LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- L’IGAS travaille actuellement à l’élaboration de propositions concrètes sur l’évolution du mode de rémunération des pharmaciens. Ne pensez-vous pas que la gravité des difficultés économiques rencontrées par certains pharmaciens aurait nécessité des mesures d’urgence ?
NORA BERRA.- Je suis bien consciente des difficultés économiques rencontrées par certains pharmaciens. Nous connaissons les chiffres : 16 redressements judiciaires en 2006 contre 67 en 2010. Sur les liquidations judiciaires, la hausse est également avérée : de 28 en 2007, on est passé à 38 aujourd’hui. Sur la sauvegarde, on constate aussi une augmentation : 2 en 2007, 32 en 2010. Une telle évolution, même si elle doit être relativisée par rapport au nombre total d’officines en France (23 133 au 1er janvier 2010), c’est un signal fort.
Il nous faut trouver ensemble des solutions pragmatiques et rapides, dans le respect de l’évolution de l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM) fixé pour 2011. La plus grande maîtrise des dépenses remboursables des produits de santé entraîne un changement de contexte économique pour les pharmaciens. Il faut donc trouver comment rendre la profession moins dépendante de ces dépenses et évoluer ainsi vers un mode de rémunération plus équilibré, qui associerait les marges sur la vente des produits remboursables à d’autres rémunérations, liées à d’autres missions de service public.
Outre la rémunération, il y a aussi une question de structure de la profession ; elle est en pleine mutation. C’est pourquoi nous avons demandé à l’IGAS, avec l’ensemble des professionnels concernés, de proposer une évolution du mode de rémunération pour la délivrance des médicaments remboursables, d’identifier les missions de service public qui pourraient bénéficier de rémunérations directes et d’identifier les outils pour consolider le réseau des officines. Une fois que le rapport nous aura été remis, des discussions et des concertations suivront, dès le début de l’été, pour être au rendez-vous du PLFSS et y prendre les mesures adéquates décidées avec la profession.
Parmi les avancées prévues par la loi HPST deux décrets sont toujours en attente de parution, l’un instituant le « pharmacien correspondant », l’autre relatif à la préparation des doses à administrer (PDA). Ces textes ont-ils encore une chance d’être publiés ?
Je peux vous annoncer qu’ils viennent d’être signés en ce qui concerne l’alinéa 7 : le pharmacien correspondant. Les pharmaciens d’officine se voient confier, en qualité de correspondant, des nouvelles missions importantes au service des patients ayant à suivre un traitement chronique. Je rappelle que ce sont les patients qui choisissent librement leur pharmacien d’officine correspondant. Ce pharmacien a conclu, avec un médecin prescripteur de médicaments, un protocole de coopération pour la mise en œuvre d’un traitement chronique. Le rôle du pharmacien consiste à intervenir pour le renouvellement périodique du traitement concerné, le bilan de médication, l’ajustement, au besoin, de la posologie, au vu du bilan de médication effectué, selon un rythme et des modalités définis par le protocole. Cette évolution de l’exercice pharmaceutique s’inscrit dans la démarche de coopération entre professionnels de santé afin de garantir aux patients atteints de maladies chroniques l’accès à des soins de qualité et d’en assurer la sécurité et la continuité.
Pour ce qui concerne l’alinéa 8, je rappelle que l’une des missions de l’IGAS est de proposer une identification des conseils et prestations qui pourraient être dispensés à l’avenir par les pharmaciens d’officine et des modes de rémunération qui y affèrent. L’alinéa 8 sera donc publié après la remise du rapport de l’IGAS.
Le décret sur les préparations des doses à administrer (PDA) est également publié, tout comme d’ailleurs celui sur la convention EHPAD-Officine. Ces textes s’inscrivent dans une démarche globale visant à encadrer la PDA afin de renforcer la lutte contre l’iatrogénie et la protection de la santé publique. Le décret précise notamment que la PDA s’effectue conformément aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments. La publication de ce décret sera donc suivie par la publication, dans un délai d’un mois, du projet d’arrêté fixant ces bonnes pratiques de dispensation, qui concernera, dans un premier temps, uniquement la PDA afin d’en préciser les conditions de réalisation.
L’arrêté portant convention type permet de renforcer le rôle du pharmacien d’officine au sein de l’EHPAD en lien avec le médecin coordonnateur et l’équipe soignante, dans un souci de qualité des soins et de sécurité de la dispensation pharmaceutique. Les missions du pharmacien référent figurent dans l’annexe de ce projet d’arrêté.
Comme vous voyez, nous avançons !
L’affaire du Mediator a conduit le ministère de la Santé à mener une réflexion de fond sur l’évaluation du médicament afin de renforcer sa sécurité (rapport de l’IGAS, missions d’information parlementaires, Assises du médicament…). Selon vous, quel rôle pourrait jouer les pharmaciens dans un nouveau dispositif sécurisé ?
