« EN PRATIQUE, ce travail suggère qu’il est possible de trouver de nouveaux récepteurs, jusqu’ici inconnus, pour des médicaments établis. Ceci permet de découvrir de nouveaux usages pour les médicaments utilisés chez l’homme », explique au « Quotidien » le Dr Brian Shoichet de l’université de San Francisco.
« Étant donné la difficulté à découvrir et développer un médicament à partir de rien, le fait de trouver une nouvelle indication pour un médicament établi est précieux, car ce médicament possède déjà de nombreuses propriétés recherchées - il n’est pas toxique, il est absorbé dans l’organisme et est biodisponible, il traverse de nombreuses barrières physiologiques, comme par exemple la barrière hématoméningée qui restreint l’accès au cerveau. »
« De plus, l’approche offre des hypothèses pour expliquer les effets secondaires des médicaments, en identifiant les récepteurs qui les médient. Ce travail offre une stratégie pour prédire ces activités secondaires, et peut-être finalement une voie pour les éviter. »
La pharmacologie classique.
« Conceptuellement, le travail offre une nouvelle approche de découverte médicamenteuse, ou dans une certaine mesure un retour à une approche plus ancienne qui est la pharmacologie classique. En effet, dans la découverte pharmacologique moderne, l’identité du récepteur vient en premier et l’on essaie de voir si l’on peut trouver des petites molécules pour le moduler. En pharmacologie classique, on débutait avec une molécule intéressante et l’on essayait de découvrir ce qu’elle faisait, souvent simplement par le phénotype, sans connaître la structure moléculaire du récepteur. Notre approche retourne à cette vision plus ancienne, largement ignorée maintenant, mais elle le fait de manière moderne, systématique et quantitative. »
« Enfin, ajoute le Dr Shoichet, ce travail représente une collaboration encore trop rare entre la chimie/biologie informatisée, faite dans notre laboratoire, et la merveilleuse pharmacologie expérimentale, faite dans le laboratoire du Dr Roth. »
Dans l’étude publiée dans « Nature », Keiser, Shiochet et Roth ont utilisé une approche de chimio-
informatique pour comparer environ 3 700 médicaments contre plus de 65 000 ligands, organisés en 246 cibles, qui provenaient de la base de donnée MDDR. Certains médicaments étaient approuvés par la FDA (n = 876), d’autres étaient expérimentaux (n = 2 787).
Des milliers d’associations inattendues.
En se fondant sur les ressemblances chimiques entre les médicaments et les groupes de ligands, les chercheurs ont pu prédire des milliers d’associations inattendues. Trente associations ont été testées expérimentalement, notamment l’antagonisme du récepteur bêta1 par un antidépresseur, inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine. Globalement, 23 nouvelles associations entre médicaments et cibles ont été confirmées, dont 5 sont puissantes. Les chercheurs ont notamment confirmé chez la souris knock-out, l’effet physiologique du DMT (N, N-diméthyltryptamine) sur les récepteurs sérotoninergiques.
« Ceci nous a aussi aidés à découvrir comment une drogue exerce son effet sur le cerveau », explique le Dr Bryan Roth de l’université de Chapell Hill (Caroline du Nord). « Le DMT, qui était utilisé autrefois par les chamans dans la jungle amazonienne, existe aussi dans l’épiphyse. L’approche nous a permis de découvrir que le DMT exerce son effet en interagissant avec le même récepteur sérotoninergique que le LSD. »
« Les implications cliniques sont donc les suivantes, résume le Dr Shoichet. L’approche suggère des hypothèses pour expliquer les effets secondaires souvent mystérieux de certains médicaments ; elle procure des pistes pour contourner ces effets secondaires dans le futur ; enfin elle dresse une carte pour les futurs efforts visant à découvrir quels médicaments établis peuvent être reproposés pour une nouvelle maladie ».
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