Le Quotidien du pharmacien.- Quel constat brossez-vous de la situation des officines italiennes ?
Alfredo Procaccini.- Les problèmes sont nombreux : l’incertitude en ce qui concerne l’avenir des pharmacies, l’absence de plan de développement sur le long terme, la question de la bureaucratie et le manque de coopération entre les pharmaciens et le monde de la santé. La libéralisation, introduite à partir de 2011 par le gouvernement de technocrates de Mario Monti, a permis d’ouvrir de nouvelles pharmacies. Je ne suis pas sûr en revanche que l’objectif préfixé, qui était avant tout celui de relancer l’emploi, ait été atteint. Certains de nos confrères se sont regroupés pour ouvrir une officine, ce qui veut dire avoir un point de vente important en termes de surface. Compte tenu du contexte social et économique, faire face à une entreprise de dimension importante n’est pas simple. Certes, le fait que plusieurs officines aient été ouvertes est déjà en soi un résultat important pour le secteur.
Une partie de vos collègues expriment un sentiment de frustration, car avec la diversification des produits en vente, la profession a perdu de son vernis, estiment-ils. Quelle est votre propre perception ?
L’approche peut être différente selon la localisation des pharmacies. Dans les zones rurales et dans les banlieues, l’officine est un point de repère sanitaire essentiel pour les habitants. La question est que certaines modifications importantes ont rompu partiellement le lien entre titulaire d’une officine et patient, d’où un sentiment de frustration, certains collègues ayant l'impression d’être des « commerçants ». Je pense par exemple à la loi de 2001 sur la distribution de certaines catégories de princeps, les produits pour les traitements lourds. Ils ne sont plus disponibles en officines mais seulement dans les points de distributions liés au système hospitalier. Ce dispositif pénalise le pharmacien, mais aussi le patient qui doit respecter les plages horaires et journalières du point de distribution hospitalier, qui n’est pas ouvert tous les jours. Ce système est aussi bancal d’un point de vue économique, alors qu’il avait été introduit pour réduire les coûts en cassant la chaîne de distribution. Si le traitement ne fonctionne pas pour différentes raisons, les boîtes de médicaments, équivalentes à six mois de traitement, qui ont été données au patient sont inutilisables. L’hôpital ne peut pas les reprendre pour des raisons de traçabilité et de sécurité pharmaceutiques. En officine, le patient achète une boîte et voit comment il réagit. Nous avons toutefois obtenu un assouplissement du dispositif. Aujourd’hui, le patient muni d’une ordonnance rédigée par son médecin traitant contacte une officine, qui se retourne vers la région et commande le princeps.
Vous avez évoqué les inquiétudes des pharmaciens en termes d’avenir…
Les multiples changements ponctuellement introduits pour changer les normes, je pense par exemple à la distance entre deux pharmacies, les conditions d’ouverture et de distribution, la régularisation des parapharmacies, nuisent profondément au développement et au renforcement du système pharmaceutique. Il n’y a pas de plan de développement du secteur pharmaceutique sur le long terme, alors que nous jouons un rôle important dans l’économie du pays. Alors que, paradoxalement, nous sommes considérés comme un lobby, nous n’avons probablement pas une capacité de « frappe » ou de force suffisamment importante pour convaincre les institutions qu’il faut agir en faveur des pharmacies, l’un des moteurs économiques de l’Italie. Nous devons aussi être très attentifs aux pouvoirs forts comme la grande distribution, qui rêve de s’emparer des pharmacies pour les implanter dans ses grandes surfaces. La pharmacie est et doit servir de relais sanitaire sur le territoire, elle ne peut pas devenir un point de vente dans un grand supermarché !
Le cahier de doléances de Federfarma est relativement épais. Quels sont les points importants au niveau de vos revendications ?
L’an dernier, nous avons organisé la journée du dépistage gratuit du diabète en officine. Cette opération a permis de dépister des problèmes de santé chez un nombre important de personnes, parfois du diabète, parfois d’autres pathologies. Cet exemple veut dire que le potentiel des officines est énorme en termes de support au monde médical. Nous sommes généralement considérés comme des commerçants, c’est partiellement vrai car nous vendons de la santé, mais nous avons une formation qui peut nous permettre d’aider les patients, sans pour autant nous substituer aux praticiens. Il faut l’exploiter, nous associer au monde médical.
Avec la libéralisation, les grandes chaînes pharmaceutiques regardent le marché avec appétit. Comment allez-vous vous défendre pour ne pas être avalés, comme l’affirment certains confrères ?
En serrant les rangs. Nous avons entamé une collaboration avec l’université des études commerciales Bocconi de Milan. L’idée est de regrouper toutes les pharmacies sous un seul étendard afin de permettre au consommateur de trouver la liste des officines qui offre une certaine gamme de produit dans son quartier. En fait, un annuaire au niveau national. Sur l’arrivée des grands groupes, notamment hollandais, le problème va se poser dans les grandes villes qui représentent un bassin économique intéressant contrairement aux zones rurales. Le nouveau dispositif qui renforce la libéralisation depuis l’an dernier, a d’un côté assoupli, et de l’autre renforcé le système. Du moins, c’est ce qui devrait être fait. Dans la réalité c’est différent. Il ne fallait pas, par exemple, ouvrir le capital social aux personnes qui ne sont pas pharmaciens.
Les mouvements populistes et souverainistes, la Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles, ont réalisé le score le plus important aux législatives du 4 mars dernier. L’arrivée au pouvoir de ces formations anti-européennes et anti-euro vous inquiètent-elles ?
En l’état actuel, compte tenu du contexte des pharmacies italiennes et du bulletin de santé de notre économie, avec les multiples coupes qui ont été imposées par les gouvernements précédents, notamment dans le domaine de la Santé, on peut difficilement envisager une prise de position. La situation restera probablement telle quelle. Nous passerons entre les gouttes, notamment parce que les personnes qui vont arriver au pouvoir n’ont quasiment aucune expérience politique sur le vrai terrain.
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