DE PLUS EN PLUS de pharmaciens passent de l'industrie à l'officine. Le phénomène, qui reste difficile à quantifier, s'est accru au cours de ces dernières années. À tel point que des formations se sont ouvertes pour accompagner les ex-industriels dans cette reconversion. Une étude de la DREES* datant de 2005 montre que la tendance concerne davantage les femmes que les hommes (entre 30 et 60 ans). Les premières deviennent surtout salariées d'une officine, les seconds le sont aussi, mais misent à terme sur l'installation.
Cette catégorie de nouveaux adjoints peut être segmentée en fonction de l'âge. Les jeunes diplômés partis en industrie sans y avoir trouvé d’emploi travaillent en officine de façon transitoire ou définitive. « L'orientation des étudiants peut être influencée par une mauvaise expérience au cours des stages en pharmacie, estime Thomas Guerreau, en 5e année option officine à Clermont-Ferrand. Dans le cursus, on ne fait pas de stage en industrie avant la sixième année. Cet univers reste donc assez flou. Il faut bien se renseigner sur les débouchés possibles et savoir dans quel domaine on veut exercer. » Faute de quoi la vocation industrielle reste fragile. Autre profil, celui des pharmaciens seniors qui n'ont pas d'autre choix que de revenir en officine, à défaut d'emploi dans l’industrie. À la différence des jeunes diplômés, ils ne sont pas assurés d'être embauchés en pharmacie. Pour réussir leur reconversion, quelques-uns suivent les conférences proposées dans le Val-de-Marne par le cabinet de recrutement Pharm-Emploi. « En s'inscrivant, ils ont encore l'espoir d'être recrutés dans l’industrie. Mais après quelques séances, et au contact de confrères suivant le même parcours, ils se disent prêts pour leur nouvelle vie professionnelle », constate Armand Grémeaux, dirigeant de Pharm-Emploi. Ces candidats deviennent adjoints, mais nombreux sont ceux qui veulent s'installer. « On ne passe pas comme cela de chef de produits à chef d'entreprise. Le travail à l'officine, ils le connaissent, mais seulement par le petit bout de la lorgnette », assure Armand Grémeaux.
Une phase de remise à niveau.
Corinne Carré, 48 ans, est adjointe à Saint-Quentin-Fallavier, un village de l'Isère. Au sortir de ses études, et pendant une vingtaine d'années, elle s'est occupée de contrôles et d'assurance-qualité dans le secteur de la phytothérapie. La pharmacienne se sent à l'aise dans son environnement. Mais, au fil du temps, son laboratoire prend de l'envergure. Les directives et les méthodes de management deviennent plus exigeantes, imposent davantage de productivité. « Cette pression ne me convenait pas du tout », confie t-elle. La pharmacienne décide donc de quitter l'industrie, il y a trois ans, pour rejoindre l'officine. « J'ai franchi le pas sans douter de mon choix, dès que j'en ai eu l'opportunité », assure t-elle. Cette occasion lui sera donnée par une pharmacie située si près de chez elle qu'elle s'y rend à pied. « En terme de qualité de vie, cela n'a plus rien à voir. J'ai plus de temps pour m'occuper de mes trois filles. » Revers de la médaille, la rémunération n'est plus vraiment celle de son poste en industrie, qui lui offrait un 13e mois et de l'intéressement. Une compensation : « L'ambiance d'une équipe sympa, je l'ai retrouvée dans cette officine. » Et sa titulaire lui propose des formations. « En industrie, il fallait tout le temps insister pour en avoir. » Corinne Carré a le contact facile. « Je ne me suis pas sentie trop perdue au comptoir, notamment grâce aux génériques. Les noms de molécules me parlent plus que ceux des spécialités. » Elle garde de son expérience passée le goût pour l'assurance-qualité. « Nous avons mis en place quelques procédures, notamment pour le maintien de la chaîne du froid. »