Le pharmacien d’officine est bien souvent la première écoute, le premier contact des patients. Sa place est absolument essentielle dans notre système de santé et le parcours de soins et il joue un rôle primordial dans la lutte contre les inégalités de santé. Une récente enquête CSA pour Le Parisien soulignait d’ailleurs que 90 % des Français faisaient confiance à leur pharmacien et 94 % à leur médecin. Ce n’est pas sans raison et les pharmaciens méritent cette confiance !
Dans le scandale du Mediator, la responsabilité première et directe est celle du groupe Servier et les dysfonctionnements dans « la police du médicament » ont été prouvés. Le système de sécurité des produits de santé connaît une crise de confiance sans précédent et c’est cette confiance qu’il faut restaurer. C’est pourquoi nous avons lancé, avec Xavier Bertrand, le 17 février dernier, les Assises du médicament. Cette grande concertation permet de réfléchir ensemble, avec tous les acteurs du système de santé (prescripteurs, dispensateurs, utilisateurs, régulateurs, fournisseurs des produits de santé, lanceurs d’alerte, parlementaires…). Les pharmaciens sont partie prenante dans ces travaux. Ils sont chargés d’élaborer des propositions sur l’évaluation, le suivi, l’utilisation et la promotion des produits de santé. Deux vice-présidentes des 6 groupes de travail sont des pharmaciennes : Mme Isabelle Adenot (présidente de l’Ordre des pharmaciens) et Mme Augé-Caumon (USPO), respectivement pour le groupe de travail n° 2 (surveillance des médicaments) et n° 3 (prescription hors-AMM). La remise des travaux des groupes de travail est prévue pour la fin du mois de mai 2011. Attendons leurs conclusions pour évoquer concrètement le rôle des pharmaciens dans le nouveau dispositif.
En tout cas, depuis la loi HPST, les missions des pharmaciens d’officine sont reconnues puisqu’elles figurent désormais dans le code de la santé publique de manière explicite. Sont clairement affirmés : leur contribution aux soins de premier recours, leur participation à la coopération entre professionnels de santé, à la mission de service public de la permanence des soins, leur concours aux actions de veille et de protection sanitaire, leur participation à l’éducation thérapeutique et aux actions d’accompagnement du patient, sans oublier leur fonction de pharmacien référent pour les établissements du champ de la dépendance, quand ces derniers ne disposent pas d’une pharmacie à usage intérieur.
Pour résumer, les pharmaciens d’officine sont incontournables !
Michel-Édouard Leclerc réclame à nouveau le droit de pouvoir vendre des médicaments sans ordonnance dans son réseau. Que lui répondez-vous ?
On ne le répétera jamais assez : un médicament n’est pas un produit comme un autre ! Ce n’est pas parce que le libre accès existe qu’une officine s’apparente à une grande surface ! Plus que tout autre produit, le médicament réclame du conseil. La présence de docteurs en pharmacie est nécessaire. C’est pour cela que je crois au monopole. C’est une question de principe : le médicament ne peut pas être vendu comme un autre produit. Le monopole pharmaceutique, ce n’est pas une affaire de « chasse-gardée », c’est tout simplement une question de santé publique !
Récemment, au Sénat, vous avez laissé entendre que seules les officines de pharmacie pourraient être autorisées à vendre des médicaments sur la Toile. Les médicaments ont-ils, selon vous, réellement leur place sur Internet ?
Ce que j’ai rappelé au Sénat, c’est la jurisprudence européenne. Le Code de la santé publique aujourd’hui ne contient aucun principe d’interdiction ni d’autorisation de la vente de médicaments sur Internet. Après, il faut être clair et vigilant : la vente de médicaments sur internet peut présenter des risques sérieux pour la santé publique. Il faut, d’une part, lutter contre ce fléau que sont les médicaments falsifiés, et, d’autre part, encadrer, voire restreindre, l’accès aux médicaments par Internet. Je me répète : un médicament n’est pas un produit comme un autre, il doit être dispensé et vendu dans des conditions bien précises. Afin d’encadrer des pratiques qui pourraient survenir, la Direction générale de la santé pilote, depuis le printemps 2010, un groupe de travail avec les autres directions ministérielles concernées, l’AFSSAPS, la HAS et tous les professionnels (Ordre des pharmaciens, LEEM, FSPF, USPO, UNPF…), afin de déterminer le cadre juridique approprié pour permettre aux pharmaciens d’officine qui le souhaitent de créer des sites Internet. Les discussions ont concerné, à ce jour, la mise à disposition d’informations sur le médicament au travers de ces sites.
Près de 40 % du chiffre d’affaires
Médicaments chers : poids lourds de l’activité officinale
Les concentrations continuent
Hygie 31, Giropharm : grandes manœuvres au sein des groupements
Valorisation et transactions en 2023
La pharmacie, le commerce le plus dynamique de France
Gestion de l’officine
Télédéclarez votre chiffre d’affaires avant le 30 juin