LICENCIEMENT fait aujourd’hui partie du vocabulaire officinal. Depuis début 2009, en effet, la pharmacie traverse une zone de turbulence sur l’emploi. De plus en plus d’adjoints et de préparateurs peinent à trouver ou retrouver un poste stable. Plus de 2 400 pharmaciens sont actuellement au chômage, selon les données statistiques du Pôle Emploi (voir encadré). Le sujet reste tabou, qui voit employeurs et salariés partager la même détresse ou se renvoyer amèrement la balle. Certains titulaires ont néanmoins accepté de lever le voile sur leurs intentions.
Ainsi, en juillet dernier, l’UNPF (Union nationale des pharmacies de France) a consulté ses adhérents sur leur politique d’emploi. Pour 40 % d’entre eux, la situation économique actuelle n’allait rien changer. Pour les autres, c’est-à-dire la majorité des sondés, l’effectif des équipes est remis en cause de façon inquiétante. Ainsi, 40 % des titulaires ont récemment licencié ou refusé de remplacer un salarié après son départ. La moitié d’entre eux ont indiqué qu’ils n’écartaient pas de nouveaux licenciements. Et les 20 % restants ont affirmé que des départs sont à l’ordre du jour dans leur officine.
Ce sombre tableau est la conséquence de deux facteurs conjoints : la crise économique et la pression sur les marges des pharmacies. Le ralentissement de la croissance a eu des effets sur l’emploi, depuis le déclenchement de la crise, il y a près de 18 mois. Et certaines mesures, comme le déploiement des grands conditionnements, impactent l’économie officinale. À l’automne dernier, la FSPF (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France) indiquait que le tiers des officines étaient en trésorerie négative. Pour certains observateurs, cette situation est le reflet d’une tendance qui s’est accentuée au cours de ces dernières années. Quand ça va mal, c’est le premier poste de dépenses, celui du personnel, qui trinque. Les adjoints, aux salaires plus élevés, sont touchés en priorité. Une catégorie est particulièrement vulnérable, celle des pharmaciens seniors.
À prendre ou à laisser.
Ainsi, Mireille*, 55 ans, a été licenciée pour raison économique en 2009, après dix années comme adjointe dans une grande ville de Normandie. L’officine, reprise deux ans auparavant, ne pouvait plus supporter le coût d’un adjoint. Déjà, à l’arrivée de la jeune titulaire, Mireille était passée à temps partiel. Elle a finalement été licenciée, ainsi qu’une préparatrice. Il en reste une dernière pour seconder la titulaire débordée. Mireille n’en veut pas à son ex-patronne, mais pointe son manque d’expérience. « Elle a pris conscience de ses difficultés bien trop tard. C’est le lot de nombreuses pharmacies en centre-ville, qui sont achetées trop cher. Le dossier n’est pas assez bien étudié et c’est le personnel qui en pâtit. » Aujourd’hui, l’adjointe multiplie les remplacements. Une situation précaire qu’elle accepte, bon gré mal gré. « Je ne veux pas pointer au chômage. » Dans ses démarches, se pose la question essentielle de la rémunération. Mireille travaille une journée par semaine à coefficient 600. D’autres officines ne lui proposent qu’un coefficient 450, en dépit de ses 30 ans d’expérience. C’est à prendre ou à laisser. « En faisant pharmacie, on pense être privilégié, à l’abri. Ce n’est plus le cas. Certes, notre diplôme offre d’autres possibilités, mais je n’ai plus l’âge de passer des concours. »
Pour d’autres pharmaciens sur la touche, la situation peut être vraiment mal vécue. C’est le cas de Françoise, 50 ans, qui a entamé une procédure aux prud’hommes après un licenciement économique en 2008. Cette adjointe de la région parisienne considère que son nouveau titulaire a abusé de la situation. « À la reprise, il a engagé des travaux de l’ordre de 400 000 euros. Pour éviter d’avoir à partir, je lui ai proposé de passer en temps partiel. Il a préféré embaucher un jeune diplômé, moins bien payé. » Françoise vient de retrouver un poste fixe. Elle en est satisfaite, même si elle a perdu 400 euros sur sa fiche de paie. Une concession nécessaire pour être choisie parmi plusieurs candidats.
Des réticences à se déplacer.
Cette dévalorisation du salaire ne touche pas que les seniors. Sarah, 26 ans, est diplômée de la faculté de Chatenay-Malabry. Aujourd’hui, elle tourne le dos à sa vocation d’origine, l’officine ; la jeune femme est responsable en oxygénothérapie à mi-temps et présente le concours de pharmacien inspecteur de la Sécurité sociale. Car, en sortant de la fac, elle peine à trouver un emploi. Elle passe plusieurs entretiens. À chaque fois, on lui propose un coefficient 450, qu’elle n’accepte pas, bardée de son DU de maintien à domicile et de compétences dans l’assurance qualité. D’autres seront moins regardants.
