Plus rapides, plus proches, plus disponibles. Ces impératifs en matière d’accessibilité des produits s’appliquent, aussi, aux groupements. Il y a quelques semaines, Giphar annonçait l’implantation d’un deuxième site logistique à Saint-Léger-des-Bois. Cet investissement de 7 millions d’euros est destiné à rapprocher le groupement de ses adhérents.
« 300 adhérents sont concernés par ce nouveau site capable de recevoir les commandes jusqu'à 20 heures le soir pour une livraison avant l'ouverture de la pharmacie, le lendemain », indique Philippe Becht, directeur général de Giphar, précisant que l'inauguration est prévue pour janvier 2019. Elle devrait être suivie, à l’horizon 2020, d’une opération similaire, dans la région lyonnaise, cette fois. Ces investissements traduisent la priorité accordée par les groupements à la logistique.
Ce déploiement fait écho aux différentes stratégies récemment développées par les grossistes-répartiteurs dans la distribution du médicament. La Cerp Bretagne-Atlantique a étendu sa toile en ouvrant trois nouvelles agences depuis 2014. De son côté, l'OCP a créé une plateforme de centralisation et de synchronisation des stocks (PCS) afin de répondre aux ruptures d'approvisionnement. Opérationnelle depuis novembre 2015 au sein de l’établissement pharmaceutique OCP d’Ormes, dans le Loiret, elle traite déjà un tiers des flux du répartiteur.
Des process intégrés
Parallèlement, depuis deux ou trois ans, la rétrocession, bien que toujours prohibée, revient en force par le biais de mini-structures territoriales. Ce phénomène, favorisé par un échec relatif des CAP, voire des SRA, sur le plan local, brouille les pistes de l’approvisionnement des officines et par extension, celles de la logistique.
Mais de là à dire que le circuit du médicament est aujourd’hui chahuté, il y a un seuil à ne pas franchir. Car ces mutations ne sont pas synonymes de déroute. Elles sont tout juste l'expression d’un marché à la recherche de nouvelles balises. L’approvisionnement des officines est en effet convoité par de nombreux acteurs, y compris de nouveaux entrants, comme le décrit Philippe Coatanea, président d’Alliance Healthcare Répartition et directeur de DirectLog : « Certains laboratoires favorisent le direct vers la pharmacie et d’autres réfléchissent même à livrer, dans certains cas, le patient directement. Des intervenants extérieurs au monopole pharmaceutique cherchent même à rentrer sur le marché de la pharmacie comme pour la livraison à domicile. » Alphega, comme les autres groupements, n'en considère pas moins cette concurrence comme stimulante pour sa performance.
Car, comme l'analyse Laurent Cuiry, directeur des développements de Giphar Groupe, « nous les groupements et notamment Giphar Groupe, nous situons dans un équilibre entre les fournisseurs et les pharmaciens. Notre tâche est de monter des systèmes qui optimisent la totalité de la chaîne. Ceci étant, le pharmacien est nécessairement notre donneur d'ordre ». Hubert Carpentier, directeur supply-chain et système d'information de Sogiphar Pharmavision Giphar, précise que si le groupement sous-traite à des transporteurs, c'est en imposant « un cahier des charges conforme aux bonnes pratiques de distribution pour deux catégories de prestataires : les « expressistes » qui assurent les livraisons en moins de 24 heures ou les prestataires de services dédiés qui livrent les pharmaciens dans la nuit. Ce dernier service est en fort développement actuellement et sera accessible rapidement à environ 80 % de nos adhérents, grâce à une plus grande proximité ».
À la croisée des chemins, entre grossistes-répartiteurs et officines, les groupements entendent occuper une position clé dans le circuit du médicament. Un rôle pivot qui, estiment-ils, leur revient de facto. « Nous sommes avant tout des distributeurs, c’est-à-dire qu'au-delà de la vision traditionnelle du répartiteur, nous avons construit une chaîne capable de satisfaire les besoins du patient avec le meilleur rapport qualité/coût, au service de nos adhérents. Pour optimiser le service offert, nous sommes dotés des statuts de dépositaire et de répartiteur, disposant par ailleurs d'une lettre de mission d'acheteurs-négociateurs. Cette approche implique une expertise en assistance auprès des adhérents », décline Laurent Cuiry.
