PENDANT longtemps, les officines ont été peu contrôlées par l’administration fiscale, et donc peu redressées. Jusqu’à l’année 2010, tout au plus pouvait-on compter, en moyenne, quelques dizaines de vérifications par an. Les prix des médicaments et les marges en officine étant connus et encadrés, un contrôle fiscal n’était souvent pas « rentable » pour l’administration.
Mais les choses ont changé depuis le début de l’année 2011, avec l’affaire du logiciel de comptabilité permettant de faire « disparaître » une partie des recettes en espèces. Selon une source judiciaire, relayée par un des avocats des pharmaciens en cause, plus de quatre mille officines auraient été impliquées. Un chiffre difficilement vérifiable, mais on estime que plus de cinq cents officines auraient été contrôlées dans le cadre de l’utilisation du logiciel informatique incriminé.
Or, depuis quelques mois, les premières sanctions sont tombées, et les premiers redressements signifiés. Dans les cas les plus graves, une condamnation pénale pour fraude fiscale, avec une forte amende à l’encontre des titulaires, a été prononcée, en plus du rappel d’impôt sur les bénéfices, du rappel de TVA, du rappel d’impôt sur le revenu pour les titulaires concernés, et des pénalités fiscales.
En effet, dans les pharmacies soumises à l’impôt sur les sociétés, le redressement sur les bénéfices et la TVA se double d’un rappel d’impôt de distribution, le fisc demandant dans sa proposition de rectification l’identité du bénéficiaire des recettes dissimulées. « Si le pharmacien se désigne, il doit payer l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux sur les sommes redressées après majoration de 25 % de la base imposable. Des pénalités de 80 % lui sont également réclamées. En l’absence de désignation du bénéficiaire, le fisc applique une pénalité s’élevant à 100 % de l’impôt dû », précise Cyrille Dimay, un avocat fiscaliste parisien qui connaît bien ce dossier.
Contrôle et rectification.
Sans aller jusqu’à ces cas extrêmes, l’affaire de ce logiciel comptable non conforme a malheureusement attiré l’œil du fisc sur la profession de pharmacien d’officine, jusqu’à présent relativement ignorée des vérificateurs fiscaux. Un contrôle fiscal et surtout une rectification (autrement dit un redressement) peut donc concerner n’importe quelle officine, même, et y compris, lorsque le titulaire est de bonne foi.
En pratique, il y a deux formes de contrôle possibles de l’officine. D’abord le contrôle sur pièces, d’après les éléments que l’administration a en sa possession, notamment les déclarations fiscales. Ici, il s’agit souvent d’une remise en cause du prix de vente de l’officine après sa cession. En effet, le fisc peut contester le prix du fonds ou des parts qui ont été cédés. Ce type de contrôle est simple à mettre en œuvre puisqu’il peut s’effectuer sans que le vérificateur ait à se déplacer. Le second type de vérification est la vérification de comptabilité, c’est-à-dire le contrôle, sur place, de l’ensemble des éléments comptables de la pharmacie. De nombreux éléments peuvent alors être vérifiés. Par exemple la TVA : les différents taux applicables en officine peuvent constituer une source d’erreurs. La déduction des charges, en particulier celle des frais de congrès, la déduction des amortissements, la déduction des loyers à soi-même lorsque le pharmacien est propriétaire des locaux qu’il loue à sa propre officine, la ventilation des frais d’un véhicule ou encore la contribution économique territoriale, avec par exemple les problèmes de calcul de la valeur ajoutée, figurent également parmi les chefs de redressement possibles.
Pour se défendre, le pharmacien dispose de plusieurs armes différentes. Tout d’abord, les procédures de contrôle sont strictement encadrées par la loi. Ainsi, quand il reçoit directement une proposition de rectification, celle-ci doit toujours être motivée, afin de pouvoir faire valoir ses observations ou de faire connaître son acceptation ou son refus de la rectification. Cette notification doit comporter aussi certains éléments : les références des textes sur lesquels elle s’appuie, le nom, le grade et la signature de l’agent dont elle émane. Elle doit également préciser que le pharmacien peut se faire assister d’un conseil de son choix.
