de s’intéresser à tous les aspects du domaine de la santé, ce qu’un médecin serait moins enclin à faire, estime t-il.
« Bulles d’oxygène ». Grégory Coste voue tout son temps libre à sa passion : la bande dessinée. Cet adjoint de 36 ans est tombé dès son plus jeune âge dans la marmite à bulles. Côté pile, il est à temps complet dans une officine de Saint Pierre d’Oléron, spécialisé en orthopédie et en pharmacie vétérinaire. Côté face, il vient de sortir son premier album de BD, « Conte d’apothicaires », sous le pseudo de Gory. C’est peu dire que l’univers officinal a inspiré cette savoureuse histoire, bâtie comme une enquête policière. Grégory a recruté deux confrères, Hippolyte Dumortier et Antoine Dupilon. Le premier est « ventripotent et exubérant », propriétaire d’une grande pharmacie. Le second est « discret et maigrichon », titulaire d’une officine plus traditionnelle. Tous les deux se retrouvent régulièrement pour aller à la pêche… « Ils ont un côté gaulois, franchouillard. Ce sont des personnages haut en couleurs, loin de l’image lisse et sérieuse des pharmaciens. C’est ce qui les rend attachants. » Nos confrères imaginaires sont très vite venus à son esprit, avec leur exercice différent : « J’ai connu un peu des deux comme employeurs. » Idem pour les clients (gratinés), qui se succèdent au comptoir « En pharmacie, on les écoute de bon cœur, mais parfois c’est la loi des séries. » À l’origine, Grégory voulait décliner des gags ayant pour cadre l’officine. Il a finalement opté pour un scénario original, au printemps 2005. Le découpage, sous forme de croquis, était finalisé quelques mois plus tard. Puis il a fallu trois bonnes années pour tout mettre au propre et éditer l’album. Pour le plus grand plaisir de ses confrères. « Ils ont beaucoup d’humour. Cependant, si je n’avais pas été pharmacien, cela n’aurait peut-être pas été aussi bien pris. » Aujourd’hui, Grégory veut revenir à ses premiers amours : la BD d’aventure. Il annonce une suite aux péripéties des deux compères de comptoir. Quoi qu’il en soit, le dessin et ses longues plages de silence ne le quitteront pas. « Il faut avoir une âme de solitaire. Mais je suis bien en équipe aussi ! »
« Chimie organiste ». Olivier Dekeister est titulaire… du grand orgue de l’église Saint-Lambert, dans le XVe arrondissement de Paris. C’est aussi dans ce quartier qu’il est adjoint, deux jours par semaine. « J’aimais la chimie organique et la botanique. La pharmacie m’a attiré car on étudie des matières très diverses. » Diplômé en 2001, Olivier s’est orienté vers l’officine, après quelques incursions à l’hôpital et dans la répartition. Il s’est vu un moment titulaire. « C’est un métier que j’aime. Mais que je ne pourrai pas exercer à temps complet. » La pratique de l’orgue l’occupe jusqu’à 30 heures par semaine, exigeant des répétitions nocturnes. Le pharmacien, âgé de 32 ans, était haut comme trois pommes lorsqu’il a commencé la musique. Sans jamais s’en détacher vraiment, c’est une fois adulte qu’il reprend l’orgue en main. À 22 ans, il devient organiste titulaire. Un titre très convoité, obtenu sur concours. Ils sont moins d’une centaine, en France, à détenir ce poste rémunéré par les paroisses. La moitié de ses revenus proviennent de cette activité. Mais le jeune homme ne se cantonne pas aux offices, mariages et enterrements compris. L’an dernier, il a obtenu la médaille d’or d’improvisation, qui met en avant ses qualités créatives. L’organiste compose et joue aussi pour la radio et la télévision. Quand il donne un concert dans son quartier, il pose quelques affiches à l’officine. Pour le reste, l’église affiche complet. Saint-Lambert draine 3 000 à 3 500 personnes pour les offices du week-end. Olivier ne travaille donc jamais le samedi. Son employeur, lui-même chanteur lyrique, se montre compréhensif. Cet été, l’adjoint est parti en tournée. Il a pris des congés sans solde. « Mes collègues sont toujours prêts à me remplacer. Ils me disent que j’ai de la chance d’avoir cette passion. » Les deux emplois, qu’il place au même niveau, maintiennent son équilibre. « Ce sont des univers très contrastés. Le week-end, je suis sur mon petit nuage. Le lundi, c’est un peu le retour dans la fosse aux lions. En fin de journée, je suis lessivé. Mais ça me booste aussi. »
« Rythm’n blouse ». Nicole Pasche a trouvé sa voix. Un petit air de Françoise Hardy à ses débuts, des mélodies pop et jazzy, la chanteuse s’est produite dans des clubs mythiques, comme le Duc des Lombards ou le Baiser salé. Tout est allé très vite. Nicole fut titulaire entre 1988 et 1993. Elle est aujourd’hui adjointe à temps complet dans une officine de quartier, à Noisiel (Seine et Marne). Un changement qui n’est en rien lié à sa passion dévorante pour la musique. « C’est en allant écouter chanter une amie avocate que j’ai eu envie de faire de même. » C’était au début des années 2000. La pharmacienne se lance dans des cours de jazz. En présentant son travail de fin d’année, elle est repérée par un programmateur. Le hobby prend alors un tour professionnel. « Très vite, j’ai cessé de travailler en amateur. J’avais avec moi de très bons musiciens. » Elle compose différents morceaux. Son premier album finit par sortir en 2006. Nicole Pache (son nom de scène) fédère autour d’elle un groupe qui multiplie les dates de concert. « La scène, ça a été une révélation. La première fois, je me suis étalée au sol en me prenant les pieds dans les fils. Les spectateurs ont éclaté de rire. Et moi aussi. Au lieu de me perturber, cet incident m’a décontracté, a créé une proximité, un état qui ne m’a jamais quitté. » À l’officine aussi, le contact se noue facilement. « Cela circule entre les gens et moi. Ce qui m’intéresse, c’est leur parler, échanger. Je ne laisse pas passer une ordonnance sans me questionner. » Le contact et l’exercice officinal nourrissent ses émotions. La rigueur de sa formation pharmaceutique s’applique également au chant. « Il faut avoir de la technique. Cela m’a donné confiance. » Cette aptitude au travail, que Nicole partage avec les musiciens de jazz, fait qu’elle n’est pas étrangère à leur univers. Elle redistribue ses cachets à son groupe, deux percussionnistes et deux guitaristes. Sans se trouver dépourvue lorsque la bise fut venue, comme la cigale de la fable. Grâce à l’officine, qui lui libère deux jours par semaine. « J’ai une titulaire très sympa. Je suis sa seule adjointe, on se dépanne l’une l’autre. » Dans l’idéal, elle vouerait la moitié de son temps à sa musique. Douce, sensible, parfois acidulée, celle-ci prend de plus en plus des sonorités électro-pop. Dans les semaines à venir, Nicole va démarcher les grandes salles de spectacle de la banlieue parisienne. La graine de star est déjà plus qu’une jeune pousse.
- les références de Delphine de Bodman Massonaud sur www.viadeo.com/fr/profile/delphine.de.bodman
- les podcasts des émissions de David Paitraud sur www.lasantepresdechezvous.fr
- des extraits et le bon de commande de la BD de Grégory Coste sur www.gory.illustrateur.org
- les dates de concert d’Olivier Dekeister sur www.olivierdekeister.org
- l’univers musical et les prochains concerts de Nicole Pache sur www.myspace.com/nicolepache.
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