Élément déterminant sur un marché très compétitif, facteur de fidélisation des adhérents, la logistique est décrite par les groupements comme le « système nerveux qui sous-tend leur activité au quotidien, permettant à leurs adhérents d’être livrés en moins de 24 ou 48 heures », comme le rappelle Gilles Sabah, responsable de Suprapharm.
De son côté, Cathy Herzog, responsable des opérations commerciales et marketing de Pharm-upp renchérit : « L'excellence logistique est différenciante et pour une officine, et pour un groupement. L’évolution des comportements d’achat des consommateurs/patients via Internet, les tensions sur la trésorerie et les charges de travail en pharmacies augmentent les exigences logistiques du secteur de l’officine. »
Rien d’étonnant donc à ce que, dans le contexte actuel, de nombreux groupements s’emparent de ce maillon essentiel. « La valorisation du schéma logistique est aujourd’hui un facteur concurrentiel », conclut Anthony Hurault, directeur d’Aélia, soulignant que la capacité d’un groupement « à pouvoir fournir un produit au bon moment est donc primordiale pour, in fine, permettre au pharmacien de générer la satisfaction et le trafic de la patientèle ».
Optimiser la logistique des adhérents ? Logique, affirment la plupart des groupements. Car, comme le rappelle Alexis Berreby, co-fondateur de Leadersanté, « une bonne logistique est cruciale pour le marché du médicament : le pharmacien doit pouvoir délivrer en temps et en heure les prescriptions à son patient tout en garantissant sa traçabilité. Au-delà du conseil, c’est un service obligatoire pour tout pharmacien : cela entre en compte dans la fidélisation de la patientèle puisque grâce à cela il bénéficie ou non de l’image d’un professionnel de santé fiable ».
Daniel Buchinger, président d'Univers Pharmacie, devenu depuis peu actionnaire majoritaire de Forum Santé, reste cependant circonspect sur la pertinence d'un service logistique intégré. « À partir d'un certain volume, cela me semble tout à fait pertinent qu'un groupement intervienne dans ce secteur. À condition toutefois d'apporter à l'adhérent une valeur ajoutée supérieure à ce qu'obtiendrait un titulaire seul ou dans un groupement de dix à quinze pharmaciens. En parfait respect de la déontologie et avec des obligations de résultat. Aux groupements donc de faire les preuves de leur utilité en la matière, et ce avec pour objectif, la pérennité de l'indépendance du pharmacien », expose celui qui envisage d'opérer sur le secteur logistique d'ici à trois ans.
Rien n'est en effet gagné sur la chaîne logistique. « Nous sommes challengés en permanence. Nous devons démontrer régulièrement à nos adhérents et actionnaires que nos solutions sont les meilleures. Le seul moyen est de leur révéler les gains qu'ils réalisent en adoptant les solutions développées par le groupement », indique Laurent Cuiry.
A contrario, la maîtrise de la chaîne logistique a présidé à la création de certains groupements comme Altapharm. « Depuis notre création en 2009, nous pensons qu’elle constitue, d’une part, la principale attente de nos adhérents, et, d’autre part, la garantie d’une relation durable avec eux », affirme Fabrice Guigonnat, directeur du réseau. Il précise qu’Altapharm a fait le choix dès ses débuts de se positionner comme logisticien spécialisé de l’officine : « Notre connaissance du fonctionnement de l’officine nous a permis d’adapter cette logistique en fonction des contraintes inhérentes de la pharmacie : rapidité, disponibilité, traçabilité, sécurité… et compétitivité. Nous pensons en effet que le logisticien peut être un pourvoyeur de marges essentiel à la pharmacie. Enfin, et c’est pour nous le point principal, nous pensons que maîtriser la logistique c’est avoir un contact quotidien avec notre adhérent. »
Forts de ce postulat, certains groupements ont inscrit la logistique à leur ADN. C'est le cas d'Évolupharm. « La logistique est indissociable de l'histoire de notre groupement qui s'est doté, dès ses débuts, d'une activité labo. La structure logistique appartient donc à l'ADN d'Évolupharm », rappelle Jean-Pierre Juguet, son directeur marketing, qui cite les quelque 10 000 m2 de surface et les 70 salariés, – soit un tiers des effectifs — dédiés à cette activité sur le site d'Auneuil, siège du groupement. Le groupement qui détient deux laboratoires propres entretient des relations avec une soixantaine de laboratoires pour l'approvisionnement de ses adhérents, soit plus de 10 000 commandes par mois.