Mais que se passe-t-il une fois que le fisc a décidé de redresser l’officine ? Le pharmacien peut, en premier lieu, répondre à la proposition de rectification en exprimant son accord ou son désaccord (ce sont les « observations » du contribuable), dans un délai qui peut atteindre soixante jours. Ensuite, l’administration répond à ces observations faites dans cette réponse.
« Mais attention, prévient Bruno Bélouis, avocat au cabinet Chaintrier, à Paris, il y a une différence à cet égard entre une proposition de rectification issue d’un contrôle sur pièces et celle qui résulte d’une vérification de comptabilité. Un contrôle sur pièces se termine par une mise en recouvrement immédiate du supplément d’impôt. Alors qu’une proposition de rectification dans le cadre d’une vérification de comptabilité ouvre droit à d’autres garanties, qui sont au nombre de trois : un recours hiérarchique auprès de l’inspecteur principal, un second recours hiérarchique auprès de l’interlocuteur départemental, et la saisine de la commission départementale des impôts. Ces trois recours doivent être suivis dans l’ordre chronologique. »
Attention aussi : pour pouvoir effectuer ces recours hiérarchiques, il ne faut pas oublier de les demander dans la réponse faite à l’administration.
Défendre ses droits.
Si le pharmacien n’a pas obtenu gain de cause dans cette première phase « précontentieuse », il doit s’engager alors, pour avoir satisfaction, dans une seconde phase, purement contentieuse cette fois-ci. En effet, l’impôt est mis en recouvrement dans les deux mois qui suivent l’avis de la commission départementale des impôts, mais le pharmacien peut poursuivre la procédure par une réclamation contentieuse et en saisissant le tribunal compétent. Il s’agit du tribunal administratif pour les impôts directs et les taxes sur le chiffre d’affaires, ou du tribunal de grande instance pour les droits d’enregistrement, notamment.
Il est possible de demander un sursis de paiement de l’impôt contesté jusqu’à la date de la décision du tribunal administratif. Ce sursis est accordé de droit, mais à la condition de fournir des garanties. Pour un pharmacien, il peut s’agir, par exemple, d’un nantissement du fonds de commerce pour une rectification de l’impôt sur les sociétés. Si le titulaire est exploitant individuel, il doit en général fournir une hypothèque immobilière.
Le tribunal administratif (ou le tribunal de grande instance) peut être saisi dans les deux mois de la notification du rejet de la réclamation ou dès l’expiration du délai de six mois dont le fisc disposait pour répondre aux observations. Pour être recevable, la requête devant le tribunal administratif doit être motivée, et elle ne peut en tout état de cause concerner que les impôts contestés dans le cadre de la réclamation initiale auprès du fisc : pas question donc, devant les juges, d’introduire de nouvelles prétentions.
Mais il faut le savoir : pour obtenir un jugement du tribunal administratif, il faut compter de un à trois ans actuellement, sans compter les recours possibles devant la Cour administrative d’appel (de un à deux ans) et le Conseil d’État (ou la Cour de cassation pour les affaires portées devant le tribunal de grande instance), qui demande un an de plus au moins. Au total, la procédure peut donc durer jusqu’à sept ou huit ans… En outre, si le jugement donne raison à l’administration, le pharmacien devra verser non seulement l’impôt lui-même, mais également une majoration de retard de 10 % et, dans certains cas, des intérêts de retard, dont le montant peut être au final très élevé…
Bref, avant de s’engager dans une procédure devant les tribunaux contre l’administration fiscale, mieux vaut être sûr de ses arguments et s’armer de patience. Il faut aussi prévoir un coût de procédure important, et en particulier les frais d’avocat…
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