« Non, je ne le ferai pas. » Parmi les quelques témoignages recueillis, tous anonymes, une pharmacienne se souvient avoir été en désaccord avec sa titulaire concernant une apprentie préparatrice : « Je ne voulais pas prendre la responsabilité de laisser cette apprentie servir au comptoir lorsque la titulaire n'était pas présente. »
Un autre pharmacien raconte son expérience malheureuse, alors qu'il était tout juste diplômé : « J'ai refusé de délivrer une boîte d'un neuroleptique sans ordonnance à une patiente. J'étais encore en période d'essai lorsque cela s'est produit ; le titulaire m'a reproché ma décision, et ne m'a pas gardé au sein de l'équipe. »
Le pharmacien adjoint est-il en droit de refuser une tâche ? « Il convient de distinguer deux aspects : du point de vue pharmaceutique, le pharmacien adjoint conserve une indépendance professionnelle dans sa relation avec le patient ; il est responsable de son acte et peut tout à fait refuser une délivrance ou un ordre de son supérieur hiérarchique s'il estime qu'il y a danger pour le patient. Si le code de la santé publique ne prévoit pas de justification, une décision de refus doit pouvoir s'appuyer sur les données acquises de la science. Concernant l'organisation du service et de l'entreprise en revanche, c'est le droit du travail qui s'applique et un refus de tâche de la part du salarié peut être considéré comme une insubordination », commente Valérie Siranyan, docteur en pharmacie et professeure en droit de la santé à Lyon.
Le refus peut être légitime, dès lors qu'il respecte l'article R-4235-61 du code de déontologie, comme c'est le cas dans les deux situations précitées. « La priorité est de déterminer si la tâche en cause relève ou non des compétences et attributions de l’adjoint. Il s’agit de la première question à se poser avant toute prise de décision. Il faut alors se référer au contrat de travail du salarié, à la fiche de poste, ainsi qu’aux dispositions conventionnelles applicables », ajoute Pascale Lefèvre, senior manager GS au sein de la direction nationale KPMG - Gestion Sociale. Les jurisprudences relatives à ce sujet et rapportées dans d'autres professions réglementées sont riches d'enseignement. « L'arrêt Cousin* est un cas d'école. Un comptable salarié a signé des documents frauduleux à la demande de son employeur. La fraude a été mise à jour lors d'un contrôle et le salarié, déjà condamné pénalement, a dû assumer l'indemnisation des victimes », détaille Valérie Siranyan.
Hors compétences : le refus est légitime
Dans le cadre de l'organisation du travail au sein de l'officine, un refus est considéré comme légitime si la tâche commandée sort du périmètre des compétences de l'adjoint. « Suite au licenciement et au non-remplacement de la femme de ménage, le titulaire demande de répartir l'entretien des locaux entre les membres de l'équipe, adjoint inclus. Est-ce acceptable ? », s'interroge une adjointe. Dans ce cas, l'adjoint peut légitimement refuser puisque cela sort du champ de ses compétences et attributions.
En réalité, la relation entre l'employeur et l'adjoint est souvent déterminante : sans que cela devienne systématique, l'adjoint peut décider d'accepter une tâche pour dépanner, même si cela sort de ses attributions.
Les missions de l'adjoint et le contrat de travail
Pour clarifier les missions et attributions du pharmacien adjoint au sein d'une officine de pharmacie, l'Ordre des pharmaciens a établi une fiche métier. Ce document utile mais non individualisé est un support pour la formalisation systématique des fiches de poste des adjoints et leur mise à jour régulière, comme le stipule l'article R-4235-14 du code de la Santé publique (code de déontologie). « Les adjoints font partie intégrante de la chaîne de soins, et doivent, au même titre que les pharmaciens titulaires, développer toutes les nouvelles missions accompagnant les actes pharmaceutiques traditionnels, qui leur sont dévolues par la loi », souligne Pascale Lefèvre, de KPMG.
Pour le président du conseil central de la section D, Jérôme Parésys-Barbier, le contrat de travail entre l'employeur et l'adjoint est un élément fondamental, auquel une attention particulière doit être portée avant même de débuter toute collaboration : « II est important de mettre sur la table les projets que les pharmaciens, titulaires et adjoints, souhaitent mener ensemble ; la rédaction soignée d'un contrat de travail, dans le respect des compétences du pharmacien, permet de limiter les conflits ultérieurs. L'autre clé d'une coopération réussie, c'est le dialogue. » Dialogue au sein de l'entreprise, et avec l'Ordre : « L’article 4235-40 du code de déontologie prévoit d'aviser le président du conseil régional ou central de l'Ordre en cas différends entre pharmaciens. »
Un refus consécutif à un défaut de moyen
Daniel Burlet, président de l'USPO Savoie, encourage ses confrères à la négociation : « La réalisation des gardes par l'adjoint soulève par exemple des questions. La première réponse est de se référer aux termes du contrat de travail. Si rien n'est précisé, une discussion doit s'engager entre le titulaire employeur et l'adjoint salarié, qui peut aboutir à un avenant au contrat si les deux parties s'entendent. Conserver une trace écrite est fondamental. »
Au-delà de la tâche elle-même, c'est le moyen de la réaliser qui peut devenir problématique et aboutir à un refus. « L'exemple le plus parlant est celui de la livraison de médicaments au domicile du patient. Sans être opposé à cette demande, le salarié peut légitimement refuser d'accomplir cette tâche s'il doit utiliser sa propre voiture. Autre situation, la réalisation des nouvelles missions : elles s'appliquent à tous les pharmaciens mais l'adjoint peut opposer un manque de formation », poursuit le responsable syndical.
Les conséquences du refus
Le refus d'exécuter une tâche est toujours une source de crispation entre l'employeur et l'employé, d'autant plus si ce refus est exprimé de manière récurrente. Ce comportement est à l'origine d'une dégradation des relations entre les collaborateurs, d'une rupture de confiance, et peut aboutir à une séparation plus ou moins douloureuse pour les deux parties. « La médiation est toujours souhaitable. Pour cela, les pharmaciens peuvent saisir le conseil régional de l'Ordre. Si le titulaire décide de sanctionner son employé, il faut qu'il soit certain de pouvoir justifier sa décision en cas de poursuite devant le conseil des prud'hommes », souligne Daniel Burlet. Les syndicats professionnels sont régulièrement consultés, par les titulaires comme les employés : « La défense des adjoints est assurée par les syndicats de salariés. En tant que syndicat professionnel, nous pouvons orienter le titulaire demandeur vers un avocat compétent pour défendre un dossier aux prud'hommes. »
*Cour de Cassation, assemblée plénière du 14 décembre 2001, 00-82 066, publié au bulletin.
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