De fait, la fonction logistique est exercée de manière intrinsèque par les groupements car, comme le rappelle Laurent Filoche, président de Pharmacorp et de l’Union des groupements de pharmacies d’officine (UDGPO), « tout groupement est de facto un prestataire logistique de ses adhérents, même s’il n’effectue pas les livraisons lui-même ». En effet, le groupement agit en poisson pilote au profit de ses adhérents. « Le groupement, tout comme le grossiste d’ailleurs, est l’intermédiaire entre les laboratoires et les officines. Il doit être facilitateur des échanges d’informations, de communication mais aussi de flux produits entre les parties », expose Anthony Hurault.
C’est ainsi que Népenthès se positionne en « offre incontournable pour la pharmacie d’officine par ses partenariats dans la logistique, avec plus de 120 laboratoires partenaires répartis sur plusieurs plateformes logistiques, avec des conditions OTC et parapharmacie du direct ou de semi-direct, et des offres très compétitives sur les princeps ». Christian Grenier, son président, rappelle ses partenariats stratégiques avec le Groupe Alliance Healthcare, Anjou Santé Répartition et quatre autres répartiteurs régionaux. Le groupement, qui totalise 2 200 adhérents, complétera cette palette d'offres prochainement avec l'ouverture de Straight, sa propre filiale de répartition*.
La voie d'excellence
Face aux exigences du marché, les groupements se situent aujourd’hui sur une tangente. Comme le souligne Philippe Coatanea, « les forces logistiques tentent de répondre à un dilemme, celui d’un équilibre entre optimisation des stocks de chaque intervenant dans la chaîne de distribution du médicament, optimisation de la marge et offres et services adaptés au patient consommateur. Ceux qui réussiront seront ceux qui géreront le bon équilibre entre ces trois dimensions ».
À noter qu’à l’instar d’une demi-douzaine d’autres groupements, Alphega est détenu par un grossiste répartiteur. L'estampille répartiteur est également considérée comme « un atout » par Patrick Rémond, directeur du réseau Les pharmaciens associés : « Nous disposons de tous les canaux d’approvisionnement indispensables à la bonne gestion de l’officine : grossiste-répartiteur (CERP Rouen), plateforme d’achat (Centrale des Pharmaciens), accords directs négociés, statut de mandataire (opérations NOOTOOS). La clé de la réussite passe par la complémentarité de ces canaux d’approvisionnement qui permet au pharmacien d’ajuster ses achats en fonction de ses objectifs et de ses contraintes. »
Également détenu par la filiale d'un grossiste-répartiteur, PharmaVie estime lui aussi disposer d’une longueur d’avance. « Le stade où les pharmaciens adhéraient à un groupement pour bénéficier uniquement de conditions commerciales est dépassé. Aujourd'hui, l'adhérent veut également se voir proposer une offre globale avec un service logistique intégré », constate Jean Fabre, P-DG du groupement qui s'appuie de 23 plateformes Phoenix Pharma (centrale d'achat et répartition), dont 4 à Paris Ile-de-France. Le groupement, qui assure des prestations logistiques de répartition, de CAP et de dépositaire, fait bénéficier à ses adhérents d’une expertise logistique complète et intégrée et par conséquent d’une offre complète sur toute la chaîne de distribution. Les pharmaciens adhérents peuvent ainsi accéder à des services logistiques de répartition, d’OTC, de génériques et de médicaments, avec Phoenix Pharma et Ivry Lab.