« En quelques mois, les propositions de salaire ont chuté de 50 points. Les coefficients 600 sont aujourd’hui descendus à 550. La loi de l’offre et de la demande s’est inversée au détriment des salariés », confirme Armand Grémeaux, à la tête du cabinet de recrutement francilien Pharm Emploi. Pour autant, certains candidats sont toujours réticents à se déplacer loin de leur domicile. Il y a, en Seine Saint-Denis ou aux confins de la Seine et Marne, des officines qui peinent à trouver du personnel qualifié. Selon Armand Grémeaux, la préférence des titulaires, soucieux de leur comptabilité, se porte sur les préparateurs diplômés, bien avant les adjoints ou les apprentis. La précarité touche toutes les catégories de salariés, mais surtout les pharmaciens. Leurs représentants confirment. Depuis début 2009, 60 % des adjoints licenciés ne retrouvent pas d’emploi stable, constate Françoise Bergier, secrétaire nationale adjointe SYNCASS-CFDT. Ce syndicat a reçu plus d’un millier d’appels de pharmaciens confrontés au licenciement l’an dernier. « Des titulaires les incitent à partir en pré-retraite ou à passer par la rupture conventionnelle, pour plus de facilités. » Et s’il y a nouvelle embauche, elle se fait à un niveau de salaire inférieur. « Il n’y a pas de reprise de l’ancienneté, qui est pourtant obligatoire depuis deux ans », déplore Françoise Bergier. Le SYNCASS-CFDT tente de faire le lien entre employeurs et candidats. Il les prépare aux entretiens d’embauche. Et les oriente éventuellement vers d’autres activités, comme l’inspection de la pharmacie ou la gestion d’une pharmacie à usage intérieur.
Une variable d’ajustement.
Au syndicat FO Pharmacie, Patrick Le Métayer, secrétaire général adjoint, considère que l’« on se sépare des salariés bien trop facilement ». Pour lui, la crise a bon dos. « On a déjà connu des difficultés et la pharmacie s’en est toujours sortie. Les incertitudes, c’est normal. Il y a des périodes où l’officine se transforme. La marge sur le médicament diminue, mais il y a d’autres leviers de croissance », estime t-il. « Autrefois, il ne s’agissait que de coups d’arrêt. Aujourd’hui, nous ne sommes pas seulement sur une crise, mais sur une restructuration du réseau », lui répond Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO (Union des syndicats de pharmaciens d’officine). À la CFE-CGC, le représentant des pharmaciens, François Aucouturier précise qu’il est peu consulté sur les procédures de licenciement économique : « Peu d’adjoints viennent vers nous car ils savent qu’il n’y a pas grand-chose à faire ».
Du côté de la section D de l’Ordre des pharmaciens, on reste aussi très vigilant. « Prendre les adjoints comme variable d’ajustement économique est certainement une erreur, indique Serge Cailler, vice-président de la section dédiée aux pharmaciens salariés en officine. C’est favoriser la migration des diplômés vers d’autres secteurs. Et c’est bien mal appréhender l’avenir que de licencier des adjoints, quelles que soient les raisons, sans avoir analysé tous les postes du bilan, y compris les prélèvements personnels, sur lesquels des économies de gestion sont encore à faire. » Le second poste, celui des équipements (informatiques en particulier), est lui aussi soumis à restriction, justifie Gilles Bonnefond.
L’espoir des nouvelles missions.
Il y a donc la dure loi de l’arithmétique. À l’UNPF, on a fait les comptes. Un préparateur rémunéré à un coefficient moyen (280) « revient » deux fois moins cher qu’un adjoint au coefficient 500, argumente Pierre Harmel, vice-président du syndicat, en charge des affaires sociales. En conséquence, il est recommandé aux employeurs de rationaliser leurs effectifs. « On ne doit plus voir de préparateurs, et encore moins d’adjoints, ranger des commandes ou gérer le tiers payant », affirme le représentant de l’UNPF. Il rappelle que l’automatisation des officines joue sur les conditions de l’emploi. Christian Blanc, responsable du dossier à la FSPF, ajoute qu’il faut prendre en compte les adjoints devenus cotitulaires. Les statistiques ne doivent pas considérer qu’ils disparaissent de la circulation. Revers de la médaille : ces montages mettent des pharmaciens sur la touche, car le quota diplômés/chiffre d’affaires est atteint. De la même façon, les regroupements donnent lieu à des départs de salariés.
Pour sortir du marasme, les regards se tournent désormais vers la loi HPST et ses nouvelles missions pour l’officine. « Il faudra être sur la ligne de départ quand tout sera en marche, avertit Serge Cailler. Cela va demander de plus en plus de qualité dans les actes effectués à l’officine et de disponibilité dans, et surtout hors de la pharmacie. » Ces nouvelles missions doivent être sources de profit pour les officines. Elles soutiendront l’emploi. Mais la profession ne pourra s’imposer sans ses équipes, de nouveau gonflées à bloc.
Près de 40 % du chiffre d’affaires
Médicaments chers : poids lourds de l’activité officinale
Les concentrations continuent
Hygie 31, Giropharm : grandes manœuvres au sein des groupements
Valorisation et transactions en 2023
La pharmacie, le commerce le plus dynamique de France
Gestion de l’officine
Télédéclarez votre chiffre d’affaires avant le 30 juin