C’EST UNE PREMIÈRE en France. La pharmacie de la Grâce de Dieu, à Caen (Calvados), propose depuis le 14 novembre d’acheter des médicaments sur son site Internet, pharma-gdd.com. Les internautes peuvent y commander jusqu’à cinq boîtes de spécialités de prescription médicale facultative (PMF) et réserver les médicaments de prescription obligatoire. Dans ce cas, les produits devront être retirés directement à l’officine contre présentation de l’ordonnance. En revanche, ceux ne nécessitant pas obligatoirement de prescription pourront être envoyés directement aux patients par la Poste. Voilà qui paraît simple.
Pour autant, la commande ne s’effectue pas d’un simple clic. Pour valider son achat, il faut d’abord déclarer avoir lu la notice du produit qui apparaît automatiquement sur l’écran et indiquer âge, sexe, taille et poids. Les antécédents de maladies et les traitements en cours sont également demandés. « Cette nouvelle offre fait partie du développement naturel d’une officine », estime le titulaire de la pharmacie de la Grâce de Dieu, Philippe Lailler. Il y a un an, le pharmacien a d’abord ouvert un site de vente en ligne de produits de parapharmacie. Puis, il y a environ six mois, il s’est intéressé à la possibilité de proposer également des médicaments. L’officinal normand a alors travaillé sur le projet avec trois juristes qui, au regard des textes en vigueur, ont conclu à la possibilité de proposer des spécialités avec AMM* sur la Toile. À condition toutefois de respecter certaines règles prévues par la législation française. Par exemple, explique Philippe Lailler, pour les produits de PMF, « la vente peut se faire sans ordonnance, mais pas sans conseil ». Et sur son site, il est toujours possible de demander l’avis d’un pharmacien avant d’acheter. Pour l’heure, 300 à 400 médicaments sont référencés sur pharma-gdd.com, mais l’objectif est qu’ils y soient tous disponibles.
Un risque de surconsommation.
La démarche, inédite dans l’Hexagone, fait réagir les représentants de la profession. « Les Français ont-ils réellement besoin d’acheter des médicaments sur Internet ? », interroge le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Gilles Bonnefond. « Non, car nous n’avons pas de problème d’approvisionnement », répond-il. Pour lui, autoriser la vente sur Internet risque également de pousser à la consommation, alors que, au contraire, « nous prônons le bon usage ». Le président de l’USPO juge également que placer la photo de médicaments remboursables sur un site s’apparente à de la publicité, ce qui n’est pas possible dans notre pays. Et puis, insiste Gilles Bonnefond, en l’absence de texte qui la régule, la vente en France de médicament sur Internet est, de fait, interdite.
Un argument que réfute Philippe Lallier, qui se dit prêt à entrer dans une commission de travail sur le sujet. « Sur notre site, nous avons mis des garde-fous. Peut-être faut-il en mettre davantage, indique-t-il. Je suis prêt à en discuter. Mais ce que je souhaite, c’est que ça bouge. Il n’est pas normal qu’en France on ne puisse pas commander un médicament en ligne, alors que c’est autorisé dans de nombreux pays européens. » Il ajoute : « J’ai informé l’Ordre des pharmaciens de ma démarche. J’ai envoyé plusieurs courriers. J’ai transmis la maquette de mon site il y a plus d’un mois et demi. Mais je n’ai eu aucune réponse. » Pour le pharmacien caennais, l’autorisation encadrée de la vente en ligne permettrait de sécuriser l’accès des patients aux médicaments sur la Toile. « Je préfère que les Français puissent acheter dans des pharmacies virtuelles françaises adossées à une officine », plaide-t-il.
Un mauvais message.
À l’inverse, l’Ordre des pharmaciens (voir ci-dessous) et les syndicats y voient plutôt la porte ouverte au tout et n’importe quoi. « Si les sites se multiplient, comment distinguer ceux proposant des vrais médicaments et ceux vendant des produits falsifiés », se demande Gilles Bonnefond. Pour le président de l’USPO, on risque de brouiller le message dans l’esprit de nos concitoyens. Jusqu’à présent la vente en ligne étant interdite, on pouvait facilement leur dire de se méfier de ce qu’ils trouvaient sur la Toile. « J’espère que le conseil de l’Ordre se saisira très vite de cette affaire », indique Gilles Bonnefond.
Quoi qu’il en soit, c’est à l’État qu’il revient de trancher la question. « Soit on choisit la voie d’une consommation non contrôlée des médicaments avec le risque de contrefaçon, soit celle du bon usage, dans une pharmacie avec un professionnel, affirme le président de l’USPO. C’est un choix de société. » « Le mieux serait de se mettre autour d’une table afin de construire avec les personnes qui respectent le circuit du médicament français de qualité, un projet de distribution des spécialités sur Internet », conclut pour sa part Philippe Lailler.
Avec cette ouverture de pharmacie virtuelle le débat sur la vente en ligne est bel et bien relancé, alors même que le gouvernement doit transposer avant la fin de l’année une directive européenne traitant justement de cette question. À suivre.
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