Chez Aelia, l’appartenance au répartiteur Cerp Bretagne-Atlantique est également considérée comme un avantage. « Associé à une force logistique proposant une livraison deux fois par jour, en 24/48 heures sur sa centrale d’achat, l’adhérent peut être réachalandé très rapidement pour répondre aux besoins de ses patients de manière continue, sans rupture d’approvisionnement. L’assurance d’une solution logistique réactive donne par ailleurs toute liberté au pharmacien d’effectuer son référencement selon la règle des 20/80 et de se dépanner des fonds de catalogues uniquement au besoin et avec une rapidité et une traçabilité de produits qui garantissent une fiabilité quasi parfaite », expose Anthony Hurault.
L'ensemble de ces groupements veille cependant rigoureusement à ce que leurs adhérents restent prioritaires par rapport aux autres clients de la répartition. « Les adhérents bénéficient d'une offre VIP dans un environnement de services « cousus main ». À noter que ce service à la carte n'est pas corrélé à la taille de l'officine. Nos adhérents ont accès aux meilleures conditions grâce à une complémentarité entre leur groupement et le répartiteur dans les négociations avec les laboratoires, notamment les génériqueurs, et ce au travers de tous les canaux du groupe », insiste Philippe Coatanea.
La répartition, canal historique
Les groupements « non-intégrés » à un grossiste-répartiteur n’en restent pas moins dans la course. Ils ont en effet opté pour un contrat d’association avec l'un des acteurs de la répartition afin de garantir une performance logistique à leurs adhérents. C’est le cas de Pharm-Upp. « Notre modèle s’est mis en place au travers d’un partenariat exclusif avec le grossiste-répartiteur Cerp Rhin Rhône Méditerranée, reconnu pour son savoir-faire logistique. À l’inverse d’autres grossistes qui se centralisent sur de grosses plateformes, Cerp RRM se développe sur de petites unités. Ce modèle convient parfaitement à Pharm-Upp, ces établissements de proximité apportent souplesse et agilité aux flux logistiques de nos officines adhérentes. Les accords sont négociés entre les laboratoires et le groupement, la performance logistique est assurée par Cerp RMM », décrit Cathy Herzog, notant que ce modèle a pour avantage d’offrir à l’officine, un seul interlocuteur logistique et administratif.
Se considérant lui aussi garant d’une performance logistique, le groupement Leadersanté travaille « main dans la main » avec la Cerp Rouen. « C’est grâce à ce partenariat que nous garantissons à nos pharmaciens l’assurance d’une qualité logistique de produits pharmaceutiques au niveau national pour l’ensemble du réseau », affirme Alexis Berreby. Il ajoute que les produits à la marque du laboratoire Leadersanté sont stockés sur une plateforme logistique partenaire.
En matière de logistique, la majorité des groupements reconnaît une légitimité indéniable aux grossistes-répartiteurs. Et leur accorde une confiance entière pour un rôle qui leur est dévolu par nature. « En dépit de la redistribution des forces logistiques autour de nous, nous demeurons persuadés que les grossistes-répartiteurs doivent être des partenaires alliés de nos adhérents, en tant que spécialistes de la logistique », affirme Jean-Claude Pothier, président du groupement DPGS dont 60 % des adhérents sont approvisionnés par Astera.
Autre coopérative, Giropharm ne gère pas directement la logistique pour le compte de ses adhérents. Elle priviligie la sous-traitance de ces prestations auprès des spécialistes de la logistique que sont « les grossistes-répartiteurs et les dépositaires ». Ifmo joue quant à lui la carte du fédéralisme en s’attachant un acteur principal dans chaque domaine d’intervention. Sa stratégie consiste à se fédérer autour d’un grossiste répartiteur et d’un laboratoire par niche. Afin, dit-il, « de favoriser les contrats tripartites en nous appuyant sur des professionnels de la logistique ».
L’art des groupements consiste en effet à s’entourer des compétences nécessaires, comme l’explique Rafaël Grosjean, P-DG de Pharmodel : « Au cours de nos seize années d’existence, nous avons fait évoluer nos partenaires logistiques en agissant en sous-traitance pour toujours proposer à nos affiliés le meilleur service possible. » Pharmodel s’appuie ainsi depuis quelques années sur OCP pour l’offre grossiste, sur Evrard DPE pour la partie dépositaire, et sur la centrale des pharmaciens pour sa centrale d’achat Districap.
