Big data à collecter, qualité des données, protection des données et dans le même temps partage de celles-ci, les enjeux de l’intelligence artificielle (IA) poussent la cancérologie à se structurer. Car les espoirs placés dans l’IA sont grands, rien de moins que repousser les frontières de l’incurable, comme l’INCa s’en est fait l’écho lors de ses Rencontres 2019 organisées à l’occasion de la journée mondiale contre le cancer le 4 février.
« L’IA fait mieux que les médecins pour le dépistage du mélanome », a rappelé le Pr Eric Deutsch, oncoradiothérapeuthe à l’Institut Gustave-Roussy, rappelant des résultats publiés récemment. Alors que le président de la République a annoncé la création du « Health Data Hub » pour l’IA en santé suite au rapport Villani, l’oncologie est mise en avant dans la mission de préfiguration remise à la ministre de la Santé en octobre 2018.Le développement de l’IA est appelé à transformer en profondeur les pratiques en santé, notamment en cancérologie : aide au diagnostic, aide à la décision thérapeutique, suivi du patient, mais aussi en recherche avec les promesses d’un développement pharmacologique « in silico », a souligné Marc Bonneville, président de l’Alliance pour la recherche et l’innovation des industries de santé (ARIIS).
Ce concept émergent promet une recherche réalisée à partir de modèles informatiques, le terme « in silico » faisant référence au silicium présent dans les unités de calcul des ordinateurs. « C’est un gros enjeu pour l’industrie pharmaceutique, a-t-il expliqué. La recherche "in silico" pourrait permettre d’améliorer l’accès à l’innovation tout en réduisant les coûts ».
Transformation en profondeur des pratiques
L’IA est capable de reproduire les comportements humains par différentes méthodes d’apprentissage (machine learning, deep learning), de façon supervisée selon des règles utilisées par l’homme ou de façon non supervisée, l’ordinateur ayant la possibilité de s’adapter et la liberté de choisir les paramètres, y compris des données non étiquetées. En anatomopathologie, l’IA progresse très vite, offrant la possibilité d’une réalité augmentée, a relevé Jean-Philippe Vert, chercheur Google IA et Mines ParisTech, spécialiste du machine leaning et de la bio-informatique.
Ce que l'homme est incapable de trouver
Mais l’IA est aussi capable « de trouver des choses dont l’homme n’est pas capable », a relevé Nikos Paragios, professeur en mathématiques et responsable des formations en IA à CentraleSupélec. « Cette 3e voie est la plus intéressante, a-t-il indiqué. C’est un changement de paradigme. Elle permet de trouver des choses pas forcément visibles avec ce que l’on sait ». La machine peut détecter des signaux faibles dans une grande quantité de données.
C’est l’objectif d’un projet de Gustave Roussy visant à prédire la réponse et la survie après immunothérapie à l’aide de l’imagerie par TDM. « L’idée est de définir un nouveau biomarqueur pour mieux standardiser la radiothérapie, a expliqué Eric Deutsch. C’est la montée en finesse de la prédiction individuelle ». L’IA pourrait ainsi permettre de définir « les meilleures combinaisons de traitement », associant radiothérapie et immunothérapie, a expliqué Nikos Paragios, qui collabore au projet avec Éric Deutsch.
Entre protection et partage des données
Mais la constitution de grandes bases de données n’est pas sans poser de nombreuses questions, la principale étant l’équilibre délicat entre protection des données et leur partage à des fins de recherche entre les différents acteurs, y compris privés. « Il y a un fort dynamisme autour de centres d’innovation performants transdisciplinaires, a rappelé Marc Bonneville. Et les Big Pharma disposent aussi de grandes bases de données PRM ».
La législation est différente selon les pays, la Chine et les États-Unis étant beaucoup plus libéraux que l’Europe. Sur le point sensible entre protection et partage des données, les avis diffèrent. « Quand l’Europe fait de l’éthique, les autres font de la science », a lâché Nikos Paragios. Bien plus mesuré, Jean-Philippe Vert estime que « si la législation peut être un frein pour la recherche opportuniste, ce n’est pas le cas sur le long terme », allant même jusqu’à prédire que les lois européennes se généraliseront au reste du monde. « Il faut une régulation mais sans qu’elle soit paralysante », a estimé Eric Deutsch. Le « Health Data Hub », qui est en train se structurer autour de groupes de travail pour un lancement prévu au 2e semestre 2019, doit trouver son chemin.
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