UN DÉCOUVERT BANCAIRE qui s’installe et qui perdure, des délais de paiement de fournisseurs qui s’allongent, les difficultés à rembourser les emprunts et à payer les charges courantes qui deviennent récurrentes… Il y a des signes qui ne trompent pas, ou sur lesquels le pharmacien, en tout cas, ne devrait pas se tromper.
Ces signes, ce sont ceux des problèmes financiers et de trésorerie. Les causes peuvent en être différentes d’une officine à une autre. Depuis un an et demi, la principale d’entre elles est la stagnation du chiffre d’affaires, qui aggrave la situation de nombreuses officines déjà fragiles ou en difficulté. En période de croissance de l’activité, en effet, la hausse du chiffre d’affaires, si elle n’améliore pas la rentabilité et les ratios d’exploitation, permet au moins de compenser la stagnation du taux de marge brute. Mais lorsque, comme actuellement, cette compensation par l’activité est impossible, les problèmes deviennent évidents et rejaillissent sur la trésorerie. « Concrètement, si la marge brute est à peu près stable, la panne de croissance augmente le poids des charges et l’excédent brut d’exploitation (EBE), c’est-à-dire la rentabilité, baisse. On peut d’ailleurs constater que le taux d’EBE par rapport au chiffre d’affaires chute depuis deux ans », explique Jean-Marc Yzerman, spécialiste des questions économiques et membre de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Problèmes de MDL et de financement.
Le système de la marge dégressive lissée (MDL), d’ailleurs, amplifie ce phénomène en aggravant la chute de la rentabilité. Avant l’instauration de la MDL, il n’y avait quasiment pas de dépôt de bilan en officine, alors que ceux-ci ne sont plus rares aujourd’hui. « Il y a eu récemment une liquidation d’officine à Châlons-sur-Marne, plusieurs cessions décidées par le tribunal et deux redressements judiciaires dans la région rémoise », témoigne ainsi Jacques Grange, pharmacien retraité, ancien administrateur du Centre de gestion agréé de Reims et juge au tribunal de commerce de Reims-Epernay.
Le manque de rentabilité mis à part, une autre cause fréquente de difficultés financières est le mauvais financement de l’officine. L’insuffisance des capitaux propres lors de l’acquisition, couplée à un prix d’achat trop élevé, peut entraîner des remboursements trop lourds auxquels le pharmacien risque de ne plus pouvoir faire face. À cela s’ajoute, aussi, le poids de la fiscalité et des charges sociales du titulaire qui, au terme des remboursements d’emprunts, assèche la trésorerie de l’officine. « Le mauvais étalement des échéances de remboursement et de la déduction des frais d’acquisition est fréquent, insiste Jacques Grange. Pour les frais d’acquisition, une déduction trop rapide peut être la source de difficultés. »
Autre raison encore : le poids de charges de personnel, qui est parfois inadapté aux possibilités financières de l’officine. En milieu rural, par exemple, les charges de personnel ramenées aux heures d’ouverture de l’officine sont souvent lourdes, la mobilité des salariés étant moins forte qu’en ville. De nombreux titulaires ont ainsi des salariés avec vingt-cinq ou trente ans d’ancienneté, et qui sont bien sûr rémunérés avec cette ancienneté.
Plus largement, la gestion des frais généraux et des charges de personnel est une question cruciale pour bon nombre d’officines. « À cet égard, on ne gère plus une officine en 2010 comme on le faisait en période de croissance de l’activité, souligne Philippe Becker, de Fiducial. Pour améliorer sa rentabilité et sa productivité, le pharmacien doit adapter le personnel au chiffre d’affaires et aux possibilités de l’officine. Il ne s’agit pas forcément de réduire le personnel, mais d’avoir des salariés motivés et efficaces. Il faut réfléchir à une meilleure organisation des postes de travail, embaucher des salariés qualifiés, revoir éventuellement l’agencement de l’officine pour mieux travailler et mieux accueillir les patients. Les gains de temps dans la délivrance sont toujours précieux. »
Savoir ouvrir les yeux.