Ces « légitimistes » reconnaissent en effet à ces logisticiens une compétence qu’ils n’ont pas et refusent catégoriquement de s’aventurer sur leurs terres. « Les grossistes ont un savoir-faire logistique qui ne peut être remis en question ni par les groupements, ni par les autres acteurs de la chaîne de la distribution pharmaceutique. D’ailleurs ceux qui s’y essayent comme certains groupements, investissent des sommes considérables qui, in fine, ne retournent pas à leurs adhérents, ce qui devrait pourtant être leur but premier », pense Laurent Filoche. Il n’hésite d’ailleurs pas à qualifier de « non-sens économique », « la création in extenso d’une structure CAP par un groupement sans le savoir-faire logistique d’un grossiste ».
Même analyse chez PHR, où Lucien Bennatan, son président, affirme « il n’est pas du rôle d’un groupement de suppléer les logisticiens et encore moins de faire supporter à ses adhérents les coûts de la mise en œuvre d’un outil logistique dédié à un réseau unique de pharmaciens, dès lors qu’il s’agit de médicaments et produits réglementés dont les prix et marges sont administrés ». Et de mettre en garde les apprentis sorciers : « sur le long terme, et face aux défis liés aux nouvelles exigences, les inconvénients et les coûts, supportés par les pharmaciens seront plus importants que les bénéfices qu’ils pourraient en tirer. » Hervé Jouves, président du groupe Lafayette, invoque lui aussi le poids économique. « Mettre en place une supply-chain ferait perdre de l’argent à nos adhérents », déclare-t-il, affirmant que Lafayette se contente pour l’instant de rester centrale de référencement.
Maîtriser l'amont comme l'aval
Certains groupements sont, en revanche, moins sensibles à ces arguments économiques. Et ont déjà franchi le pas, comme Altapharm qui, poussé par la dégradation de la situation économique des officines, a créé sa propre organisation logistique pour répondre aux besoins multiples de ses adhérents : distribution de produits pharmaceutiques remboursés, de médicaments génériques, d’OTC, de parapharmacie ou de matériel médical. Le groupement n’en convient pas moins qu' « être logisticien ne s’improvise pas » « C’est une activité très coûteuse si elle n’est pas sans cesse optimisée », déclare Fabrice Guigonnat, directeur du réseau Altapharm.
Cette mise en garde vaut pour les groupements qui envisagent de prendre les commandes de la logistique. Norpharma est ainsi en train de réfléchir à l’intégration de sa propre flotte logistique pour, comme l’expose Patrick Drabik, son responsable, « fluidifier et sécuriser l’approvisionnement de ses adhérents ».
Pharmavance qui dispose déjà, depuis janvier 2016, d’une plateforme logistique pour les produits hors AMM mène une réflexion similaire. « Adossés au départ à des prestataires de références, nous avons décidé de bâtir notre propre logistique interne avec pour objectif d’offrir de meilleurs services au pharmacien : baisse de stocks, gestion de la trésorerie, plus de temps au comptoir », explique Nicole Chantanau, directrice des achats. Et si, pour l’heure, le médicament transite encore par le répartiteur du groupement « demain, ce sera un vrai projet de pouvoir assurer la logistique des médicaments », annonce-t-elle.
Devenir logisticien est un métier à part entière, comme le rappelle Serge Carrier, directeur général de Pharmactiv, « qui coûte cher, qui demande des volumes et un savoir-faire. Si on veut arriver à faire de la logistique, il faut avoir une action sur le point de vente, et à moins de 800 adhérents cela semble difficile ». Sans compter les indispensables innovations technologiques. « Il faut détenir des plateformes différentes et spécialisées selon les segments et selon la typologie de produits, tout en mutualisant les coûts. Link, le service digital que nous avons mis en place permet aux adhérents de rechercher tous les produits selon la nomenclature, selon les offres et leur disponibilité. En retour, nous pouvons agir de plus en plus en pré-commande et pousser les flux dans la mise en place des opérations », explique-t-il.
