SELON les statistiques de l’Ordre des pharmaciens, un peu plus de la moitié des officines françaises – 56 % exactement – étaient exploitées en association au 1er janvier 2012. Parmi les différentes structures juridiques utilisées, la société d’exercice libéral (SEL) arrive largement en tête : on en compte aujourd’hui près de 7 000, réparties sur l’ensemble sur le territoire, alors que leur nombre n’atteignait pas 3 000 en 2007.
Les attraits de la SEL sont nombreux et connus des pharmaciens. Ce type de société, notamment, facilite l’intégration de jeunes diplômés. De fait, toujours selon les statistiques de l’Ordre, 39 % des SEL ont au moins deux sources de capitaux : ceux qui proviennent des titulaires exerçant dans la société, et ceux provenant de pharmaciens extérieurs ou d’autres sociétés d’exercice libéral.
Mais si 56 % des officines sont exploitées en société, 44 %, a contrario, sont encore aujourd’hui tenues par un seul titulaire, principalement en nom propre. Mais pas uniquement. Un nombre significatif de titulaires, en effet, exercent seuls, mais à travers une EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée) ou une SELURL (SEL unipersonnelle à responsabilité limitée). Dans les deux cas, il s’agit d’une formule mixte dans laquelle le pharmacien est en société, mais dont il est aussi le seul associé. À noter d’ailleurs que les SELURL étant des structures associatives et devant normalement être comptabilisées comme telles, on peut penser que les officines exploitées vraiment en nom propre ou en EURL représentent un peu plus que 44 % des officines.
Mais pourquoi ces pharmaciens continuent-ils d’exploiter seuls leur officine ? Et pourquoi sont-ils si nombreux à ignorer les sirènes de l’association ? Les raisons sont à la fois d’ordre personnel et d’ordre économique.
Rétifs à l’association.
Le premier critère de choix de l’exercice individuel est d’ordre personnel : on exerce seul parce qu’on ne veut pas s’associer. Cet état d’esprit est fréquent chez les pharmaciens, souvent individualistes. « Certes, quand on est seul, tout est plus difficile, car il faut être derrière le comptoir toute la journée. Mais c’est aussi plus intéressant et plus motivant. On est plus réactif », explique Rémi Choplin, pharmacien en région parisienne, qui, bien qu’il en ait eu l’opportunité, n’a pas voulu s’associer après avoir quitté sa première officine et a choisi de se réinstaller en individuel.
Les conflits possibles avec les autres associés effraient souvent les pharmaciens qui exercent seuls. Il est vrai que dans les SEL ou les SARL, ces conflits ne sont pas rares. Ils proviennent souvent d’une répartition inégale du capital, certains associés minoritaires se retrouvant sans aucun pouvoir de décision vis-à-vis de l’associé majoritaire, celui-ci exerçant tous les pouvoirs. Dans les sociétés où les deux pharmaciens sont titulaires et exploitants, on conseille donc souvent une répartition du capital à peu près égalitaire. Travailler en société avec son adjoint après de nombreuses années d’exercice solitaire peut aussi poser des problèmes relationnels délicats. Il faut être particulièrement vigilant dans ce cas de figure car les habitudes sont difficiles à changer. La seule solution pour éviter ou régler les litiges est d’établir un règlement intérieur quand l’exercice est en commun, ou un pacte d’associés dans le cas d’un exercice sous forme de SEL avec un associé investisseur, indiquent les experts-comptables.
L’autre raison du choix de l’exercice individuel est d’ordre économique. Dans de nombreux territoires ou quartiers sur lesquels sont implantées ces officines, il n’y aurait de toute façon pas assez d’activité pour plusieurs titulaires. C’est le cas de Jacques Bensadoun, par exemple, qui exerce dans une petite commune de 2 000 habitants en Saône-et-Loire : « Dans une telle commune, il n’y a de la place que pour une seule pharmacie et un seul titulaire », insiste-t-il.
Il est vrai qu’une officine en nom propre procure souvent une rentabilité médiocre et offre de faibles perspectives de capitalisation. Quant à la revente, elle est plus difficile, et à un prix moindre, si l’officine n’a pas de potentialités. Il reste cependant que l’achat d’une officine en nom propre, même avec un petit chiffre d’affaires et une faible rentabilité, peut parfois constituer, pour un jeune diplômé, une première étape intéressante avant l’achat ultérieur d’une plus grosse officine. Mais à condition de disposer d’un apport personnel suffisant pour ne pas emprunter trop et préserver la rentabilité, et pour pouvoir revendre la pharmacie assez facilement et dans de bonnes conditions.
Faible mobilité professionnelle.
