L’ordonnance électronique pour 2020 ?

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Publié le 21/11/2019
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Après une première phase d’expérimentation de l’ordonnance électronique qui a permis d’établir des choix techniques, l’assurance-maladie a lancé la seconde phase pour ce deuxième semestre de l’année 2019 afin d’en tester les usages. Elle souhaite la généraliser dès l’année prochaine. Mais peut-être le calendrier est-il trop ambitieux. Les prestataires spécialistes de la pharmacie sont motivés et en attendent beaucoup, ils constatent cependant aussi les difficultés sur le terrain, en tête desquelles son utilisation par les médecins. Les pharmaciens et les prestataires qui les accompagnent sont et seront tributaires des réactions du monde médical.
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Crédit photo : Caroline Victor-Ullern

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Crédit photo : GARO/PHANIE

Il sera bientôt possible d’utiliser une ordonnance électronique pour récupérer ses médicaments chez le pharmacien. Prévu pour l’année prochaine, le processus choisi par l’assurance-maladie consistera pour le médecin à imprimer une feuille avec un QR Code permettant de lire toutes les informations relatives à l’ordonnance et pour le pharmacien de flasher ce QR Code afin d’obtenir ces informations.

Un processus choisi au terme d’une première expérimentation qui a eu lieu dans trois départements, le Val-de-Marne, la Saône-et-Loire et le Maine-et-Loire, entre novembre 2017 et la fin de l’année dernière. Il a fallu durant cette période faire des choix. « Il était prévu, à l’origine, de faire en sorte que toutes les informations soient contenues dans le code imprimé, mais cela aurait été trop long à décrypter », explique Christophe Zarella, chef de produit marketing chez Smart Rx, qui a participé à cette expérimentation. « Il a finalement été décidé d’utiliser un identifiant qui permettra d’aller chercher les informations sur un serveur unique hébergé par l’assurance-maladie. » Certes ce dispositif allégera les flux mais il a suscité certaines craintes de la part des médecins et de leurs organisations professionnelles de voir ainsi centralisées les ordonnances au sein de l’assurance-maladie. Celle-ci leur garantit que la base de données en question sera anonymisée, seul sera donné un numéro d’identifiant, et il ne sera pas possible pour elle de remonter à l’ordonnance avant sa délivrance (voir
« le Quotidien » du 30 septembre dernier). Une seconde expérimentation a commencé l’été dernier afin d’observer les usages de la prescription électronique avant d’envisager sa généralisation pour l’année prochaine. Pour l’assurance-maladie, l’e-ordonnance sera un des services-clés qui aideront à mieux construire les parcours de soins des patients. En digitalisant cette étape, la CNAM espère faciliter l’usage du numérique sur l’ensemble de ces parcours. C’est aussi un moyen de sécuriser ces ordonnances.

En ordre dispersé

Pour les prestataires liés à la pharmacie, éditeurs de LGO ou start-up spécialisées, la feuille de route est claire, au moins dans un premier temps, puisqu’avec le cahier des charges imposé par l’assurance-maladie, il faudra juste adapter les logiciels utilisés par les pharmaciens pour faire en sorte que l’usage de l’e prescription puisse se répandre. Passée cette évidence, il apparaît que les prestataires abordent le sujet de l’ordonnance électronique en ordre dispersé.

Il y a les pragmatiques, comme Winpharma, qui travaille à automatiser le plus possible les flux liés à l’usage de la prescription électronique : « nous voulons intégrer le maximum les différents éléments de l’e-ordonnance au sein de notre LGO », pose Camille Girard, responsable marketing et communication de l’éditeur. Il y a les ambitieux, à l’image de Smart Rx qui compte sur les différentes composantes du groupe Cégédim auquel il appartient pour assurer l’emboîtement des différents logiciels concernés, logiciels médicaux, téléconsultation. Il y a les prudents, comme Pharmagest, qui ne souhaite pas s’exprimer tant que la phase d’expérimentation menée par la CNAM n’a pas donné de résultats un peu plus tangibles. Il y a aussi ceux qui s’écartent quelque peu du chemin tracé par l’assurance-maladie. Parce que leur spécialisation le leur commande, à l’image de Medadom, dont l’activité principale est liée à la téléconsultation. Medadom a fait un choix technique plus simple, imprimer une ordonnance électronique au format PDF qui se trouve dans un espace confidentiel du patient, un procédé logique dans la mesure où l’impression de l’ordonnance en question se fait dans le cadre de la téléconsultation à l’officine, pas besoin donc de QR Code. Celui-ci s’impose dès lors que la téléconsultation se fait à domicile, précise ainsi Nathaniel Bern, cofondateur de l’entreprise.