Les groupements ont conscience de la complexité de la tâche, souvent expérimentée à leurs dépens. Car, dotés le plus souvent d’une CAP et d’une SRA, ils ont déjà mordu pour certains sur les plates-bandes de la logistique. Soucieux de l’efficience de la chaîne du médicament, c’est donc avant tout en complémentarité que la plupart des groupements interviennent sur la chaîne. « Nous avons mis en place une CAP nous permettant de livrer nos pharmacies en médicaments OTC et en produits de parapharmacie, au meilleur prix en 24 heures. Les deux systèmes Répartiteurs/CAP assurent à nos pharmacies souplesse et performance », expose Laurent Toledano, président d’Excelpharma.
La scission des deux flux de produits – médicaments remboursés d’un côté, OTC et para, de l'autre – est un préalable à l’appréhension de la logistique par les groupements. La première catégorie de produits reste aux mains des grossistes-répartiteurs, notions de coûts et de contraintes réglementaires obligent. Les flux OTC, parapharmacie, produits à la marque (MDD) sont, quant à eux, plus adaptés pour être captés par les groupements. « Les répartiteurs actuels répondent plutôt bien aux besoins avec deux livraisons par jour en moyenne, un bon maillage et une bonne efficacité de leurs actions. La traçabilité est réelle », constate Hervé Jouves, qui ne croit pas au remplacement des grossistes-répartiteurs par les groupements. Et pour cause, « les prix d’achat étant globalement identiques, les groupements n’y auraient aucun avantage », estime-t-il. Il y a d’autant plus intérêt à confier les produits chers aux grossistes compte tenu du risque financier « que représenterait la perte d’une telle boîte dont le prix moyen est de 930 euros », souligne Patrick Rémond.
En revanche, pour ce qui est du segment des médicaments non remboursés, de la para, des produits vétérinaires ou encore des compléments alimentaires, les groupements manifestent une véritable appétence pour développer des solutions. Ces solutions « clés en main » consistent à obtenir pour les adhérents, les meilleures conditions commerciales, à leur assurer une livraison « au fil de l’eau », sinon « just-in-time », pour limiter les stocks et les surfaces de stockages, voire pour restreindre les effectifs de manutention.
La CAP, qui n’a pas seulement pour fonction d’endiguer la rétrocession, toujours illégale, permet aussi à l’adhérent « d’optimiser son assortiment, de valoriser le conseil et rend plus visible son offre pour son patient/client », explique Michel Dailly, directeur général d’Objectif Pharma, un groupement fédérant des adhérents sans enseigne et les deux réseaux sous enseigne « Wellpharma » et « Anton et Willem ». Objectif pharma croit nécessaire un rapprochement des CAP « pour augmenter leur puissance de négociation et mieux défendre les intérêts de leurs adhérents ». Par ailleurs, indique Michel Dailly « chaque groupement doit être en capacité de créer des marques propres avec des produits à forte valeur ajoutée que les pharmaciens s’approprient pour leur conseil et qui assurent une vraie différenciation. Si nous sortons du référencement unique, nous serons en capacité de mieux nous défendre face aux autres circuits de distribution. Mais pour réussir cela, il faut une forte adhésion des pharmaciens à la stratégie de leur groupement ».
La force du réseau suffirait-elle ? Philippe Coatenea ne le pense pas : « Un groupement ne disposant que d'une CAP ne peut répondre à toutes les attentes de ses adhérents. Il lui faut s'adosser à un acteur logistique. Nous travaillons ainsi avec une vingtaine de groupements auxquels nous apportons nos solutions et notre expertise. Bien entendu les adhérents Alphega Pharmacie bénéficient d'autres conditions et restent prioritaires dans notre activité logistique. » D'autres grands groupements reconnaissent eux aussi être approchés par de plus petites entités pour les mêmes raisons (voir interview page 26).
Ce cloisonnement entre les fonctions relève aussi d'une stratégie confirmée par l'expérience. Ainsi, préférant déléguer la logistique auprès de spécialistes, Giropharm intervient en aval dans l’accompagnement complet des adhérents en termes de référencement très poussé, de facturation et de dynamique promotionnelle. Le groupement va même plus loin que la négociation des remises. Grâce à son statut de mandataire au paiement, il est garant de la solvabilité de ses adhérents vis-à-vis des laboratoires, et assure le règlement des factures, la résolution des litiges, ainsi que le contrôle des remises laboratoires. Un mode de fonctionnement gagnant-gagnant.