Les pharmaciens qui exercent en nom propre, aujourd’hui, se sont en général installés il y a de nombreuses années. Ce sont donc des pharmaciens souvent plus âgés que la moyenne de la profession, et qui n’envisagent pas, ou pas souvent, de changer de structure juridique avant la cession de leur officine et leur départ à la retraite. Lorsque ces pharmaciens cèdent leur fonds de commerce, c’est en principe parce qu’ils cessent leur activité professionnelle. Parmi ces officines individuelles, celles qui ont un faible chiffre d’affaires – moins d’un million d’euros environ – trouvent difficilement preneur, ou alors à un prix très décoté. Les deux dernières études de la société INTERFIMO sur les prix de cession des pharmacies le montrent : l’écart de prix moyen entre les officines de taille importante – celles qui font plus de deux millions d’euros de chiffre d’affaires – et les petites officines – moins de 800 000 euros de chiffre d’affaires – est de près de vingt points. On peut ainsi trouver de petites pharmacies à acquérir à un prix inférieur à 65 % du chiffre d’affaires hors taxes, voire à 50 % dans certains quartiers, dans la région parisienne ou en zone rurale.
En pratique, la mobilité des petites officines individuelles est donc faible et c’est ce qui peut expliquer, en partie, que leur nombre baisse lentement. Toutefois, deux phénomènes, qui se sont développés ces deux dernières années, ont quelque peu inversé cette tendance.
Acquérir une petite officine, en effet, peut tout de même être intéressant dans l’optique d’un transfert ultérieur. On a ainsi vu des petites pharmacies achetées par de jeunes diplômés entreprenants tripler ou quadrupler leur chiffre d’affaires après un transfert, lorsque celui-ci a été bien étudié. Mais attention : la propriété du fonds de l’officine doit être conservée à l’identique pendant cinq ans après l’obtention de l’arrêté préfectoral accordant le transfert. Le choix de la structure juridique, dès avant la demande de transfert, est donc capital. Si, par exemple, on dépose un dossier de demande en nom personnel, on ne peut plus passer ensuite en société avant cinq ans. C’est pourquoi l’option pour une structure juridique - nom propre, EURL ou SELURL notamment - doit être choisie en amont du dépôt du dossier.
Un second phénomène affecte un peu également le marché des officines individuelles en l’orientant vers l’exercice en société : c’est celui des ventes à soi-même. Il s’agit d’une opération patrimoniale consistant à mettre l’officine dans le patrimoine privé du pharmacien en la refinançant et en dégageant de la trésorerie. La vente du fonds individuel à une SEL (à associé unique ou non) permet ainsi d’obtenir une trésorerie importante, sous déduction de l’impôt à payer sur la cession du fonds.
Cette solution peut être envisagée lorsque l’officine est arrivée à un certain stade de développement, alors que les intérêts d’emprunt sont déjà déduits, qu’il y a moins de charges à payer et que la pression de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux est donc devenue très forte. Mais il faut prendre des précautions pour éviter que cette opération soit considérée par l’administration comme ayant un but exclusivement fiscal et soumise à la répression des « abus de droit ».
Match perdu ?
Enfin, la féminisation accrue que connaît la profession depuis plusieurs années devrait aussi faire perdre du terrain à l’exercice individuel. Souvent, les femmes qui ont des enfants ne veulent pas passer seules toute la journée au comptoir et cherchent plutôt à travailler dans une officine où il y a déjà au moins un assistant. « Mais pour pouvoir payer un adjoint, il faut que la pharmacie fasse un chiffre d’affaires minimum de 1 300 000 euros hors taxes », explique Michel Watrelos, expert-comptable à Lille. Ce qui élimine de fait les très petites officines dont le chiffre d’affaires est inférieur à ce seuil.
Au total, le « match » officines individuelles contre officines en association semble donc perdu d’avance pour les premières. Certains observateurs – experts-comptables, organismes de financement, cabinets de transactions – prédisent même qu’il n’y aura plus du tout de pharmacies individuelles dans quelques années. Rien n’est sûr, mais le ralentissement considérable de l’activité des pharmacies que l’on observe depuis deux ou trois ans semble aller dans ce sens : en période crise, l’exercice en commun dans de grandes structures, avec un chiffre d’affaires élevé, permet de limiter la perte de rentabilité, en raison d’une meilleure organisation du travail et d’une optimisation des charges.
Mais, aujourd’hui encore, par exemple pour un jeune pharmacien qui souhaite s’installer à moindres frais, ou dans l’optique d’une opération financière à moyen terme (vente à soi-même, transfert, regroupement…), le modèle de la pharmacie individuelle conserve des atouts. À condition, souvent, et au moins les premières années, d’accepter une rémunération modeste…
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