Difficultés d’usage

Il y a enfin ceux qui doutent, quelque peu échaudés par l’expérience terrain. C’est le cas de Mesoigner, qui a testé une solution de prescription électronique différente de celle proposée par l’assurance-maladie, mais compatible, et qui a constaté de fait les difficultés d’usage du côté des médecins, si bien qu’aujourd’hui, la start-up se limite à répondre à la demande de cabinets médicaux intéressés par la prescription électronique - il y en a quand même - elle ne souhaite pas pour l’instant agir de façon proactive sur ce terrain de l’e-ordonnance. « Il n’y a pas d’ordonnance électronique si le prescripteur ne le fait pas », rappelle Amaury de Chalain, le cofondateur de l’entreprise. Cette inquiétude relative à l’usage de l’e-prescription par les médecins est loin d’être isolée. Elle est de fait partagée par d’autres prestataires qui soulignent, à l’instar de Guillaume Gobert, fondateur d’Ordoclic, l’importance de l’usage et la conduite du changement chez les professionnels de santé. Et les premiers concernés sont de toute évidence les médecins. Car la prescription électronique ne sera pas obligatoire, il faudra donc les convaincre.

Le témoignage de Véronique Bouchet, titulaire de la pharmacie le Haut Anjou (voir encadré ci contre) qui participe à l’expérimentation menée par l’assurance-maladie, montre les difficultés auxquelles une pharmacie peut être confrontée face aux défaillances des prescripteurs. Défaillances ou réticences qui peuvent être alimentées par de nombreux facteurs. Guillaume Gobert en identifie notamment un, la codification des médicaments. Qui, en elle-même, est plutôt un élément positif puisque le fondateur d’Ordoclic envisage cette codification commune des médicaments comme le moyen de surmonter la diversité des bases de données médicamenteuses auxquelles les pharmaciens sont confrontés chaque jour et de faire gagner du temps aux comptoirs. « Mais cela va obliger les médecins à prescrire en DCI, la dénomination commune internationale, or cela, tous ne sont pas prêts à le faire », précise-t-il. Ce sera selon lui une des tâches des logiciels de faire des propositions automatiques.

Impuissance

Cette impuissance du monde de l’officine face à ce que sera l’usage de l’e-prescription par les médecins n’empêche pas ses acteurs de regarder plus précisément les obstacles susceptibles d’être rencontrés à l’officine même. Pour Christophe Zarella (Smart Rx), « un des freins à la mise en place de l’e-prescription est l’obligation pesant sur le pharmacien de justifier toutes les modifications susceptibles d’être faites sur une prescription, par exemple le changement de posologie. C’est assez contraignant, et nous espérons que durant cette seconde phase d’expérimentation il y aura un assouplissement sur ce point ». D’autres préoccupations agitent les éditeurs, fluidifier les process jusqu’à la facturation, et faire en sorte que l’e prescription ne change pas les habitudes des pharmaciens, telle est du moins l’intention de Winpharma.

Les prestataires regardent aussi un peu plus loin, dans l’esprit du reste de l’assurance-maladie qui espère de l’e-prescription qu’elle donne une impulsion décisive à la digitalisation des parcours de soins des patients. De ce point de vue, le choix fait par la CNAM de conserver un support papier pour répondre à la demande des associations de patients laisse penser que d’emblée, on apporte des limites à la dématérialisation souhaitée. Pour Amaury de Chalain (Mesoigner), ce n’est peut-être qu’une première étape, un peu à l’image de ce qui s’est passé à la SNCF où les utilisateurs ont d’abord commencé à imprimer leurs e-tickets avant d’utiliser directement leur QR Code enregistrés sur leur smartphone. Il se pourrait qu’on soit dans cette perspective évolutive non exprimée pour l’instant. Elle faciliterait bien des services proposés, dans le cadre de la téléconsultation ou du click & collect comme l’espèrent certains prestataires. Mais pour Nathaniel Bern, l’e-prescription ne saurait à elle seule donner l’impulsion à la digitalisation globale des parcours de soins, ce n’est qu’un des éléments parmi d’autres, comme la dématérialisation des cartes CPS et Vitale, elles aussi dans les tuyaux et elles aussi susceptibles d’y contribuer. « Cela devrait être un enchaînement de diverses digitalisations verticales », décrit-il. Et faire le lien pour digitaliser le parcours de soins, c’est à un moment donné se poser la question du stockage des données et le DMP pour lequel certains logiciels ont prévu une interopérabilité avec l’application qui gérera l’e-prescription. Mais cela met du temps à se mettre en place selon Guillaume Gobert. Il semblerait que le calendrier de l’assurance-maladie soit trop ambitieux et risque de se heurter à la réalité du terrain.

Hakim Remili

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3559