Un antidote au direct
Les groupements ont compris l’enjeu qu’il y avait à construire un écosystème autour de la logistique des achats. Évolupharm est aujourd'hui l'un des seuls groupements, non adossés à un répartiteur, à détenir une plateforme logistique en propre. Jean-Pierre Juguet est formel : les groupements qui assurent la fonction facturation pour leurs adhérents sont « plus puissants et sont plus assurés de leur avenir, car ils maîtrisent toute la chaîne. On pourrait les dénommer groupsistes (pour mix de groupement et grossiste) ».
Évolupharm estime que grâce à cette fonction de « groupsiste », le groupement est en mesure de faire bénéficier d'avantages significatifs ses adhérents « qui jouent le jeu », c’est-à-dire ceux pour lesquels le groupement est le deuxième fournisseur de l'officine. « Les 500 pharmaciens qui nous suivent dans cette voie, soit un tiers de nos adhérents, voient 20 % de leurs achats générer 55 % de leur marge », révèle-t-il. En effet, cette maîtrise de la chaîne permet de rationaliser les achats et d'éviter que le stock ne pèse sur la trésorerie des pharmacies. « Mais cela suppose également que les livraisons soient effectuées au jour le jour pour répondre à la demande. Soit au fil de l'eau pour ne pas surcharger l'officine, soit à j +1 quand c'est urgent. Ceci avec une accessibilité produits garantie », décrit Jean-Pierre Juguet, précisant qu’Évolupharm travaille avec des transporteurs et une messagerie express. « Grâce à nos systèmes de traçabilité, nous sommes capables de choisir le bon réseau, le bon maillage afin d'identifier le produit concerné dans le colis », souligne-t-il.
Le groupement Giphar mise, lui aussi, sur le développement des préparations en aval : « Cela va faire gagner du temps au pharmacien qui aura moins de taches en back-office, il optimisera ainsi ses commandes et améliorera sa rentabilité. Il en va de la valorisation de son officine ». « Le profil d'acheteur approvisionneur suppose, d’une part, un savoir-faire qui débouche sur la meilleure négociation possible pour nos adhérents et, d'autre part, que les volumes de commandes soient quantifiés pour remplir parfaitement les obligations réglementaires, tout en optimisant les coûts », expose Hubert Carpentier. Tandis que Laurent Cuiry renchérit : « il va sans dire que cet impératif nécessite une parfaite identification des besoins et la gestion partagée des informations avec les adhérents. À noter que cet échange d'informations permet d'être plus efficace, non seulement pour atteindre l'excellence opérationnelle, mais aussi pour s'assurer que la chaîne du fournisseur est la plus performante. »
Pour la plupart des groupements le constat s'impose : la performance du système logistique ne peut être assurée que si elle est étroitement imbriquée avec une proposition de conditions commerciales attractive. « Le poids du stock en parapharmacie et médicaments OTC, ainsi que son coût ne peuvent plus uniquement être supportés par le pharmacien ! Dans ce contexte, disposer d’un partenaire logistique fiable et réactif devient l’une des problématiques numéro un pour les officinaux. Il faut donner au pharmacien suffisamment de souplesse pour gérer ses stocks et sa trésorerie de manière optimale », martèle Anthony Hurault. En abaissant le minimum de commande donnant accès à l'offre de sa centrale d'achats (CAP), le groupement évite désormais aux pharmaciens de stocker excessivement tout en bénéficiant de remises compétitives. Aélia décline ainsi différents canaux logistiques en fonction de la nature des produits : centrale d’achats Santralia, pour l’OTC, structure POP pour la parapharmacie, plateforme dépositaire Distrisanté pour les médicaments génériques, et partenaire spécialisé pour le matériel de maintien à domicile (MAD).
Au sein de cette palette très large de solutions logistiques d’approvisionnement, émergent aujourd’hui les plateformes « semi-directes », une offre qui se situe entre le grossiste et la vente directe du laboratoire, et qui permet au pharmacien de bénéficier de conditions d’achats compétitives en évitant le surstockage.
