PLUTÔT que de fêter leur anniversaire dans la célébration du passé, trois organismes du médicament ont préféré parler de l’avenir, celui de la santé. C’est ainsi que l’ACL pour ses 15 ans, le GIE GERS pour ses 40 ans et le CIP pour ses 50 ans, ont organisé une table ronde autour de ce que pourrait bien être la santé de demain. Animés par Roselyne Bachelot, le moins que l’on puisse dire est que les débats autour de cette table ronde ont bousculé l’assistance et les idées reçues.
Ils ont d’emblée posé la question que d’aucuns estiment pertinente aujourd’hui : peut-on imaginer vivre sous peu 150 ans, 200, voire 1 000 ans ? Accueillie hier avec scepticisme, elle focalise à présent l’attention de nombreux spécialistes. Parmi eux, Laurent Alexandre, président de DNAVision, expose ce qu’il appelle « le choc techno-idéologique de la Silicon Valley ». Selon lui, la conjonction entre, d’une part, la maturité des nanotechnologies, et, d’autre part, la puissance exponentielle de traitement des données par l’informatique, provoque actuellement un véritable renouvellement idéologique aux États-Unis. Il évoque ainsi ce qui chez les « GAFA » (entendez les grands acteurs du numérique, Google, Apple, Facebook et Amazon) engendre l’idéologie « transhumaniste », aller au-delà de l’humain biologique tel que nous l’avons toujours connu. « Il faut nous préparer à la pensée hybride, déclare-t-il, une fusion entre le biologique et les nanotechnologies. » Celle-ci pousse très loin les limites de l’imagination : de l’intelligence artificielle humaine à la sélection génétique à la carte, en passant par des implants nano robots dans le cerveau, la pensée « démiurgique » défie l’entendement.
Fabien Guillemot, chercheur à l’INSERM, plus posé, ne s’aventure par dans de telles projections, mais admet que le champ des possibles s’étend de manière importante. « Si la bio-impression en 3D et la création de tissus biologiques se limitent pour l’instant à fabriquer des tissus que l’on greffe, dans la cornée par exemple, ces techniques permettront d’envisager la création, pourquoi pas, d’organes entiers », déclare-t-il. Dans ce contexte, l’extension massive de la durée de vie humaine pourrait bien devenir une réalité.
Des systèmes experts pour soigner les pathologies.
« Et mon hypertension dans tout ça ? ». Roselyne Bachelot a opportunément replacé le débat dans ses aspects les plus concrets. Certes, tout ce qui est décrit aujourd’hui par ces penseurs « démiurgiques » n’arrivera pas tel quel, mais ce qui est sûr, selon Laurent Alexandre, c’est la profonde transformation induite par l’évolution technologique sur la chaîne de valeur de la santé. « La concentration de la valeur du soin est désormais dans l’algorithme », estime le patron de DNAVision. Selon lui, l’explosion des volumes invraisemblables de données selon la loi de Moore (doublement de la puissance numérique d’un appareil quel qu’il soit tous les 18 mois) engendre ce qu’on appelle le « big data », un enjeu considérable mais peu abordé par le monde de la santé.
Or, très vite, il faudra des systèmes experts, des logiciels capables de reproduire les mécanismes cognitifs d’un expert, pour traiter ces données qui viennent de partout, et notamment des objets connectés. Résultat, c’est la technologie qui va bousculer la façon dont on pose des diagnostics et, ce faisant, le métier même de médecin qui, s’il n’y prend pas garde, risque de se retrouver « statutairement comme celui des infirmières en 2030 », prédit Laurent Alexandre. « La manière de soigner les patients va en effet profondément évoluer, prévoit pour sa part Fabien Guillemot. Il sera possible de recueillir un maximum de données physiologiques du patient et produire des soins qui sont spécifiquement adaptés à son patrimoine génétique. Et donc de développer des tissus biologiques à des fins pharmaceutiques. »
Les big pharma, de futurs Kodak ?
Les médecins ne seront pas les seuls à devoir évoluer radicalement, l’industrie pharmaceutique est elle aussi mise au défi d’affronter cette double évolution numérique et biotechnologique, elle qui jusqu’à présent ne s’est jamais intéressée à ces problématiques. « Beaucoup de nos entreprises sont des Kodak sur pattes », lance ainsi Laurent Alexandre. « Les milliards de données maîtrisées par Google risquent de marginaliser très rapidement les big pharma. Ils ont peu de temps devant eux, cinq ans, peut-être… »
Dans ce contexte, les pharmaciens semblent devoir plutôt tirer leur épingle du jeu puisque les médecins, condamnés à une évolution technologique drastique, devront leur laisser de fait les pathologies simples et leurs soins, les rhumes, les pharyngites, etc. A condition toutefois que la structure économique de la santé suive cette révolution technologique.
Faire mieux avec moins.
Car, c’est une des autres grandes questions abordées par les participants à cette table ronde, quel pourrait bien en être le cadre économique ? Nicolas Bouzou, économiste, évoque pour cela la pensée de Joseph Schumpeter, économiste de la première moitié du XXe siècle, pour qui « la création de valeur est toujours destructrice. » « Un modèle chasse l’autre, l’Iphone 6 écrase l’Iphone 5 », explique-t-il. Le défi de la révolution à venir est de définir la prise en charge financière de ces évolutions. « On ne pourra pas prendre en charge à la fois des thérapies ciblées et tous les rhumes ! » Et, concernant les médecins et les pharmaciens, les conditions de leur rémunération, en fonction de l’évolution de leurs tâches, devront elles aussi être modifiées. Peut-être des solutions à mi-chemin entre le salaire et la rémunération à l’acte… Des solutions qui devront de toute façon être imaginées dans un contexte de refonte globale, « faire mieux avec moins » selon Nicolas Bouzou.
Durant la discussion, il n’a pas été question des limites ou des risques liés à cette révolution technologique. Seules ont été évoquées les résistances, ringardisées d’emblée par Laurent Alexandre sous le sobriquet de « bio conservateurs », tout en reconnaissant la nécessité du débat éthique, ce dont on est loin tant les politiques français n’ont pas conscience des enjeux.
Les organisateurs de la table ronde ont laissé au philosophe Raphaël Enthoven le soin de conclure. Ce dernier a répondu indirectement en se référant à Nietzsche et Proust. Son intervention, difficile à résumer en quelques mots, a visé à replacer le rapport du malade avec sa maladie, loin des préoccupations hygiéniques de la société actuelle. « Aucune guérison n’est le retour à l’innocence biologique, elle établit un nouveau rapport au monde, affirme-t-il. La question n’est pas de savoir pourquoi on souffre, mais de comment bien vivre avec la souffrance. » L’éthique a encore son mot à dire face aux algorithmes.
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