Autre exemple de « recyclage » réussi, celui de Bertrand Buffet. Ce pharmacien de quarante ans avait en ligne de mire l'installation lorsqu'il a quitté l'industrie, après neuf années passées comme adjoint à la pesée des matières premières, puis responsable de production, dans un laboratoire. « Pendant mes études, j'ai fait le choix de l'industrie. Mais, contrairement à d'autres, je n'ai jamais exclu de revenir un jour vers l'officine », explique t-il. Le pharmacien a opté pour cette reconversion alors que son poste ne pouvait évoluer qu'en changeant d'entreprise ou de site au sein de son groupe. « Il me fallait aller vers plus de responsabilités, d'implication personnelle et de contraintes. Je me suis interrogé et j'ai abouti à ce choix définitif. » Son come-back ne fut pas si aisé, après dix ans sans pratiquer le comptoir. « Au début, c'était un peu stressant. Je connaissais parfaitement les médicaments que j'ai fabriqués, mais moins les autres. », rapporte Bertrand Buffet. Obligé de se replonger dans les bouquins, l'adjoint ne s'est senti vraiment à l'aise qu'au bout de six mois. « Il faut trois ans pour être totalement au niveau », lâche t-il. Et il y a aussi la gestion du stock, les tâches administratives et l'informatique, qui ont pas mal évolué en une décennie. « C'est un passage obligé, il faut réapprendre tous ces gestes. »
Le choix de l'installation.
Sa remise à niveau achevée, Bertrand Buffet est devenu titulaire en 2008. Il a repris l'officine de son employeur, installé en périphérie de Laval (Mayenne). L'un de ses anciens collègues en industrie est son associé. « Nous avons en commun la gestion des ressources humaines. Mais j'aurai pu aussi m'installer avec un officinal pur souche. » Par le passé, Bertrand Buffet devait gérer une équipe très hétéroclite de pharmaciens, agents de maîtrise ou de production. À l'officine, c’est plus facile, ses collaborateurs sont tous préparateurs. Outre l'aptitude au management, le pharmacien a appris la rigueur et le sens de l'organisation. La gestion de la pression, aussi, qui était son moteur pour avancer : « Il y en avait aussi à l'officine quand j'ai servi mes premiers clients. » Quant à la mise en place de procédures qualité, « on sait faire, mais on manque de temps ». Bertrand Buffet regrette un peu les nombreuses relations qu'il entretenait autrefois, notamment avec l'étranger. « J'avais peur d'être isolé à l'officine. Mais on est adhérent à un groupement et on a pas mal d'échanges avec nos confrères. »
L'isolement des officinaux est un a priori vite balayé par Éric François, 52 ans, dont 25 en industrie. Après de hautes fonctions dans le marketing de grands groupes pharmaceutiques, et une courte phase d'assistanat, il devient titulaire à Sartrouville (Yvelines). Son tempérament le pousse à sortir des murs de sa pharmacie. « On dit que c'est un univers clos. Il ne l'est pas tant que cela. Il y a le contact avec les clients, les médecins et les prestataires de l'officine, avec lesquels je veux nouer des liens privilégiés. » Éric François est tombé de haut après son départ du laboratoire. « Je pensais être hypercalé question achats. Mais je n'en connaissais pas tous les aspects en pharmacie. La gestion du rythme des commandes, c'est très précis. » Son arrivée à l'officine s'est faite à reculons, ses projets de carrière en industrie n'aboutissant pas. Puis il y est venu à tâtons, en testant sa possible reconversion chez des amis officinaux. Enfin, le pharmacien s'est « mis en danger » et remis à niveau. Avec, pour lui, quelques difficultés à retrouver les DCI des médicaments. Aujourd'hui, Éric François est pleinement convaincu de son choix. Il est seul pilote de sa pharmacie. « Dans l’industrie, les processus de prise de décision sont parfois très lourds et pas toujours concluants. » Et, désormais, certains soirs, il a le sentiment d'avoir été directement utile à son prochain.
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