De nombreux groupements ont saisi l’opportunité de construire cette solution hybride pour leurs adhérents. C’est également un moyen de les dissuader de céder aux sirènes de laboratoires et de la vente directe jugée « trop chronophage pour un titulaire ». « Notre défi est de pouvoir lutter contre la politique déloyale de certains laboratoires et de faire en sorte que nos SRA et nos CAP bénéficient des conditions du direct. Ce qui aura pour conséquence de faire baisser la rétrocession », déclare Alain Grollaud, directeur général d'Optipharm.
Un objectif que Pharmavie affirme avoir déjà atteint : « Avec notre CAP, nous proposons des conditions commerciales attractives proches de la vente directe, mais sans la problématique du stockage et du nombre de références imposé par le laboratoire. »
Car la logistique et les services associés offerts aux adhérents sont, comme le définit Serge Carrier, « l'antidote contre la vente directe ». En effet, « nous amenons à nos adhérents les mêmes conditions commerciales que celles offertes par les laboratoires en direct, mais avec un risque moindre car le pharmacien ne se retrouve pas avec des périmés à la fin de l'opération, ni d'invendus. Par conséquent, il réduit les problèmes de trésorerie tout comme les risques de ruptures en s'adossant à notre supply-chain », affirme le directeur général de Pharmactiv, ajoutant : « il est évident que dans ces conditions, la logistique est un moyen de fidélisation de l'adhérent. 95 % des flux au moins (hors cosmétiques) passent par nous. »
De leur côté, Les Pharmaciens associés ont fait le calcul. « Nos études démontrent qu'un pharmacien détenant 20 à 50 fournisseurs en direct, passe au moins deux mois par an à gérer ses achats : organisation des rendez-vous, passation des commandes, règlement des factures, contrôle des livraisons, sans compter l’espace dédié au stockage qui pourrait dans certains cas être alloué à la surface de vente », expose Patrick Rémond. Et d'affirmer : « Nous assistons aujourd'hui à une prise de conscience des pharmaciens qui, pour beaucoup, estiment passer trop de temps aux achats, parfois pour gagner 5 % sur un produit qui vaut 2 ou 3 euros. »
Éviter la rupture
La maîtrise des flux, et donc des stocks, reste ainsi l'autre cheval de bataille des groupements. Y compris la disponibilité des produits mise à mal par de nombreuses ruptures d'approvisionnement. « Autrefois la logistique était assez simple. Aujourd'hui en raison de la multiplicité des canaux et les tendances aux produits chers, rares et personnalisés, le vrai nerf de la guerre est la disponibilité de ces produits, de même que l'observance des traitements. C'est là un nouveau rôle qui nous est dévolu que d'accompagner nos adhérents dans ces nouvelles missions », constate Philippe Coatenea. « Nous travaillons actuellement à un projet de portail unique, un concentrateur qui permettra de simplifier toutes les propositions. Ce projet qui devrait être mis en œuvre dès la fin de l'année sous le nom de MyAlliancePro, fonctionnera comme une plateforme unique digitale pour les commandes », annonce-t-il.
De son côté, Mediprix dans son combat pour la disponibilité des produits, développe une « centrale des ruptures régionales » qui sera opérationnelle dès 2018 via une application dénommée Octipas. Tandis que Leader Santé songe à la mise en place de nouveaux projets logistiques capables de permettre aux pharmaciens d’améliorer la gestion des stocks. Dans ce registre, le groupement va mettre à disposition de ses adhérents une plateforme de déstockage de certains produits, en toute autonomie.
L’ensemble de ces outils connexes à la logistique, mis en place par les groupements, a pour principal objectif de libérer du temps à l’adhérent et pour son équipe. Dégagés des tâches administratives et des achats, ils pourront, comme le souhaite Franck Vanneste, P-DG de Giropharm « se consacrer entièrement à leurs missions en faveur du patient et développer le conseil ». En édictant de nouveaux honoraires et accompagnements du patient, l’avenant 11 de la convention pharmaceutique a donc tracé le sillon des groupements du futur. Pourvu qu’ils se considèrent comme groupements de service.
* Ouverture prévue pour février 2018 avec une livraison par jour. Straight ne détiendra pas d'activité de short liner, mais offrira des remises intéressantes et un choix sélectif de génériqueurs.
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