En 2013, le capital des SPFPL a été ouvert aux adjoints. Demain, c’est le capital des SEL qui devrait lui aussi leur être ouvert : ils pourront alors prendre jusqu’à 10 % des parts de la SEL où ils exercent, tout en conservant leur statut de salarié. En tout cas, c’est ce qui est inscrit dans un article du projet de loi de santé en cours d’adoption. Bien entendu, les choses peuvent encore bouger : le texte, qui a été voté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 14 avril dernier, a été rejeté par la commission mixte paritaire à la mi - octobre, et devra donc faire l’objet d’une nouvelle lecture par les députés, puis les sénateurs. Tout en sachant que ce seront les députés qui auront le dernier mot… Comme toujours.
Déjà, on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé les politiques à intégrer ce texte au projet de loi de santé. Pour Olivier Delétoille, expert-comptable au cabinet AdéquA, cette nouvelle offre s’inscrit dans une certaine logique. En effet, « on a ouvert en 2013 la possibilité aux adjoints d’entrer dans le capital des SPFPL, mais pas aux SEL, ce qui manquait de cohérence. Aujourd’hui, la situation est donc régularisée », évoque-t-il. Et cette possibilité donne une marge de manœuvre supplémentaire à la prise de capital par les adjoints. « On ne peut donc que se féliciter de la venue de ce texte. C’est une opportunité qui n’existait pas avant », avance Luc Fialletout, directeur général d’lnterfimo, en soulignant que personne n’est obligé d’y adhérer.
Toutefois, « il est dommage que cette ouverture soit limitée à 10 % », critique Philippe Becker, directeur du département Pharmacie chez Fiducial, qui estime qu’une prise de participation jusqu’à 30 % du capital aurait été plus motivante pour les salariés adjoints. « Cela aurait été une vraie étape, alors que, avec 10 %, il faut racheter 90 % des parts pour devenir titulaire, ce n’est donc qu’une toute petite partie du chemin. »
Les adjoints seront-ils séduits ?
Par ailleurs, il reste à savoir dans quelle mesure cette prise de capital pourrait séduire les adjoints. Pour les experts comptables, la participation au capital de la SEL présenterait surtout un intérêt pour ceux qui souhaitent reprendre l’officine de leur titulaire. Cela permet d’acquérir des parts en douceur, et - dans un premier temps - sans perdre son statut de salarié et les avantages qui en découlent. À savoir : le versement d’indemnités journalières en cas d’arrêt maladie, une mutuelle d’entreprise assurant sa protection sociale, le droit au chômage. En revanche, conserver son statut de salarié implique de conserver également un lien de subordination au titulaire.
Ensuite - dans un second temps - l’adjoint augmente progressivement son taux de participation jusqu’à dépasser les 10 % : il devient alors co-titulaire et renonce à son statut de salarié. Sa rémunération s’en trouve revalorisée, mais il perd les avantages sociaux dont bénéficient les salariés. Enfin, au bout de plusieurs années, il poursuit son investissement jusqu’à reprendre la totalité des parts (il est alors l’unique titulaire) ou seulement une partie des parts en association avec d’autres adjoints (et devient co-titulaire de l’officine). Cependant, on ne voit que rarement un adjoint reprendre l’officine dans laquelle il travaille, et la prise de participation aujourd’hui possible, par le biais des SPFPL, n’a guère fait d’émules : en 2014, sur les 479 SPFPL existantes, seulement 17 ont intégré des adjoints dans leur capital (soit 3,5 % des SPFPL). Le taux de participation des adjoints dans les SEL risque donc de connaître le même sort.
Une autre hypothèse justifiant une prise de capital, cette fois différemment, pourrait aussi s’envisager : celle d’un adjoint qui ne souhaite pas à terme s’installer, mais qui désire investir dans la SEL pour placer son argent dans une entreprise en laquelle il croit. Par exemple, un adjoint de 50 ans pourrait acheter des parts (ou participer à une augmentation de capital de la SEL) en vue de les débloquer une fois à la retraite. En attendant, il s’investit personnellement dans son travail pour faire fructifier son capital, il retire des dividendes de son investissement ou place ses parts sur un PEA, ce qui a l’avantage de l’exonérer d’impôt sur la plus-value.
Mais pour Antoine Garnier, consultant chez Phar Excel, ce scénario est peu plausible. « Les adjoints préféreront sans doute placer ailleurs, même si l’officine reste un investissement en général plus rentable que d’autres sociétés », observe-t-il.
Accord préalable du titulaire obligatoire
Néanmoins, il ne faut pas oublier que rien ne peut se faire sans l’accord du titulaire. Faut-il encore que celui-ci accepte de vendre des parts de son capital à son adjoint. Et quel avantage en retirera-t-il : un apport de liquidités ? Mais pour quelles contreparties ? Ces questions sont primordiales, car une prise de participation apporte des droits nouveaux à l’adjoint : il aura sa quote-part de dividendes (sauf si la majorité décide de faire des réserves pour un investissement à venir) et un droit de vote aux assemblées générales (sachant toutefois qu’étant minoritaire, il aura un pouvoir de décision limité). Et surtout, l’adjoint bénéficie, en tant qu’associé, de droits sur la communication et sur l’information sur la vie sociale de la pharmacie. Ainsi, le titulaire se devra de lui communiquer les comptes sociaux, de l’inviter aux assemblées générales et assemblées générales extraordinaires. « C’est important de signaler ce fait aux titulaires. Car aujourd’hui, l’essentiel des adjoints ne sait pas grand-chose de la gestion de la pharmacie. Certes, ils connaissent à peu près le chiffre d’affaires en se basant sur le nombre de pharmaciens dans l’officine, mais ils ignorent les bénéfices. En ouvrant la participation au capital, on ouvre aussi les livres », relève Philippe Becker. Autre inconvénient majeur : « avoir un associé peut compliquer la vente à un autre acquéreur, qui souhaitera racheter sans doute 100 % des parts. Or on ne peut pas forcer quelqu’un à vendre ses parts s’il ne le souhaite pas ! », avertit Antoine Garnier. Le titulaire peut alors se retrouver piégé. « Mieux vaudrait alors intégrer les adjoints au capital de la SPFPL, préconise Olivier Delétoille. En cas de vente, de mésentente avec l’adjoint, il n’y a pas de répercussion sur l’économie de l’officine, et le titulaire n’a pas à communiquer sur les comptes de l’officine. Pour l’adjoint, cela ne change rien capitalistiquement. »
Toutefois, les titulaires pourraient être intéressés par la mesure concernant les SEL, eux aussi, dans le cadre d’un plan de reprise à long terme de la totalité du capital de l’officine par son adjoint, ce qui permettrait aussi de motiver ce salarié dans son travail. « L’avenir nous dira si cette ouverture crée une véritable politique d’ingienerie sociale de la part des titulaires », relève Luc Fialletout.
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