Enfin, d’autres sources de difficultés financières, moins structurelles, se présentent parfois. Par exemple, il est certain qu’un train de vie supérieur aux possibilités de l’officine entraîne à court terme des problèmes de trésorerie évidents. L’isolement du pharmacien peut aussi être en cause, comme l’indique Jacques Grange : « Malgré la multiplication des groupements ces dernières années, le titulaire ne s’intéresse pas toujours à la gestion, et les formations suivies dans ce domaine sont encore assez rares. Le titulaire a souvent des outils à sa disposition, mais il s’en sert peu. »
Or, pour détecter les signaux d’alerte et remédier aux difficultés éventuelles de l’officine, il faut savoir ouvrir les yeux. Comme le souligne Philippe Becker, « on ne perd jamais son temps à s’inquiéter des premières difficultés, même lorsqu’elles paraissent mineures. Souvent, les pharmaciens s’alertent quand les signaux d’alerte sont forts et que les problèmes sont déjà installés, alors qu’il faut au contraire prendre des mesures en amont, avec son cabinet comptable, quand les signes de difficultés commencent à apparaître ».
La règle à suivre la plus importante est donc ne pas attendre pour réagir. Lorsque le découvert bancaire est devenu chronique, lorsque les fins de mois deviennent difficiles, quand le banquier téléphone tous les jours et que le grossiste-répartiteur ne veut plus livrer, il est souvent déjà tard et les difficultés ne font alors que s’aggraver. « Les pis-aller comme le décalage de paiement des factures sont à éviter absolument, poursuit Philippe Becker. En outre, lorsqu’il tarde trop, le pharmacien en difficulté doit faire face à des créanciers plus nombreux, et les problèmes sont plus difficiles à régler. »
Établir un diagnostic de l’officine lorsque les premiers signes de difficultés apparaissent s’impose donc, afin de trouver rapidement les solutions. Bien entendu, la première personne à contacter est l’expert-comptable. Mais il est bon également de faire un tour de table complet des partenaires de l’officine, comme le banquier, les sociétés de financement éventuelles et le grossiste-répartiteur. Ce tour de table peut d’ailleurs être décidé et organisé par le cabinet comptable.
Ne pas craindre les procédures.
Enfin, lorsque les problèmes sont inextricables, « il ne faut pas avoir peur de s’adresser au tribunal de commerce », conseille Jacques Grange. La loi prévoit en effet une procédure spécifique de règlement amiable et de sauvegarde des entreprises en difficulté, sous l’égide du président du tribunal de commerce. Elle peut concerner toutes les officines qui, sans être encore en état de cessation de paiements, connaissent des problèmes graves.
C’est au titulaire de demander au président du tribunal l’ouverture de la procédure. Le président désigne alors un conciliateur, dont la mission sera de rechercher la conclusion d’un accord avec les créanciers. Cette procédure donne en général de bons résultats, et les créanciers accordent des délais de paiement ou des remises totales ou partielles de dettes. Mais en échange, le pharmacien doit s’engager à prendre certaines mesures de sauvegarde comme la cession d’actifs ou des licenciements lorsque ces mesures sont nécessaires.
Si les mesures de règlement amiable et de sauvegarde se sont avérées inopérantes et lorsque l’actif de l’officine ne permet plus de faire face à son passif, le pharmacien a alors l’obligation de déposer le bilan et de demander au tribunal de commerce le redressement judiciaire. Le mot fait peur, mais une procédure engagée rapidement peut permettre, par exemple, de renégocier les emprunts souscrits auprès des banques, et donc de redémarrer d’un bon pied. « Alors que les banques sont très réticentes dans ce domaine actuellement, il est paradoxalement plus facile de négocier avec son banquier en déposant le bilan », fait remarquer Jacques Grange…
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