Le Quotidien du Pharmacien. – Quel est l’état du droit actuel sur la détention du capital des officines en société, et notamment des sociétés d’exercice libéral ?
Me Thomas Crochet. – Historiquement, il n’existait aucune ouverture du capital des sociétés d’officine, puisque soit l’officine était détenue directement par son titulaire, soit tous les associés de la société devaient y exercer en qualité de titulaires. Depuis 1990 et la loi sur les sociétés d’exercice libéral, une certaine ouverture existe puisqu’un pharmacien peut investir dans des sociétés exploitant des pharmacies au sein desquelles il n’exerce pas personnellement. Cette « entre-ouverture » connaît un certain succès : 40 % des sociétés d’exercice libéral inscrites au tableau de l’Ordre, aujourd’hui, comprennent au moins un associé non exerçant.
En revanche, il n’y a théoriquement aucune ouverture possible à des capitaux extérieurs à la profession de pharmacien, que ce soit au profit de professionnels voisins - autres professionnels de santé, acteurs du marché pharmaceutique - ou d’investisseurs institutionnels. En pratique, toutefois, ces règles ne font pas obstacle à l’entrée de capitaux de ce type par le biais d’obligations convertibles en actions. Sans conférer exactement les mêmes droits qu’une détention classique du capital, ces instruments financiers permettent néanmoins à des investisseurs de retirer un profit financier de leur placement. Les investissements de ce type sont encore marginaux, mais ils se développent.
Une évolution du droit français, imposée par l’Union européenne, est-elle toujours envisageable ?
À court terme, cela paraît peu probable. Si, en effet, il a longtemps été envisagé qu’une ouverture du capital des sociétés de pharmaciens puisse être imposée par la Cour de justice de l’Union européenne, cela n’a finalement pas été le cas aux termes de plusieurs arrêts rendus au cours de l’année 2009.
Mais il n’est pour autant pas exclu que, à plus long terme, une telle évolution soit finalement imposée par l’UE. La Commission européenne a par exemple formulé ce type d’exigences en contrepartie du soutien financier qu’elle a apporté à certains États. C’est la preuve que cette « doxa » a toujours cours à Bruxelles, et plus largement, semble-t-il, chez certains de nos voisins européens pour lesquels la libéralisation est un modèle dominant.
Selon vous, une telle ouverture du capital est-elle nécessaire ou souhaitable pour les officines françaises ?
La valeur des fonds d’officines est toujours élevée, et il reste un travail important de restructuration du réseau à accomplir : regroupements d’officines, modernisation des points de vente, amélioration de leur efficience économique… Les besoins de capitaux des pharmaciens sont donc évidents.
À cet égard, le financement bancaire traditionnel n’est pas suffisant, ainsi que le prouve le développement rapide des cas de « pharmacien investisseur », dans un cadre pourtant juridiquement très contraignant. Il faut d’ailleurs noter que dans les autres professions de santé, à l’exception de la biologie médicale, à l’inverse de la pharmacie, les besoins en capitaux étant plus faibles et les financements bancaires facilement accessibles, les prises de participation par des non-exerçants sont rarissimes.
Dans ces conditions, que pensez-vous à de la position exprimée par l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) dans son Livre blanc rendu public récemment ?
À titre personnel, je souscris totalement à la proposition de l’UNPF en ce qui concerne une ouverture franche du capital aux pharmaciens, c’est-à-dire sans toutes les contraintes juridiques actuelles : détention de plusieurs officines par une même société, non-limitation du nombre de participations, détention majoritaire par les pharmaciens investisseurs avec dissociation des droits de vote… De ce point de vue, le décret de juin 2013 relatif aux SEL et holdings de pharmacies (SPPFL) constitue d’ailleurs un recul tout à fait regrettable.
En revanche, en ce qui concerne l’ouverture du capital à tous les pharmaciens, y compris non officinaux, je suis nettement plus réservé. À mon avis, dans la mesure où il pourrait exister un lien capitalistique entre les laboratoires et les acteurs de la distribution d’une part, et les pharmaciens d’officine d’autre part, il y aurait des risques accrus d’atteinte à l’indépendance de la profession, au préjudice de la santé publique.
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